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Nouvelle Théorie du Traumatisme Psychique

Article de Marina Cavassilas, publié le 7 juin 2023.

Ce contenu est protégé par les droits d’auteur. Toute citation doit impérativement mentionner l'auteure de cet article (Marina Cavassilas), la date de parution et le lien web vers l'article.

NB : Le texte complet sera accessible prochainement dans un ouvrage qui est en cours d’édition. Patience !

« L’accumulation d’expériences émotionnelles de nature similaire pendant l’enfance contribue à la mise en place de schémas de pensée, de comportements et d’affects qui produiront par la suite la forme de traits de personnalité relativement stables. » (Luminet O., Grynberg D., Psychologie des émotions, introduction, p. XVIII, deboeck Supérieur, 2021)

Théorie du Traumatisme : les 18 traumatismes émotionnels qui conditionnent notre caractère et nos relations aux autres

Comment se construit un traumatisme sur le plan neurobiologique, ses conséquences en termes de construction du caractère (pourquoi devient-on jaloux, peureux, sadique, altruiste... ?) et de comportements symptomatiques décrits par la psychiatrie et la psychanalyse, oscillant de la névrose à l’autisme en passant par la psychose, la dépression ou la perversion ? Toutes ces notions sont réorganisées en un nouveau modèle théorique associant les données de la neurobiologie à celles de la psychiatrie et de la psychanalyse.

 

Les recherches récentes en neurobiologie nous apprennent qu’une émotion a pour fonction d’alarmer l’organisme d’un danger ou d’un gain pour sa conservation : c’est ce que nous appelons le stress. Nos émotions nous poussent ainsi à agir pour rétablir une situation sécuritaire dans le cas des émotions dites négatives (peur, dégout, honte, tristesse, jalousie...). Au cours de l’évolution, nous avons développé 4 grands types de mécanismes de défense possible pour y parvenir, des plus archaïques et désuets aux plus modernes et efficaces :

- Immobilisation (tétanie, dissociation, dépression...)

- Mobilisation (agrippement/fuite/agression...)

- Corégulation sociale émotionnelle

- Rétroaction corticale sur les défenses amygdaliennes. Ce dernier sur le plan de l’évolution est le plus spécifique à l’espèce humaine.

 

Mon étude démontre qu’un traumatisme psychique se produit lorsqu’un mécanisme défensif échoue de manière intense, une fois décisive, ou, à diverses reprises (pendant l’enfance en particulier), à rétablir une situation sécuritaire et à calmer l’émotion déclencheuse. Non éteinte, l’émotion continue d’agir et d’alerter le sujet au moindre indice, en lien même très indirect avec l’événement traumatique initial. Le sujet est ainsi traumatisé de peur ou bien de honte, de jalousie selon ce qui s’est mal passé à l’origine...et risque de devenir intrinsèquement peureux, honteux, jaloux de manière structurelle...et angoissé de ressentir ces émotions sans être capable de savoir ou de conscientiser d’où elles viennent.

 

Le traumatisme psychique tel que défini de manière traditionnelle comme un choc stuporal suivi d’une tétanie et de SSPT n’est donc pas paradigmatique du traumatisme psychique. Il correspond simplement au traumatisme de l’émotion stupeur mais bien d’autres sont possibles. Il existe autant de traumatismes qu’il existe d’émotions, traumatisables.

 

Ma pratique de psychanalyste auprès de mes analysants m’a permis d’identifier 18 émotions traumatisables dans l’enfance en particulier lorsque l’environnement familial ne parvient pas à sécuriser l’enfant, du fait qu’il est généralement le générateur des émotions en question. Et pour chacune, une quarantaine de comportements défensifs parmi les 4 grands types de mécanismes de défense. Soit environ 720 traits de caractère qui composent l’alphabet de notre caractère émotionnel et relationnel dont la combinaison donne un nombre infini de caractères possibles !

 

Dans ma pratique, ma méthode consiste donc à identifier avec l’analysant :

-l’émotion originelle traumatisée,

-les mécanismes défensifs systématiquement sollicités pour y faire face (correspondant aux symptômes psychiatriques -névrotiques, psychotiques, autistiques, dépressifs, pervers...), sources de souffrance du fait de la répétition traumatique et de son échec à apaiser l’émotion et la situation conflictuelle qui l’a provoquée.

