En quoi la névrose est-elle une pathologie nécessaire ?
Article de Marina Cavassilas, publié le 24 Décembre 2021.
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« La vie telle qu’elle nous est imposée est trop lourde pour nous, elle nous apporte trop de douleurs, de déceptions, de tâches insurmontables. Pour la supporter, nous ne pouvons nous passer de moyens palliatifs [...]. De tels moyens, il en est peut-être de trois sortes : de puissantes diversions qui nous font mépriser notre misère, des satisfactions de substitution qui la réduisent, des stupéfiants qui nous y rendent insensibles. » Malaise dans la civilisation, Freud
A l’origine le terme « névrose » désigne une affection sans lien avec un problème organique (démontrable). Freud est le premier à énoncer clairement qu’il s’agit d’une pathologie nerveuse aux origines psychiques et à tenter d’en rechercher les causes dans un conflit psychique d’origine infantile. Pour Laplanche et Pontalis, la névrose est « une affection psychogène où les symptômes sont l’expression symbolique d’un conflit psychique trouvant ses racines dans l’histoire infantile et constituant des compromis entre les désirs et les défenses. » Vocabulaire de la psychanalyse, 1984, p267.
Les trois formes principales de la névrose sont l’hystérie, la phobie et le TOC (Trouble Obsessionnel Compulsif).
Dans l’hystérie, le conflit originel s’exprime via une symbolisation somatique. Cela peut déboucher à l’extrême sur l’hypocondrie quand le corps devient un écran de projection symbolique des conflits inconscients. Il n’est pas rare de soupçonner que les parties du corps soupçonnées d’être malades symbolisent ce qui fut défaut ou problématique dans l’enfance. L’hypocondrie est donc un système de défense psychique qui permet au sujet de trouver une cause concrète interne (une pathologie organique) à son angoisse et lui laisse croire qu’il peut s’en protéger en soignant la partie de son corps malade via une prise en charge médicale. Selon Freud : « les hystériques souffrent de réminiscences. Leurs symptômes sont les résidus et les symboles de certains évènements (traumatiques). Symboles commémoratifs à vrai dire. » Cinq leçons sur la psychanalyse.
Dans la phobie, l’objet, l’animal ou la situation crainte symbolise ou métaphorise la cause originelle de l’angoisse. Le déplacement n’est pas ici interne/intériorisé - sur une partie du corps mais il est extériorisé sur un objet, un lieu ou bien un animal qui symbolisent inconsciemment pour le sujet les caractéristiques de la personne/situation à l’origine de l’angoisse. La phobie est donc un système de défense psychique qui permet au sujet de trouver une cause concrète externe à son angoisse et lui laisse croire qu’il peut s’en protéger en évitant simplement son contact.
Quant au TOC (Trouble obsessionnel compulsif), il peut être soit mental (une pensée obsédante : « mentisme »), soit comportemental (un geste ou un comportement irrépressible). Selon Freud, ce type de névrose résulterait d’un conflit originel entre des pulsions érotiques et des pulsions destructrices. Ce peut-être une des causes comme pour les autres névroses d’ailleurs mais il en existe d’autres.
En effet, dans les trois cas, c’est l’angoisse qui domine le sujet. Ce dernier ignore sa cause, voire même le fait qu’il est angoissé. Or nul ne supporte l’angoisse... Inconsciemment pour s’apaiser de cette angoisse, le sujet va tenter de trouver un moyen de l’apaiser.
-Certains privilégient le passage à l’acte en prenant des drogues, en s’alcoolisant, en mangeant outre mesure ou en ayant des comportements « extrêmes » sexuels ou sportifs... - D’autres, les névrosés, utilisent des ressources psychiques internes pour non pas pour fuir totalement l’origine de l’angoisse en s’abrutissant avec des drogues mais pour tenter d’y donner forme. Les comportements névrotiques sont une recherche inconsciente d’un moyen d’expression de la source de l’angoisse soit par le corps soit pas le mental. Le sujet a peur mais, inconscient du pourquoi, il va trouver dans son corps ou dans une idée obsédante une cause artificielle mais en tout cas symbolique qui explique pour lui la cause de son angoisse.
« Tout névrosé qui souffre d’inhibition se défend contre la réalisation d’une pulsion interdite, c’est-à-dire contre le déplaisir provoqué par un danger intérieur. Même dans le cas où l’angoisse et la défense sont, à ce qu’il semble, en connexion avec le monde extérieur, comme dans les phobies, c’est cependant de lui-même que le névrosé a peur ; il évite d’aller dans la rue pour ne pas s’y trouver exposé à ses propres tentations d’autrefois. Il fuit devant son animal d’angoisse, non pour échapper, non pour échapper à cet animal, mais bien pour esquiver ses propres émois agressifs et leurs conséquences, émois qu’une rencontre ferait renaître. » Ana Freud, Le moi et les mécanismes de défense, Puf, p96.
