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Approche plurifactorielle des traumatismes dans le cadre de la névrose et de la psychose

Article de Marina Cavassilas publié le 10 Février 2022

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Le traumatisme est « un choc inattendu, non préparé et écrasant, agit pour ainsi dire comme un anesthésique. Mais comment cela se produit-il ? Apparemment par l’arrêt de toute espèce d’activité psychique, joint à l’instauration d’un état de passivité dépourvue de toute résistance. La paralysie totale de la mobilité inclut aussi l’arrêt de (...)pensée. » Sandor Ferenczi, Georg Groddeck, Correspondance, 1921-1933, Paris, Payot

Approche plurifactorielle des traumatismes dans le cadre de la névrose et de la psychose

IDENTIFICATION À L’AGRESSEUR, VENGEANCE ET HONTE
 
Pour Ferenczi, le traumatisme provoque un clivage autonarcissique : une partie du Moi vide se trouve remplacée par une identification à l’agresseur avec introjection de sa culpabilité et une autre partie devient auto-guérissante car omnisciente, omnipotente donnant lieu à la configuration psychique du « nourrisson savant » : un enfant très doué intellectuellement mais immature sur le plan affectif.

L’identification à l’agresseur peut faire faire au traumatisé des agirs vengeurs à l’égard d’un innocent à qui il va faire jouer son rôle d’autrefois. Cette vengeance traumatique peut être source d’une honte dévastatrice.

« Une des choses les plus dures pour les traumatisés est de se confronter à la honte de ce qu’ils ont fait lors d’un épisode traumatique. » Bessel van der Kolk, Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme

Le traumatisme chez Ferenczi résulte d’une série d’inadéquation de réponses données par l’objet à la détresse de l’enfant qui mutile son Moi à jamais, obligé d’introjecter en une de ses parties clivées l’objet primaire « défaillant » d’où cette sensation d’Hilflösigkeit qui se réactive tout au long de sa vie. Les mécanismes de défense permettant la survie psychique – le clivage et la projection entameront le processus de symbolisation et l’autonomie du Moi. En effet l’adulte qui dénie la souffrance de l’enfant altère son autonomie de pensée ainsi que sa capacité de symbolisation d’autant plus quand le traumatisme intervient avant l’acquisition du langage lorsque l’enfant n’a pas les capacités de décharge et d’élaboration.

De cette identification à l’objet défaillant et disqualifiant il peut en découler :

  • Une compulsion de répétition de la même relation mais avec les rôles inversés de passif à actif vis-à-vis d’un autre.

  • Une inhibition

  • Une dépression

  • Une hypermaturité précoce : « le nourrisson savant ». L’enfant identifie son agresseur comme un malade mental qu’il doit soigner. L’enfant devient le psychiatre de son parent défaillant. (Une vocation est née !)


La remémoration cependant ne suffira pas à la guérison. L’expérience traumatique devra être revécue dans le cadre du transfert pour que puisse avoir lieu son élaboration.

Ferenczi nous dit qu’« il faut répéter le traumatisme lui-même et, dans des conditions plus favorables, l’amener, pour la première fois à la perception et à la décharge motrice. » Sandor Ferenczi, Georg Groddeck, Correspondance, 1921-1933, Paris, Payot

Cette idée que le traumatisme cherche à être représenté au travers d’une expérience émotionnelle qui cherche à être remémorée dans le cadre transfériel de l’analyse est au cœur de la pensée de Bion (1979) dans Aux sources de l’expérience. Également chez Winnicott (1974), le traumatisme du fait d’un défaut de symbolisation entraîne « la crainte de l’effondrement » dans la cure puisqu’il a été vécu mais n’a pas pu être « éprouvé ».



LA THEORIE FREUDIENNE DU TRAUMATISME
 
La théorie freudienne du traumatisme a beaucoup évolué au fil de son œuvre. Nous relaterons les derniers temps de sa théorie qui s’est élaborée à partir des échanges que Freud a eu avec Ferenczi. Le traumatisme est y pensé désormais en lien avec un défaut du pare-excitation (Au delà du principe de plaisir 1920). L’angoisse de castration est remplacée par l’Hilflosigkeit – la détresse du nourrisson qui désigne l’effroi d’origine interne ou externe donnant lieu à une paralysie du sujet face à une effraction quantitative. Les conséquences cliniques sont la névrose traumatique avec compulsion de répétition.

Le dernier temps de la théorie freudienne du traumatisme sera celui théorisé en 1926 dans Inhibition, symptôme et angoisse. Freud établit un lien entre le traumatisme et la perte d’objet.



LE TRAUMATISME ET LA PERTE D’OBJET

Les derniers temps de la théorie freudienne du traumatisme reprendront sans le dire les idées de Ferenczi. Sa dernière version théorie du traumatisme se trouve énoncée en 1939 dans L’Homme Moïse et la religion monothéiste et son ultime et toute dernière dans « Le clivage du moi dans le processus de défense » dans Résultats, idées, problèmes II.