- les indices de l’événement traumatique qui réveillent toute cette mécanique traumatique.

Une fois ce travail fait, je travaille ensuite avec l’analysant à désamorcer toute la chaîne du conditionnement traumatique pour que l’émotion traumatisée originelle reprenne sa fonction normale d’alerte ponctuelle en fonction d’un contexte qui l’exige (situation normale de stress) plutôt que d’un passé traumatique qui s’impose comme un « éternel retour » inextinguible (situation pathologique d’angoisse).

AVANT PROPOS

 

La psycho-traumatologie est enseignée en France depuis très peu de temps. Pour la première fois, elle l’est dans le cadre d’un diplôme universitaire à l’Université Paris Cité depuis Janvier 2023. Ce diplôme est présenté ainsi sur le site internet :

« La psycho-traumatologie, discipline faisant l’objet d’une des plus grandes bases de données scientifiques internationales (www.istss.org) n’est pas enseignée en France comme l’est la victimologie, inter-discipline concernant l’accompagnement social et judiciaire des victimes et la recherche sur la cause des victimisations sur le plan sociologique. » (Site web de présentation du DU de Psycho-traumatologie par l’Université Paris Cité)
 

Mes recherches dans ce domaine ont été possibles grâce à l’AFTD Association Francophone du Trauma et de la dissociation fondée en 2015 qui soutient aussi un diplôme universitaire en psycho-traumatologie dispensé récemment par le centre Pierre Janet à l’Université de Lorraine. Ce DU y est introduit ainsi sur le site internet :

« Longtemps à la marge, la psychotraumatologie est devenue une spécialité à part entière. Une prise de conscience sur la nécessité de mieux connaitre et de mieux accompagner les personnes souffrant de blessures psychiques s’est ainsi développée, notamment dans le cadre de traumatismes collectifs (attentats, catastrophes naturelles, accidents industriels, guerres) et microsociaux (agressions, accidents de la route, accidents du travail). Car, s’il est non-traité, le traumatisme peut conduire à de sérieuses conséquences négatives à long terme en termes psychologiques, psychiatriques, somatiques et sociaux (isolement, actes médico-légaux, perte d’emploi).
Cet intérêt récent souffre parallèlement d’une dispersion hasardeuse de certains concepts. Il apparait donc indispensable d’offrir une définition, ou plus précisément des définitions, de ce que constitue et de ce qui est constitué par les traumatismes psychiques. Quels événements sont traumatiques ? Quelles sont les spécificités du trauma sur le plan séméiologique ? Comment aborder ces troubles avec un regard psychologique. » 
(Site web de présentation du DU de Psychotraumatologie par le centre Pierre Janet à l’Université de Lorraine)

Ma prise de connaissance de la littérature scientifique en psycho-traumatologie et en neuropsychologie associée à ma pratique quotidienne de la psychothérapie et de la psychanalyse d’orientation ferenczienne (Inspiré des travaux de Sandor Ferenczi reconnaissant la réalité objective des traumatismes d’agression relatés par les victimes adultes les ayant subis enfant, opposés aux déclarations de Freud attribuant ces plaintes d’agression à des fantasmes innés dont seraient dotés tous les êtres humains) m’a permis d’effectuer un examen critique des concepts de la psychanalyse, des classes diagnostiques de la psychiatrie et des concepts de la neuropsychologie pour les repenser - non plus en opposition ou en ignorance les uns des autres -  mais au contraire – dans ce qu’ils ont de commun, par-delà le lexique, les outils et le lieu d’observation propres à chaque discipline.

Dans cet écrit sadressant à tous, spécialistes et néophytes, j’utiliserai un vocabulaire du langage courant le plus souvent possible, afin que chacun puisse s’approprier les concepts de ces différentes disciplines.
Les concepts issus de ces différentes disciplines seront articulés entre eux dans un modèle théorique réunificateur dont je m’efforcerai de démontrer la validité scientifique. Avant d’introduire et de développer mon propos, je propose un résumé de ma recherche. Un 1er, très synthétique et un second, plus développé.

