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Aux origines de la psychose

Article de Marina Cavassilas publié le 19 Novembre 2021

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« L’effort pour rendre l’autre fou peut consister avant toute chose, en l’équivalent psychologique du meurtre... » H. Searles

Aux origines de la psychose

A l’origine de la civilisation, il y a l’interdit de l’inceste posé par les différentes sociétés. Il en découle pour l’enfant, la frustration et le refoulement des désirs incestueux, l’intégration des interdits. De là peut naître la névrose, issue de la culpabilité développée au moment des désirs « coupables » et sa production fantasmatique qui alimente le désir (insatisfait) et qui permet le processus de la symbolisation.

A l’opposé, il y a l’inceste et son secret ou plutôt sa dissimulation. Le premier à l’avoir identifié aux sources de la psychose est S. Ferenczi et le second à l’avoir formalisé est P. C. Racamier au travers de ses concept d’« antœdipe » et d’ « incestuel »¹.

L’« incestuel » est l’inceste non fantasmé même si non accompli (exemple : un regard séducteur est de l’ordre de l’incestuel alors qu’un attouchement est de l’ordre de l’inceste). A la différence de la névrose, la psychose n’est pas organisée par l’œdipe et l’interdit de l’inceste mais par son opposé, l’inceste ou des « agirs incestuels » qui ont pour effet d’empêcher l’organisation fantasmatique nécessaire au processus de symbolisation.

LA SEDUCTION/AGRESSION ADULTE A LA SOURCE DE LA PSYCHOSE

Au travers de sa clinique des situations limites et confronté à des transferts passionnels, S. Ferenczi identifie à l’origine de la psychose un traumatisme psychique dont l’essentiel réside dans la séduction de l’adulte.

Nous élargirons cette origine à un excès d’excitation (au sens d’agression) (un enfant battu, terrorisé...) provenant de l’adulte (souvent un parent ou un proche) laissant l’enfant se défendre et se construire seul, ignoré ou dénié dans sa détresse par le parent dont il dépend pour sa survie et dont il dépend aussi pour se construire un pare-excitations et une contenance capable dans le temps de métaboliser les excitations en représentations. Lorsque le tuteur se transforme en agresseur, voire en parasite, l’enfant ne peut se développer, s’adapter correctement à son environnement et atteindre l’autonomie.

En renouant avec la théorie du traumatisme, S. Ferenczi laisse une place à la relation d’objet (versus dans la psychose, S. Freud pense que la relation est anobejctale). La psychose aurait sa source dans la défaillance de la relation à l’objet primaire du fait d’un excès de séduction de sa part ou d’une non-assistance de l’objet primaire à l’égard de l’enfant en danger face à l’agression d’un autre parent ou proche (ou bien d’une carence affective). Ainsi une de ces défaillances de l’objet primaire débouche sur une défaillance du pare-excitation et de la fonction contenante de l’enfant, ce qui produit un terrain pour développer une psychose.

Pour S. Ferenczi, si le désir porté par le langage passionnel de l’adulte rencontre le besoin de tendresse de l’enfant, il est fort probable que l’enfant se retrouve dans un état de détresse. Le traumatisme aura des conséquences psychotiques si l’environnement de l’enfant reste sourd, aveugle et muet à sa détresse et pire la dénie ou falsifie la vérité en mensonge. L’enfant intimidé, accusé de mensonge ne sait plus qui croire, ne sait plus se croire, croire en sa réalité et en celles de ses affects. La réalité que tente de lui imposer l’adulte n’est pas la sienne. Lorsque les représentations de réalité rentrent en contradiction, il en découle peu à peu un détachement de toutes ces « réalités » inconciliables entre elles, pour se protéger.

LE TRAVAIL DE SAPE DU PARENT A LA SOURCE DE LA PSYCHOSE

Il s’agit pour le parent de jouir de l’emprise qu’il a sur son enfant naïf mais de lui et/ou de se cacher que ce dernier est victime d’un crime contre l’humanité. Le travail de falsification de la réalité par l’auteur du crime – le parent incestueux ou le parent maltraitant au sens global du terme – entraine l’enfant dans un monde de confusion dans lequel il perd peu à peu tous ses repères.

