L'amour véritable : de l'illusion fondatrice à l'engagement éthique
- contact19075
- 22 sept.
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« L’amour n’est pas tant un sentiment qu’un art à pratiquer. » — Erich Fromm, The Art of Loving.
La quête d’un amour idéal traverse l’expérience humaine. Beaucoup éprouvent un sentiment de manque lorsqu’ils n’ont pas d’amour dans leur vie : ils ne vont pas nécessairement mal, mais ils ressentent une incomplétude, comme si le bonheur ne pouvait être total sans la présence d’un autre à leurs côtés. Cette représentation est largement partagée, alimentée par les récits culturels et par les attentes inconscientes qui structurent le désir.
Pourtant, une fois l’amour trouvé, la relation est rarement synonyme de sérénité. Les conflits surgissent inévitablement. Fait paradoxal, ces conflits semblent souvent préférables à la solitude : pour nombre de sujets, le coût psychique de la confrontation à l’autre demeure plus supportable que celui de l’absence de lien.
L’amour-passion : une illusion nécessaire
La plupart des individus ont fait l’expérience de l’amour-passion, caractéristique des débuts de la rencontre. Deux inconnus se perçoivent soudainement comme complémentaires, "faits l'un pour l'autre", portés par un sentiment d’évidence. Cette expérience "d'amour fusionnel", nourrie par une forte idéalisation réciproque, est vécue comme un moment de vie quasi magique, particulièrement enivrant, où la fusion des âmes appelle irrésistiblement celle des corps.
Or, cette magie repose sur une illusion : chacun devient l’écran de projection des idéaux, attentes inconscientes et fantasmes de l'autre.
Du point de vue biologique et évolutif, cette illusion a une fonction précise. Elle constitue un dispositif d’« amorçage » destiné à rapprocher puissamment deux individus, à susciter leur union et, à travers elle, la reproduction ou la conservation de l'espèce (en couple, nous sommes plus forts pour résister aux aléas de la vie). Une fois ce processus assuré — attachement affectif, fondation d’un couple, naissance éventuelle d’un enfant —, l’amour-passion décline.
Sur le plan neurobiologique, cette phase d'amour-illusion correspond à une modification des circuits de la récompense et de la punition. Le système de gratification est suractivé, tandis que les signaux d’alerte s’atténuent. Les défauts de l’autre, perceptibles en temps normal, sont neutralisés. L’idéalisation recouvre le jugement critique et suspend la lucidité. (Cf. Boris Cyrulnik, Quand on tombe amoureux, on se relève attaché, Odile Jacob, 2025)
C’est précisément cette suspension du jugement qui explique pourquoi l’on parle souvent d’« amour fou ». Fou, parce qu’il transgresse les repères habituels de la raison et du discernement ; mais fou aussi, parce qu’il exprime une intensité de vie qui dépasse la logique ordinaire. Or, cette folie n’est pas un simple délire : elle est générée par l’intelligence de la vie elle-même, qui utilise cette illusion pour rapprocher deux êtres et assurer la continuité de l’espèce. C’est en ce sens qu’il y a, comme le disait Nietzsche, de la raison dans la folie :
« Il y a toujours un peu de folie dans l’amour, mais il y a aussi toujours un peu de raison dans la folie. » — Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.
Le retour du réel : l’altérité de l’autre
Après un temps — environ une année —, l’illusion s’estompe. Les partenaires, désormais affectivement attachés, découvrent l’altérité de l’autre : ses différences, ses incohérences, sa singularité irréductible. C’est alors que surgit la question de la compatibilité réelle.
Le passage de l’illusion au réel confronte le couple à deux issues possibles : l’escalade des conflits ou la construction de compromis. C’est dans cet espace que peut se réaliser, ou non, ce que l’on appelle l’amour véritable.