RÉSUMÉ

Les émotions sont fonctionnelles : elles nous informent d’un gain ou d’un danger potentiel pour notre conservation et notre reproduction. Les émotions qui nous alarment d’un danger sont reliées à différents systèmes de défense hérités d’une longue histoire phylogénétique – les 2 plus anciens sur l’échelle de l’évolution sont matures dès la naissance (l’immobilisation et la mobilisation) alors que les 2 plus récents sont immatures à la naissance (la co-régulation émotionnelle et la rétroaction corticale sur les défenses primaires) et ne se développeront que si les conditions sont favorables (un sentiment de sécurité prodigué par l’environnement familial). Lorsqu’un danger est détecté par le système inconscient de la neuroception, les émotions et les sensations spécifiques du système de défense sélectionné, se manifestent en nous, en vue de nous faire agir et penser - pour assurer notre survie, puis, recouvrer un sentiment de sécurité, du fait d’un retour à l’homéostasie. Le cas échéant, si les situations de danger trop souvent générées par l’environnement familial, sont répétées, et les émotions relatives, non suffisamment apaisées, alors, ces dernières deviennent traumatiques en ce sens qu’elles n’arrivent pas à leur fin (nous apaiser) et continuent d’agir en nous jusqu’à intégrer peu à peu la structure de notre caractère, le conditionnant à réagir émotionnellement de manière identique au moindre indice évoquant de près (et même de loin) le passé traumatique.


Ainsi, notre caractère acquis - et les conflits relationnels récurrents qui en découlent - résultent de traumatismes émotionnels forgés dans l’enfance en réaction à un environnement (familial le plus souvent) - trop insécurisant et pas assez co-régulant émotionnellement pour que l’enfant, puisse développer, ses propres capacités de régulation (autorégulation) puis de co-régulation émotionnelles à l’égard des autres.


Des difficultés à s’autoréguler associées à des conditionnements émotionnels défensifs qui s’emballent au moindre indice traumatique évocateur du passé avant même que le sujet puisse conscientiser quoique ce soit (= l’angoisse), donnent lieu à des modes de gestion de l’émotion traumatique assimilables à des SSPT (syndromes de stress post traumatique). Les modes de gestion de l’émotion traumatique qui ne relèvent pas de l’autorégulation sont donc des SSPT et sont de type - psychotiques, autistiques, borderlines, pervers ou névrotiques selon que la personne traumatisée est dominée et envahie par l’E.T (l'émotion traumatique) ou tente douloureusement de la dominer. Nul n’est exempt d’un seul SSPT de l’enfance. Chacun a un caractère unique qui s’est forgé au fil des expériences émotionnelles de son enfance dont il est possible toutefois d’y déceler des « logiques ». Ma pratique en rétroaction permanente avec mes lectures théoriques m’a fait repérer 18 types d’émotions traumatiques. Celles-ci peuvent être gérées à l’aide d’une quarantaine de défenses, soit 18x40 : 720 défenses au global dont la combinaison donne lieu à « 720 factorielle », soit une infinité de caractères possibles ! Les moyens d’amoindrir nos SSPT sont possibles via l’acquisition et la consolidation de nos 2 défenses les plus récentes sur le plan phylogénétique : la co-régulation émotionnelle via les expériences de catharsis sociale et la connaissance de soi, de ses conditionnements émotionnels qui permet une rétroaction corticale sur eux. La thérapie analytique est le lieu de ces expériences et d’un retour à l’homéostasie !

La théorie polyvagale de Stephen Porgès (Porges S. W., 2021. La théorie polyvagale. Fondements neurophysiologiques des émotions, de l’attachement, de la communication et de l’autorégulation. EDP Sciences) a démontré l’existence de 3 systèmes de défense qui se sont développés au cours de l’évolution des espèces.  Nous avons conservé les plus anciens hérités d’une longue histoire évolutive malgré l’apparition de nouveaux, plus adaptés aux dernières évolutions de notre espèce.