« L’enfant reconnaît précocement les folies du comportement de ceux qui ont autorité sur lui, cependant, l’intimidation interdit d’exercer une critique... C’est ainsi qu’on arrive à produire, par voie de tradition, une apparente hérédité de la psychose au d’une greffe d’une composante folle de la personnalité sur le surmoi. »²

Cette notion de confusion introduite par S. Ferenczi nous renvoie à la clinique de H. Searles qui identifie chez les patients psychotiques le mécanisme d’identification projective massive permettant au patient de faire vivre sa folie, cet état de confusion originaire au thérapeute. Cet effort (du patient) pour rendre l’autre (son thérapeute) fou vise à faire vivre et donc à faire ressentir la confusion à son thérapeute pouvant le mener lui-même à un sentiment de dissociation. C’est à travers l’analyse de ses contre-transferts que l’analyste pourra par un jeu de miroir, permettre au patient de se réapproprier par la re-présentation ce qu’il lui appartient en propre.

Cet état de confusion est également identifié par M. Klein. Le psychotique manque de « miroir interne » car sa fonction réflexive est hautement perturbée du fait d’un entourage qui a tout fait pour faire de ce miroir interne un miroir déformant.

« D’après mon expérience clinique, l’individu devient schizophrène, en partie, à cause d’un effort continu – largement ou totalement inconscient – de la ou les personnes importantes de son entourage, pour le rendre fou. »³

La communication traumatique telle que la définit G. Bateson inspire à H. Searles la conviction suivante :

« Selon moi, on peut dire de manière générale que l’instauration de toute interaction interpersonnelle qui tend à favoriser un conflit affectif chez l’autre – qui tend à faire agir les unes contre les autres les différentes aires de sa personnalité – tend à rendre l’autre fou. »

L’enfant baigne dans un environnement confusant où s’affrontent des comportements et des discours en perpétuelle contradiction les uns avec les autres. Le comportement parental est particulièrement imprévisible, incohérent et détruit le sentiment de continuité que l’enfant a de sa propre perception de la réalité extérieure ainsi que de ses affects. Il en découle une perte de confiance en sa propre perception de ce qu’il ressent et perçoit. Une des modalités de ce type de manœuvre est, par exemple de laisser croire à celui qui est le destinataire d’un message qu’il a lui-même imaginé ce message.

H. Searles dresse une liste des motifs qui engendrent de telles relations interpersonnelles :

Cet « effort pour rendre l’autre fou » peut consister avant toute chose, en l’équivalent psychologique du meurtre... Ce meurtre psychique qui interdit l’individuation peut avoir pour objectif le maintien d’une relation symbiotique permettant au parent d’externaliser dans l’enfant sa pathologie mentale (Cf. parent atteint de perversion narcissique telle que définie par P. C. Racamier). Il en découle que la psychose s’inscrit nécessairement dans une histoire familiale.

Parents et enfants évoluent dans le monde de l’agir. Les désirs sont assouvis, agis. Le refoulement n’a pas lieu, les désirs immoraux n’étant pas réprimés ni insatisfaits. Pour l’enfant qui ne connaît rien de la loi, des interdits, le parent agit normalement. Le parent est la loi. Il n’y a pas transgression de la loi aux yeux de l’enfant donc il n’y aura pas refoulement. Qu’y aura-t-il donc alors ?

Il y a du côté de l’enfant un excès d’excitation qui paralyse sa capacité de représentation. La sensation est tellement forte et intrusive qu’il ne peut développer sa capacité pare-feu, pare excitante (soutenue habituellement par une contenance parentale). Toute son énergie est mise au service d’une construction d’un pare-feu d’urgence. Un pare-feu de fortune construit en urgence pour se défendre des agressions parentales génère un pare-feu de mauvaise qualité au potentiel paranoïaque fort. Le refoulement n’étant pas de mise ici, c’est le mécanisme de projection des excitations pour ne pas les faire entrer en soi qui va être développé.

La sensation envahissante du parent mobilise toute l’énergie de l’enfant pour s’auto- contenir plutôt que pour se représenter ses sensations, ses émotions et s’en distancier. La capacité de se représenter ce qu’il ressent est paralysée par la situation d’urgence à laquelle l’enfant doit faire face.

H. Searles relie cet accès à la pensée symbolique (se représenter...) à la capacité à prendre conscience de ses émotions.