La peur d’avoir une maladie, la peur des microbes, la peur d’échouer, la peur de perdre ses clés, la peur de.... – et les moyens mis en œuvre par le sujet pour y remédier - sont une tentative de contrôle d’une angoisse dont la cause est autre, enfouie dans un passé refoulé ou un présent insupportable. L’énergie investie dans le contrôle sert de rempart contre le retour du refoulé.
Voici ce qu’il en est de la symptomatologie de la névrose.
Cela ne nous explique pas encore en quoi la névrose serait nécessaire.
La névrose est nécessaire car elle est une première tentative d’expression de l’angoisse cachée dont souffre le sujet.
« Tout symptôme, n'est-il pas une façon de dire, en même temps que de cacher quelque chose à quelqu'un ? » Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne.
Pour guérir d’une angoisse qui a pris sa source dans un conflit non résolu de l’enfance (ou contemporain) ou dans un trauma non symbolisé (dont on n’a pas (pu) parlé...pas pris conscience...) il faut d’abord pouvoir se représenter cette angoisse puis dans un second temps évidemment la décoder sur le plan symbolique pour comprendre son origine. Le psychisme déguise l’origine authentique de l’angoisse d’où la forte symbolique des rêves quand le conscient dort. Quand le conscient n’est pas en veille, le psychisme trouve aussi toutes sortes de stratagèmes pour exprimer l’angoisse en la déplaçant dans des comportements qui lui donnent forme/la représente de manière symbolique.
La névrose est donc une pathologie nécessaire puisqu’elle permet au sujet de se représenter son angoisse issue du passé ou contemporaine et donc de l’apaiser un peu via des idées ou des comportements certes désagréables mais moins dangereux que des passages à l’acte qui ne font qu’annihiler temporairement l’angoisse - drogue, alcoolisme, sexualité débridée..., jeux d’argent...- et qui créent une dépendance menant potentiellement à l’autodestruction, voire la mort (suicide, overdose...).
La névrose est un moindre mal car elle permet un léger apaisement de l’angoisse via sa mise en représentation. Par exemple pour un hypocondriaque, imaginer qu’il a une maladie et qu’un traitement médical va le guérir participe à apaiser son angoisse. Cela est préférable au fait de se saouler pour ne plus sentir l’angoisse ou dépenser son salaire en une matinée en jouant à des jeux à gratter.
L’avantage de la névrose comparée à la psychose c’est que le sujet se représente quelque chose de son angoisse.
« Écrire intérieurement sa vie, chacun le fait sans cesse, le névrosé avec des hiéroglyphes, et le psychotique sur un écran qui ne prend pas l’encre. » Les schizophrènes (1980), Paul-Claude Racamier, édition payot & rivages, coll. petite bibliothèque payot, 2001, p 192.
Le névrosé reste dans le contrôle de son angoisse alors que dans la psychose, l’angoisse n’est plus maîtrisable. Elle est trop forte, la symbolisation est à l’œuvre aussi dans le délire (ex : délire de persécution. = enfant autrefois persécuté par ses proches...) car le délire ou l’hallucination symbolisent très souvent l’angoisse d’origine sous l’angle d’une réparation rassurante (délire mégalomaniaque : je suis Dieu, je suis génial vs enfant mes parents me disaient que j’étais minable) mais le sujet a perdu le contrôle de soi et les conséquences sur le plan social peuvent être dramatiques : perte d’emploi, rupture amoureuse, isolement social... Le délire apaise l’angoisse mais coupe le sujet de lui-même et des autres. Il est donc dangereux pour un sujet psychotique en plein délire de tenter de le ramener à la raison car son délire le protège d’une angoisse extrême, insupportable.
Le sujet état limite ou bipolaire oscille entre ces deux pôles :
-
Inhibé dans un contrôle extrême de son angoisse en mode hyper névrose
-
versus
-
Désinhibé et totalement désangoissé en mode délire psychotique
La névrose est donc une pathologie nécessaire car elle permet la symbolisation d’un conflit et que sans symbolisation le conflit ne peut être ni conscientisé, ni compris et donc encore moins résolu, liquidé.
Le but d’une thérapie analytique sera de décoder les formes symboliques empruntées pas les idées obsessionnelles ou les comportements pathologiques pour y identifier le conflit ancien ou contemporain qui angoisse l’analysant. L’accès au conflit d’origine n’est possible que par ce travail de décodage symbolique. Il est parfois difficile d’accès car bien souvent y est associée une émotion de souffrance extrême et/ou de terrible culpabilité. Ce n’est qu’au prix de ré accéder à cette (horrible) émotion en y liant la représentation du conflit qu’on peut se décharger de l’angoisse que ce conflit ou ce trauma a généré.
La névrose est nécessaire en ce sens qu’elle est aussi le résultat d’un conflit infantile entre notre Ça (notre animalité, nos pulsions) et notre Surmoi (les interdits, les règles qui permettent la civilisation et donc la répression des pulsions). La névrose est le résultat de l’intégration des interdits qui permettent la vie civilisée en société. Cette répression des pulsions issue de l’enfance (comme les pulsions incestueuses par exemple à l’égard du parent, objet d’amour primaire) induit plus ou moins de frustration et de culpabilité d’où plus tard à l’âge adulte une inhibition pathogène.