Dans l’ordre d’apparition sur l’échelle de l’évolution, les 3 systèmes de défense sont les suivants :

  • Le système de défense le plus ancien que nous avons en commun avec les reptiles par exemple, est le système de défense par immobilisation (inhibition de l’action motrice et psychique lorsque nous sommes pétrifiés pour ainsi dire « morts de peur » = l’animal s’immobilise de manière inconsciente et automatique pour ne pas être repéré par le prédateur) intégré au système nerveux parasympathique dorsal. Cette immobilisation se traduit par une dépression brutale des fonctions métaboliques, réduction du rythme cardiaque, de la tension artérielle, diminution de l’oxygène dans le cerveau d’où des sensations désagréables de malaise vagal/confusions mentales pouvant aller jusqu’à la syncope, de dissociation, d’apathie affective, de léthargie, d’état dépressif, des comportements de soumission au prédateur et de mise à l’abri du danger (ce qu’évoque le repli autistique). L’immobilisation se déclenche quand le système inconscient et très rapide de détection du danger – la neuroception - détecte un indice interprété comme étant mortel, c’est-à-dire contre lequel les chances de survie en cas d’affrontement ou de fuite sont nulles. Plus l’être vivant est démuni pour se défendre seul, plus ce système risque d’être sélectionné. La période de l’enfance – de dépendance absolue à l’environnement pour survivre - est donc « propice » au déclenchement de ce type de défense.

  • Ensuite s’est développé le système de défense par mobilisation intégré au système nerveux sympathique assurant l’affrontement/le combat, la fuite ou l’agrippement du petit au corps/pelage maternel. C’est Imre Hermann (Hermann I.,1972. L’instinct filial de l’homme, Paris, Denoël) qui a mis en évidence l’agrippement. Les 2 autres avaient déjà été mis en évidence par Henri Laborit dans l’Éloge de la fuite (Laborit H., 1967. Éloge de la fuite, Paris, Folio Essais, 1985). Au contraire de l’immobilisation, la mobilisation hyper active les fonctions métaboliques, augmentation du rythme cardiaque, de la tension artérielle, de l’adrénaline, les sens sont aiguisés (hyper sensorialité) ... Ces modifications peuvent être sont sources d’auto ou d’alter agressions tant physiques que verbales, de fuite dans l’hyperactivité...de dépendance affective et/ou physique, matérielle à autrui ou d’addictions à une substance apaisante dans le cas de l’agrippement.

  • Le dernier sur l’échelle de l’évolution commun aux mammifères sociaux et mis en évidence scientifiquement par Stephen Porgès est le système de défense par co-régulation sociale émotionnelle intégré au système nerveux parasympathique ventral permis par le langage corporel émotionnel (postures corporelles, expressions faciales, vocalisations, etc.), assuré les premiers temps de vie par la mère généralement majoritairement en relation dyadique avec le petit mais aussi par les autres membres de l’environnement familial. Cette co-régulation apaisante assurée par l’environnement familial est une condition nécessaire pour que le petit puisse développer ses propres capacités d’auto et de co-régulation émotionnelles essentielles pour inhiber les deux autres systèmes de défenses plus archaïques potentiellement délétères - tant sur plan biologique (immunitaire et cardiovasculaire) que sur le plan des éprouvés psychiques et des conflits relationnels qu’ils engendrent.

3 systèmes auxquels il me semble nécessaire de rajouter un système de défense supplémentaire :

  • Le système de défense assuré par le néocortex tel que décrit par Joseph Ledoux qui permet une rétroaction corticale sur les réponses défensives opérées par l’amygdale. Joseph Ledoux (Ledoux J., 1994. Emotion, memory and the brain dans Scientific American, June 1994, vol 270) a démontré que les comportements défensifs opérés par l’amygdale après analyse très rapide et grossière des indices de danger, ont lieu avant toute prise de conscience possible de ceux-ci ainsi que des comportements défensifs produits. La conscience et la rétroaction corticale qui permettent une analyse plus fine des indices et de la situation globale nuançant et modérant les réactions de défense opérées par l’amygdale ne sont possibles qu’en second temps du fait qu’elles sont beaucoup plus longues de traitement. L’hyper rapidité de la première réponse défensive amygdalienne s’explique du fait qu’elle augmente les chances de survie. Voilà pourquoi il est si difficile de modifier ses comportements défensifs, même quand on en a conscience et qu’on souhaite ardemment s’en débarrasser ! La bonne nouvelle est que cela reste cependant possible et nous allons voir comment précisément.