« Ces frontières du moi ne peuvent s’établir que par degrés et à mesure que le patient devient capable d’affronter les émotions intenses et conflictuelles contre lesquelles le système de la maladie schizophrénique lui sert de rempart. Nous avons là en quelque sorte la preuve que les modes de pensée de l’adulte en bonne santé se construisent à partir de la prise de conscience de l’émotion. »

La psychose est donc caractérisée par l’existence d’affects inconscients, rejetons des communications traumatiques entre l’enfant et son milieu familial. L’analyste aura donc pour mission de symboliser (nommer/faire nommer par le patient) ces affects éprouvés par le patient ayant été éprouvés par l’analyste lui-même contre- transfériellement et de repérer les modes d’évitement maintenant les émotions hors de la conscience du patient.

Empêché par le parent d’exprimer donc de représenter/symboliser ses désirs, ceux-ci étant contrevenant aux désirs du parent, l’enfant use d’un subterfuge que M. A. Sechelaye explique particulièrement bien :

« Le mode de participation présymbolique magique constitue pour le schizophrène la seule manière d’exprimer ses besoins et ses désirs vitaux, parce qu’il est une manière indirecte, déguisée, la seule qui est permise. »

M. A. Sechehaye dévoile à mon sens l’origine du terrain psychotique, l’interdiction pour l’enfant d’exprimer ses désirs allant nécessairement dans le sens de son développement, ceux-ci étant contraires à ceux du parent qui œuvre inconsciemment à maintenir l’enfant dans un état symbiotique de dépendance à son égard pour le garder éternellement sous son emprise.

La psychose selon D. W. Winnicott provient d’une entrave dans le développement (maturation) qui est une « tendance innée » ne pouvant se réaliser que si les conditions nécessaires sont présentées dans son environnement dont la « préoccupation maternelle primaire » indispensable pour que l’enfant accède à « la capacité d’être seul ». Sans cette préoccupation maternelle (physiquement dans le maintien et psychologiquement dans la compréhension et l’empathie) et surtout si celle-ci est instable donc imprévisible, « la structure individu-environnement » sera source d’angoisses paranoïaques.
« Si à ce moment précis il y a carence de l’environnement, l’individu part dans la vie
avec un potentiel paranoïde. »

Nous pensons pour notre part, qu’une psychose ne se développe pas sur une carence à un moment t raté en quelque sorte mais par la répétition d’une défaillance sur de nombreux moments-clés du développement. L’imprévisibilité de la mère entame le sentiment de continuité du lien entre l’enfant et son environnement.

LE CLIVAGE COMME MODE DE SURVIE A UN ENVIRONNEMENT DANGEREUX

Dans un contexte où le parent contrecarre le développement de l’enfant, empêche l’enfant de grandir, un phénomène de clivage du Moi s’opère. Sous la pression constante donc dangereuse d’un parent à l’égard de la survie de l’enfant, S. Ferenczi identifie comme Freud un phénomène de clivage qu’il qualifiera de « narcissique » :

« Il semble vraiment que sous la pression d’un danger imminent, un morceau de notre soi se clive comme instance auto-perceptive, instance voulant s’aider soi- même et ceci vraisemblablement dès la petite et même la très petite enfance. »¹⁰  De la naît la métaphore du « nourrissant savant » ¹¹  : pour faire face à la situation de détresse, le clivage a fonction d’auto-étayage. De là peuvent apparaître des troubles de la réflexivité : « des phénomènes d’« auto-observation symbolisée du fonctionnement psychique. »¹²

Le Moi abandonne sa fonction de synthèse au profit d’un double fonctionnement. Face à un conflit qui oppose le fait de renoncer à la satisfaction pulsionnelle au fait de dénier la réalité, le sujet ne tranche pas totalement. Il se clive pour maintenir 2 parties : une reste au contact de la réalité et l’autre cède au ça. C’est à partir de ce modèle que M. Klein et ses successeurs fondent le concept de « partie psychotique de la personnalité. » Un double fonctionnement psychique est possible : une « partie saine » peut cohabiter avec une « partie psychotique » de la personnalité. La psychose s’installe quand la partie psychotique l’emporte sur la partie saine. L’objectif de la thérapie est de faire reprendre le dessus de la partie saine sur la partie psychotique en reprenant le processus de liaison et de symbolisation. C’est à partir de ce modèle que M. Klein définit les deux Positions essentielles qui renvoient aux deux modes de relation aux objets : le mode « schizo-paranoïde » et le mode « dépressif ».