Les impasses fréquentes : l’absence de complémentarité
L’observation clinique montre que de nombreuses relations échouent parce qu’elles ne reposent pas sur une véritable complémentarité psychique. Les partenaires ne sont pas suffisamment complémentaires pour combler leurs besoins psychologiques fondamentaux, et cette inadéquation engendre inévitablement des tensions et des conflits. Lorsque les besoins de l’un et de l’autre ne peuvent pas être comblés par l’un et par l’autre, la relation peine à se stabiliser et risque de s’épuiser dans une dynamique conflictuelle.
Dans le concret, cela se traduit par des négociations perpétuelles, parfois épuisantes, où chacun tente d’obtenir de l’autre ce qu’il désire sans que cela corresponde réellement aux ressources ou aux dispositions psychiques de son partenaire. Le lien s’installe alors dans une conflictualité chronique, marquée par la frustration et l’usure progressive de la relation.
Les conditions de l’amour véritable
Deux conditions apparaissent essentielles pour que l’amour dépasse l’illusion et accède à une forme d'authenticité.
La première est que les structures psychiques de chaque partenaire s’accordent suffisamment — non pas parfaitement, mais assez pour permettre une cohabitation harmonieuse des besoins inconscients.
La seconde est que chacun soit en mesure de mobiliser un investissement éthique durable, capable de soutenir l’union malgré la confrontation à l’altérité et aux failles de l’autre.
Platon, à travers le mythe raconté par Aristophane dans Le Banquet, présentait déjà l’amour comme une quête de complétude. Les humains, disait-il, auraient été séparés en deux par les dieux et passeraient leur vie à chercher leur « moitié » perdue. Cette vision antique illustre ce que la psychanalyse observe encore aujourd’hui : l’amour naît souvent du fantasme de réparation d’une faille originaire, mais il ne peut durer que si l’on accepte que l’autre ne viendra jamais combler totalement ce manque.
L’amour véritable comme engagement éthique
La complémentarité psychique est donc nécessaire mais pas suffisante. Un engagement éthique doit s’y adjoindre.
Pourquoi l’amour véritable suppose-t-il un engagement éthique ? Parce que la complémentarité absolue entre deux êtres n’existe pas. L’autre ne pourra jamais combler totalement mes manques, et je ne pourrai jamais combler totalement les siens. Chacun reste irréductiblement partiel à l’égard de l’autre.
Dès lors, aimer ne se réduit pas à profiter des zones de compatibilité. Il implique parfois de consentir à des dons de soi qui ne correspondent pas entièrement à notre personnalité, voire qui nous coûtent. Tant que ces concessions demeurent ponctuelles et mesurées, elles ne pèsent pas excessivement dans la balance des pertes et bénéfices ; elles s’intègrent même dans une dynamique où la perte momentanée se trouve compensée par le gain global de la relation.
Et c’est précisément là qu’intervient l’engagement éthique : la décision de donner, non pas uniquement parce que cela est agréable ou gratifiant, mais parce que la relation mérite d’être soutenue au-delà des limites de la complémentarité. Cet engagement est ce qui permet à un couple de durer, non plus seulement sur la base d’un équilibre de plaisir et de satisfaction, mais sur la reconnaissance mutuelle d’une responsabilité partagée.
Conclusion
L’amour véritable repose à la fois sur une complémentarité suffisamment bonne et sur un engagement éthique.
La complémentarité, lorsqu’elle est présente, agit comme un signe naturel : il m’est alors facile de combler l’autre, cela ne me demande que peu d’efforts et, bien souvent, cela me procure du plaisir. La relation devient ainsi un espace gagnant-gagnant, où chacun se sent enrichi par la présence de l’autre.
Mais là où la complémentarité trouve ses limites, l’amour exige une autre dimension : la capacité de consentir à l’effort, parfois coûteux, pour rassurer l’autre et répondre à ses besoins là où les miens n’y inclinent pas spontanément. C’est cette double articulation — l’évidence d’une compatibilité et la décision éthique de soutenir la relation au-delà des zones de confort — qui fonde l'autenticité de l’amour et assure sa longévité.
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