  • Cette rétroaction corticale se fait entre autres par le biais de nos capacités de symbolisation (traduction des ressentis via un langage/un système de signes - linguistiques, imagés, sonores...). Nos langages - artistiques, scientifiques... permettent une expression et une communication de nos ressentis entre congénères débouchant aussi sur une co-régulation émotionnelle. La stylistique est le propre du langage poétique qui nous permet d’exprimer nos émotions par « images » (métaphore, hyperbole...). Elle l’est également des rêves, des hallucinations (sorte d’envahissement du rêve à l’état de veille) et des délires qui ont une fonction expressive et cathartique. Nos capacités de symbolisation permettent aussi une anticipation du danger à l’échelle personnelle et collective via la conception de structures sociales, politiques, philosophiques et morales... et d’outils technologiques. Cependant ces capacités de symbolisation peuvent aussi donner lieu à des tentatives de symbolisation qui lorsqu’elles échouent à obtenir l’apaisement face au danger ressenti se traduisent en symptômes douloureux à caractère isolant socialement : le mentisme, les pensées obsessionnelles, les ratiocinations en boucle, les spéculations délirantes dont font partie les pensées paranoïaques.

  • Les systèmes récents sur le plan phylogénétique sont activés en premier préférentiellement via le système totalement inconscient de la neuroception sauf si les plus archaïques ont été hyper sollicités en particulier lors de l’enfance du fait qu’ils sont fonctionnels dès la naissance et même in utero à partir de quelques mois, alors que les plus récents encore immatures à la naissance, ne se développent que dans des conditions favorables - un environnement globalement sécurisant et co-régulant émotionnellement. C’est pourquoi des personnes qui ont grandi dans un environnement familial trop insécure et pas assez régulant émotionnellement ou ont vécu des peurs mortelles même in utero ou lors de la naissance, fonctionneront majoritairement le reste de leur vie avec des défenses archaïques d’un point de vue phylogénétique. Cette information a de quoi choquer ou surprendre mais pour en avoir la preuve, je vous invite à lire l’intégralité des recherches scientifiques publiées par Stephen Porgès et la suite de mon ouvrage bien sûr !

Chacun de ces systèmes de défense opère des modifications physiologiques spécifiques se traduisant par des sensations, des émotions et des comportements typiques, pour faire face au danger détecté. Chaque système de défense est encodé dans le système nerveux et est opéré par l’amygdale via le système de la neuroception dont l’objectif est de maintenir et rétablir l’homéostasie après qu’un danger détecté l’ait troublé. (Un danger n’est pas nécessairement un prédateur prêt à bondir sur vous pour vous dévorer, ça peut être tout simplement l’arrivée d’un petit-frère ou d’une petite-sœur qui accapare déjà toute l’attention de vos parents et la détourne de vous. Cette perte d’attention présente un danger sur le plan de votre conservation et provoque de ce fait une émotion tout à fait naturelle de jalousie, défense qui vous poussera à défendre votre territoire affectif !) 
Le retour à l’homéostasie qui se traduit par une sensation de bien-être et d’apaisement n’est véritable que si l’émotion (et les sensations relatives) ont bien été évacuées. Si tel n’est pas le cas, enkystées dans le corps, l’émotion continue d’agir jusqu’à trouver le moyen d’être définitivement purgée. 
Le rêve nous l’avons évoqué, a cette fonction de rejouer des scènes pour que soit « digérées » et donc évacuées les émotions afin qu’elles ne deviennent pas traumatiques. Le cauchemar signe l’échec de la fonction « digestive » et cathartique du rêve. Si donc les rêves n’y parviennent pas, les expériences de veille à venir risquent de rejouer la scène traumatique. Soit par l’envahissement du rêve à l’état de veille (hallucinations) soit par la répétition d’expériences qui reproduisent les conditions de la scène traumatique. C’est de là que nous vient
la compulsion à répéter nos expériences traumatiques malgré nous, jusqu’à extinction totale des sensations et des émotions enkystées dans notre mémoire implicite inconsciente (celle qui a mémorisé les expériences émotionnelles stockées dans l’amygdale). 
Le cas échéant, l’émotion, à force d’agir continuellement en nous,
devient traumatique et intègre peu à peu notre caractère nous poussant à réagir émotionnellement de manière conditionnée et identique dans des situations similaires. Habitué à subir une émotion à répétition dans l’enfance et à n’en obtenir aucun apaisement véritable, nous restons figés de terreur, enragé de jalousie, agrippé affectivement de peur de perdre un parent...ou prêt à (sur-)réagir ainsi au moindre indice qui rappelle le passé traumatique.