Le clivage et la projection caractérisent le mode « schizo-paranoïde ». Il permet une première organisation basée sur le « bon » versus le « mauvais » et la mise à l’extérieur qui permet l’établissement d’un travail de liaison et d’introjection. La psychose est liée à une fixation pathologique à la Position « schizo-paranoïde ». L’enjeu réside dans la bascule entre la position « schizo-paranoïde » et la position « dépressive » permettant l’investissement d’un objet situé comme externe et séparé. C’est par là que la reconnaissance de la réalité est possible. La réalité interne et externe doivent être symbolisées dans le « mouvement dépressif » pour être perçues comme différentes.

M. Klein pointe que la formation des symboles est attaquée par la défense excessive et prématurée du Moi contre le sadisme, provoquant un mouvement de retrait vis-à- vis du monde extérieur. L’inhibition des fantasmes d’agression du corps maternel, vécus par l’enfant comme terrifiants entrave le mouvement de symbolisation et bloque le développement du Moi. Le dépassement de la position « dépressive » est lié à la maîtrise par le Moi des angoisses engendrées par le sadisme de l’enfant envers les objets internes et externes. L’angoisse organisatrice chez M. Klein n’est pas liée à la castration qui prend sa place dans le complexe d’Œdipe de la théorie freudienne mais à l’agressivité de l’enfant et des risques de destruction de l’objet et de (auto-)punition qu’il encourt. La théorie de S. Freud et celle de M. Klein se rejoignent cependant sur le devenir de la culpabilité dans chacune de ces épreuves. Si la culpabilité est trop forte, l’angoisse le sera également et le projet de différenciation d’avec la mère par sadisme sera abandonné. La peur de destruction de l’objet et de soi (d’où l’angoisse de mort) car non différencié de l’objet est une clé majeure pour comprendre la fixation au stade schizo-paranoïde.

« Un travail plus poussé nous permet, dans certains cas, d’avoir accès à la culpabilité et à la dépression liées au sentiment d’être dominé par les pulsions destructrices et de s’être détruit soi même ainsi que son bon objet par les processus de clivage...Tandis que l’angoisse paranoïde est éprouvée dans la plupart des parties du moi clivé, et donc prédomine, la culpabilité et dépression ne sont éprouvées que dans certaines parties du moi qui, pour le schizophrène, sont hors d’atteinte jusqu’à ce que l’analyse permette de les rendre conscientes. »¹³

Le mécanisme d’identification projective qui porte le transfert psychotique permet certes la projection de sentiments « hors d’atteinte » mais dont le risque est un sentiment pour le sujet psychotique de perdre son Moi dans l’objet. Le risque est une projection sans réflexivité.

Quand le parent est dans un état de dépendance à l’égard de l’enfant car il a déposé en lui une pathologie ou a lui-même besoin de l’état symbiotique pour survivre, il va de soi que la peur et la culpabilité de l’enfant de tuer psychiquement son parent en le privant de lui pour survivre/en se différenciant ne peut que le mener à la paralysie.

LES TENTATIVES DE L’ENFANT POUR S’EN SORTIR 

L’enfant tentera de séparer et éprouvera des pulsions sadiques meurtrières souvent exprimées à travers des fantasmes de vengeance qui sont pour H. Searles l’expression d’une insupportable angoisse de séparation. A propos d’un patient dont il relate le cas :

« Il prononça ces derniers mots sur le ton vengeur qui lui avait été si caractéristique jusqu’ici. Il me parut assez clair à ce moment que son désir de vengeance avait une fonction défensive, celle d’empêcher qu’il prenne conscience d’une partie de son angoisse de séparation – à l’origine séparation d’avec sa mère quand il était tout petit – et de son angoisse de la solitude associée à cet état de séparation. »¹⁴

Le désir de vengeance exprimerait la haine à l’égard de soi projetée sur l’autre de ne pas réussir à s’en séparer. Lorsque la haine échoue à séparer l’enfant de sa mère, une des tentatives de l’enfant pour s’en sortir n’est-elle pas de rester fixé à une pensée présymbolique, la pensée magique ? La pensée magique est un refuge dans lequel il a le droit d’exprimer ses désirs, ceux-ci étant déguisés à ses yeux ainsi qu’aux yeux des autres.