« Les expériences traumatiques se situent dans la période de l’amnésie infantile (...) elles se rattachent à des impressions de nature sexuelle et agressive, certainement aussi à des atteintes précoces du moi. » Freud, L’Homme Moïse et la religion monothéiste

Et Freud finit par énoncer deux types d’effets des traumatismes : positifs et négatifs.

  • Positifs, ils sont organisateurs permettant par à-coups successifs la répétition, la remémoration et l’élaboration.

  • Négatifs, ils créent une crypte dans le psychisme « un « État dans l’État » qui empêchent la répétition : « les réactions négatives tendent au but opposé : à ce qu’aucun élément des traumatismes oubliés ne puissent être remémoré, ni répété ». Effet destructeur du traumatisme sur le psychisme.


LE TRAUMATISME ET LE SYSTÈME DE DÉFENSE SELON L’ÂGE OÙ IL A LIEU
 
« Les traumatismes précocissimes sont ceux que la mémoire ne peut relier au système associatif général ; soit que plusieurs représentations d’un même événements ne puissent coexister, soit qu’aucun code symbolique ne puisse même cicatriser la mémoire de l’événement comme le fait un symbole mnésique ou un fétiche, ce qui revient à décrire une entrée des données sensorielles en dehors de toute systémisation associative, de toute catégorisation. » Neyraut M., Les raisons de l’irrationnel, Paris, PUF



LE TRAUMATISME ET SA REPRÉSENTATION - AVANT OU APRÈS L’ACQUISITION DU LANGAGE
 
Le souvenir n’est tout simplement pas intégré à la mémoire parce que l’événement intervient à un âge qui précède l’acquisition du langage or pour qu’un souvenir soit imprimé il faut que lui fut associé des mots. Pouvoir parler avec des mots de l’événement permet l’encodage et l’inscription de celui-ci dans la mémoire cognitive qui permet à l’âge adulte la remémoration de souvenirs anciens.

Les souvenirs imprimés avant l’acquisition du langage le seront donc dans une mémoire corporelle (sentie) alors que les souvenirs imprimés après l’acquisition du langage le seront dans une mémoire corporelle et cognitive permettant une re-présentation de l’événement.



NEVROSE OU PSYCHOSE COMME CONSÉQUENCES DU TRAUMATISME
 
Le destin – ce qui fera névrose ou psychose ne s’expliquerait pas comme le pensait Freud par une source de nature différente mais par le système d’encodage de l’événement disponible à l’âge auquel a lieu l’événement traumatique.

« Écrire intérieurement sa vie, chacun le fait sans cesse, le névrosé avec des hiéroglyphes, et le psychotique sur un écran qui ne prend pas l’encre. » Racamier PC., Les schizophrènes, édition payot & rivages, coll. petite bibliothèque payot

Le névrosé fut l’enfant traumatisé à un âge où il lui était possible d’écrire sa vie avec un encodage symbolique tel que le langage verbal alors que le psychotique fut l’enfant traumatisé à un âge « précocissime » où la pensée magique domine encore nettement.



CONCLUSION
 
Nous pouvons donc faire l’hypothèse que la névrose relève d’un processus positif du traumatisme du fait d’un refoulement d’une représentation (mémoire cognitive) qui a pu avoir lieu grâce à l’acquisition du langage antérieure à l’événement traumatique. Cela se manifeste dans la névrose par le fait d’une répétition à l’œuvre tant dans l’hystérie que dans le trouble obsessionnel alors que la psychose résulte d’un processus négatif du fait de l’événement traumatique intervenu avant l’acquisition du langage et n’ayant pu être représenté, ni symbolisé, ni refoulé, les mots étant nécessaire pour cela. De cette absence de symbolisation, aucune répétition n’est possible et de cette impossibilité vont naître des symptômes psychotiques comme l’hallucination ou le délire qui sont finalement des SSPT résultant des modes propres de pensées qu’ont les petits enfants à l’âge précoce du traumatisme. L’enfant qui subit un traumatisme avant de pouvoir parler va le mémoriser corporellement et va tenter cependant de le symboliser toute sa vie durant via les moyens qu’il a à sa disposition : son imagination encore très emprunte de magie (via des dessins s’il en a l’occasion ou via des hallucinations s’il n’a pas suffisamment l’occasion d’imprimer ses images sur du papier), le principe de réalité n’étant pas intégré à cet âge précoce. Le psychotique est donc celui qui est « resté » enfant précoce dans sa façon d’exprimer ses ressentis. Il a beau être adulte, quand le traumatisme est réactivé, il régresse à l’âge du traumatisme et s’exprime comme s’il avait deux ans. Le névrosé lui est capable de rationaliser ses symptômes et d’en parler avec des mots d’adulte ce qui donne à la névrose un caractère plus rationnel/réaliste et moins délirant d’apparence.

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