L’angoisse correspond au surgissement le plus souvent inconscient de l’émotion traumatique du fait d’une situation qui rappelle les situations initiales qui l’ont générée.
Chez certaines personnes l’angoisse reste constante et envahissante alors que chez d’autres elle ne survient que dans certaines circonstances. Plus l’émotion traumatique est inconsciente et envahissante, plus elle est douloureuse et risque de conflictualiser nos rapports aux autres.

Il existe tout un répertoire possible de comportements mentaux/physiques qui nous aide à gérer l’angoisse que j’appellerai désormais l’E.T. l’émotion traumatique. L’humain est très créatif en termes de « mécanismes de défense ». Freud fut le premier à les définir ainsi que Sandor Ferenczi, Anna Freud, Mélanie Klein et d’autres psychanalystes qui ont continué sur ce chemin. 
Les différents modes de gestion de l’E.T. (« mécanismes de défense ») conditionnent nos rapports aux autres et notre intégration à la vie collective. Ils diffèrent netteme
nt selon que l’ET envahit et domine complètement la personne et son interprétation du monde ou que la personne arrive tant bien que mal à dominer l’E.T. en vue le plus souvent d’être intégrée socialement. C’est sous l’angle de la gestion de l’E.T. en fonction de l’intégration sociale qu’elle conditionne que nous redéfinirons les modes - autistique, psychotique, névrotique, borderline et pervers.

  • Dans le mode de gestion psychotique, la personne est envahie par l’E.T qui conditionne grandement ses réactions et ses interprétations émotionnelles des autres et du monde.

  • Dans le mode de gestion autistique, la personne est aussi envahie par l’E.T qui conditionne grandement ses réactions et ses interprétations émotionnelles du monde et se met à l’abri pour éviter le plus possible que soit réactivée l’E.T.

  • Dans le mode de gestion pervers, la personne est aussi envahie par l’E.T mais elle incarne l’agresseur qui l’a provoquée chez elle pour la faire subir à autrui qui endossera son rôle de victime quand elle était enfant. Ces agirs antisociaux sont cependant cachés par un masque social très élaboré donnant l’illusion bien ficelée d’une personnalité admirable socialement (réussite professionnelle et grandeur morale en apparence).

  • Dans le mode de gestion névrotique, la personne est moins envahie par l’E.T que dans les autres modes. De ce fait elle arrive à en contrôler les effets néfastes sur ses relations et son intégration sociale. Cependant, cette répression de l’E.T génère des symptômes douloureux aussi.

  • Dans le mode de gestion borderline, les modes - psychotique et névrotique oscillent. La névrotisation de l’E.T. est en cours mais non aboutie. La personne peut être très névrosée puis sombrer dans la psychose et vice versa.

  • Dans la « régulose », la personne arrive à s’autoréguler et ne souffre pas de s’épuiser à réprimer l’E.T. ou d’en être totalement envahie. L’E.T. s’apaise d’elle-même grâce à une rétroaction corticale efficace. Cet état s’atteint au terme d’une enfance bien co-régulée émotionnellement et/ou d’une thérapie co-régulante qui mène selon moi à développer une capacité d’autorégulation qui s’entretient dans le cadre d’un entrainement à gérer ses émotions par rétroaction corticale.

Les symptômes qu’ils soient névrotiques, pervers, borderlines ou psychotiques sont donc des SSPT : névrotiques, ils sont légers et supportables n’entravant pas trop la vie sociale alors que psychotiques, autistiques, borderlines, et pervers, ils sont intenses, parfois insupportables et handicapent la vie des gens.

J’ai synthétisé dans un tableau les principaux modes de gestion de l’E.T. en rapport avec l’adaptation de la personne à la vie collective, nos sociétés étant organisées ainsi. 
Je les ai classés selon un axe horizontal - celui des défenses neurophysiologiques et selon un axe vertical - celui des classes diagnostiques psychiatriques (bien que la névrose ait disparu du DSM) correspondant pour moi aux grands types de mode de gestion de l’E.T. en rapport avec l’adaptation de la personne à la vie collective.

Tableau générique des modes de gestion de l’E.T (« mécanismes de défense ») 

Tableau générique des modes de gestion de l’E.T (« mécanismes de défense »).