COMMENT GUERIR D’UNE PSYCHOSE ?

Nous avons exploré les origines du meurtre psychique qui a donné lieu à un terrain psychotique. A l’origine des parents qui utilisent leur enfant pour assouvir leurs désirs a contrario des désirs de l’enfant qu’ils s’efforcent de présenter comme mauvais, illégitimes afin de persuader l’enfant d’y renoncer. Dans un cadre violent, incestuel, le parent s’est excité sur l’enfant et a excité l’enfant : de l’allumette qui se frotte sur la surface... naît une étincelle, le feu puis très rapidement le charbon et l’odeur de cramé. Dans ce jeu incestueux et/ou violent l’enfant est cramé à petit feu. Le rôle de l’enfant est d’assouvir le désir de son parent. Tel est sa raison d’être.

Que se passe-t-il lorsque le parent change d’objet ?

Une fois ce jeu terminé pour le parent, privé d’assouvir le désir du parent, l’enfant n’a plus aucune raison d’être. N’être plus l’objet du désir parental ou n’être plus interdit d’exprimer son désir laissera-t-il la place au d’être au désir qui n’a jamais été autorisé? Le désir de l’enfant interdit jadis par le parent pourra-t-il un jour ressurgir et s’exprimer « légitimement » ? Nous pensons que oui, cela est possible dans le cadre d’une thérapie grâce au transfert de psychose.

LES APPROCHES THERAPEUTIQUES DES PSYCHOTIQUES

M. A. Sechehaye promeut l’approche « maternelle ». Le thérapeute, telle une « mère analysante » doit avoir un « intérêt affectif » et la « fibre maternelle ». Elle valorise le rôle de l’« intuition », du « senti », le décodage des expressions « présymboliques magiques » par lesquelles les besoins et les désirs régressés des malades réclament satisfaction. M. A. finira même par adopter sa patiente Renée.

Pour M. Klein le thérapeute n’est plus l’écran sur lequel se dessinent les fantasmes et les scenarios projetés par le patient dans le transfert, il est du fait d’une identification projective opérée par le patient, le contenant de la partie clivée, non symbolisée du patient. Il est le lieu qui va recevoir l’« impensé de soi ». M. Klein considère que l’enjeu n’est pas la relation d’objet primaire en tant que telle mais les processus de traitement des conflits et des angoisses au sein de cette relation :

« Je soutiens que le transfert prend naissance dans les mêmes processus que dans les stades les plus précoces déterminant les relations d’objets. »¹⁵

Pour M. Klein la formation des symboles est liée à la dialectique entre les positions « schizo paranoïde » et « dépressive ». Au travers du transfert, la méthode de M. Klein est d’imposer un système symbolique à son patient. Elle propose un système symbolique là où il n’y en a pas. Les interprétations faites aux patients adultes psychotiques sont donc de même nature que celles pratiquées lors d’une analyse d’enfant.

Pour H. A. Rosenfeld, l’objet est le contenant dans lequel le patient tout-puissant projette les parties de lui-même qu’il rejette. Et à l’inverse, le psychotique peut s’identifier à l’objet dans un mouvement introjectif au point de ressentir qu’il est l’objet. Ces « relations d’objet omnipotentes » constituent des défenses narcissiques contre la reconnaissance de la séparation du soi et de l’objet.

Pour D. W. Winnicott les transferts psychotiques et limites s’articulent autour d’une relation de dépendance que l’analyste doit accepter pour que se rejouent les expériences précoces traumatiques. Dans cet état de dépendance, le patient va « exploiter » les failles de l’analyste pour revivre dans le transfert la haine éprouvée dans sa confrontation aux faillites de son environnement primaire. Cela peut entraîner la haine dans le contre-transfert. Il va falloir que le thérapeute analyse ses contre-transferts et ses contre-attitudes qui pourraient être dommageables au patient. Le travail interprétatif devra se fonder sur l’éprouvé contre-transfériel composé d’affects massifs. Il s’agira pour le thérapeute de savoir haïr sans détruire, capacité que D. W. Winnicott considère normale chez la mère. Le thérapeute doit en quelque sorte jouer le rôle d’une mère normale :

« Le plus remarquable, chez une mère, c’est sa capacité d’être maltraitée sans le faire payer à l’enfant et sans attendre une récompense qui pourra ou non venir ultérieurement. »¹⁶

Pour H. Searles la guérison de la schizophrénie s’articule autour d’une symbiose thérapeutique revécue dans le transfert. Le premier contact est un « non-contact » qui protège le patient. Suit une relation très ambivalente qui fait : « ressurgir l’époque du développement du patient où la symbiose mère nourrisson était marquée de trop d’ambivalence pour qu’il puisse passer normalement de l’identification à la mère à l’établissement d’une bonne individuation ; l’ambivalence a été trop intense à cette époque pour qu’il puisse développer un moi intégré, et son développement du moi s’est transformé à la place en un autisme défensif qui créait un terrain favorable au développement ultérieur d’une schizophrénie. »¹⁷

Dans ce moment de la relation, le patient cherche la symbiose et la fuit car elle a été déstructurante pour lui.

Le troisième temps transfériel est marqué par l’effort du patient pour « aider le thérapeute-parent à s’affirmer comme personne séparée et totale. » Le parent du patient psychotique n’a pu se résoudre à abandonner la relation symbiotique. L’enfant est en fait prisonnier de la pathologie narcissique de son parent qui n’a jamais pu accéder lui-même à l’individuation. L’angoisse du patient vit son maintien de la relation symbiotique comme un meurtre de son individualité et angoisse du fait que son individuation pourrait tuer le parent privé de la symbiose.

Le quatrième et dernier temps d’une thérapie de psychotique est marqué par la volonté du patient à penser par lui-même, à fonctionner en individu séparé. Le thérapeute peut se sentir annihilé, sadisé par le patient qui refuse son aide. Cela correspondrait pour H. Searles au moment où le parent pense en permanence à la place de l’enfant l’empêchant de rencontrer sa propre réalité externe et interne. Le rejet de la réalité est en lien avec le rejet de cette « réalité pensée par le parent ». H. Searles estime donc nécessaire le rejet de cette réalité pour que le patient psychotique naisse comme individu.

Bibliographie :

¹ RACAMIER P. C., 1992, Le génie des origines, Payot, p.136

² FERENZCI S., 1932, « La confusion des langues entre l’adulte et l’enfant. », Psychanalyse 4, Payot, 1979, p. 100
³ SEARLES H., 1959, « L’effort pour rendre l’autre fou », L’effort pour rendre l’autre fou, Gallimard, 1977, p. 155
BATESON G., 1969, « La double contrainte », Vers une écologie de l’esprit, Le Seuil, 1980
SEARLES H., 1959, op. cit. p.157

SEARLES H., 1962, « Différenciation entre pensée concrète et pensée métaphorique chez le schizophrène en voie de guérison », Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1982, n°25, p.333

SECHEHAYE M. A., 1952, Introduction à une psychothérapie des psychoses, PUF, p.9
WINNICOTT, D. W. 1958, « La capacité à être seul », De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969
WINNICOTT D. W., 1952, « Psychose et soins maternels », De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969, p.107

¹⁰ FERENZCI S., 1932, Journal clinique, Payot, p.98
¹¹ FERENZCI S., 1923, « Le rêve du nourrisson savant », Psychanalyse 3, Payot, 1974
¹² FERENZCI S., 1912, « Formations symptomatiques passagères au cours de l’analyse », Psychanalyse, t. 1, Payot, 1975, p.206

¹³ KLEIN M., 1960, « Notes sur la dépression chez le schizophrène », Psychanalyse à l’Université, 1983, 8, 1987-191

¹⁴ SEARLES H., « La psychodynamique du désir de vengeance », L’effort pour rendre l’autre fou, p.183

¹⁵ KLEIN M., 1946, « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes », Développement de la psychanalyse, PUF, 1966, p.23
¹⁶ WINNICOTT, D. W., 1963, « L’état de dépendance dans le cadre des soins maternels et infantiles et dans la situation analytique », Les processus de maturation chez l’enfant, Payot, 1974, p.74

¹⁷ SEARLES H., 1963, « La psychose de transfert dans la psychothérapie de la schizophrénie chronique », L’effort pour rendre l’autre fou, Gallimard, 1977, p. 386

Bibliographie

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