Mon expérience clinique m’a aussi menée à identifier à travers tous les récits de mes analysants, 18 E.T. typiques de l’enfance. Pour faciliter la lecture et (l’auto)diagnostic, j’ai limité l’illustration à deux modes de gestion de l’E.T par émotion traumatique (E.T.) bien qu’il en existe une quarantaine par E.T. comme on peut l’observer dans le tableau générique des modes de gestion de l’E.T (« mécanismes de défense ») présenté ci-dessus.

J’ai choisi d’indiquer :

  • à gauche, une défense par continuité : la personne développe dans son caractère, l’E.T. qui domine ses réactions depuis l’enfance.

  • à droite, une défense à contre-pied : en s’identifiant à l’agresseur initial de l’enfance, la personne fait subir à autrui l’E.T. pour ne plus la subir elle-même.

Tableau des 18 E.T et de 2 modes de gestion de l’E.T. (défenses) typiques

Tableau des 18 E.T et de 2 modes de gestion de l’E.T. (défenses) typiques.

Étant donné que nous sommes tous une constellation unique de plusieurs E.T. et de divers modes de gestion de celles-ci, les combinaisons caractérielles sont importantes et très variées. Pour avoir une idée quantitative de nos défenses ou modes de gestion des E.T., il faut adapter le tableau des modes de gestion de l’E.T. à chaque type d’E.T. Cela donne que nous avons environ 18x40 soit 720 modes de gestion (« mécanismes de défenses ») possibles pour générer nos 18 traumatismes émotionnels infantiles.

Bien qu’il y ait des points communs, personne n’a forgé le même caractère que personne d’autre. Statistiquement 720 x 719 X 718.../ 720 ! (720 factorielle) donnent infini configurations possibles.

Si l’on considère de manière plus réaliste que nous cumulons 2 à 3 ET pour lesquels on a développé en moyenne au total, 5 mécanismes de défenses ou mode de gestion de l’E.T., alors le calcul est le suivant pour calculer le nombre de configurations possibles : 720 x 719 X 718 x 717 x 716 : 20.000 milliards de caractères possibles !!

Avant donc de diagnostiquer quelqu’un et de l’enfermer dans une case, n’oubliez pas qu’entre 20.000 milliards à infini de configurations est possible...  « Dur dur » d’en faire le tour en 1 séance comme certains le prétendent... ;-)

Il est important de souligner aussi qu’une personne souffre généralement de troubles différents selon le type de relations et d’enjeux émotionnels. Par exemple quelqu’un peut être psychotique en amour mais névrosé dans le sexe, pervers dans ses relations à l’argent et très régulé dans son métier. Évidemment cet exemple est caricatural, sa vocation est didactique. Il est cependant important de bien explorer toutes les E.T. qui taraudent une personne qui s’activent dans des contextes différents pour elle, et pour lesquels elle déploiera des modes de gestion différents. Aucun individu n’est un psychotique, un pervers, un névrosé ou un borderline. Nous sommes tous un peu, beaucoup, passionnément, à la folie tout cela selon les circonstances et les contextes relationnels bien qu’il soit vrai qu’il y a des dominantes chez tout un chacun !

J’invite les thérapeutes à se référer à ses 2 tableaux pour s’aider à repérer les E.T. et les modes de gestion de l’E.T. de leurs analysants/patients. Ils me semblent utile aux objectifs d’une thérapie qui sont d’aider la personne en souffrance à :

  1. Conscientiser l’E.T. (ou les E.T.) qui la domine et d’identifier leur source qui remonte souvent à l’enfance,

  2. Repérer les modes de gestion de l’E.T. mobilisés préférentiellement dans ses rapports aux autres et les conflits qui en découlent,

  3. S’entraîner à travers ses diverses expériences de vie à repérer, quand l’E.T. surgit, les situations qui la ravivent ainsi que les défenses mobilisées pour la gérer,

  4. S’entraîner à les désamorcer dès repérage pour, à force, les déconditionner le plus possible.

Toute personne qui souhaite s’auto-analyser peut également s’y référer même s’il est nettement préférable de le faire à l’aide d’un professionnel formé pour.

INTRODUCTION

L’origine des réflexions psychanalytiques sur le traumatisme commence par une découverte choquante pour la société viennoise de l’époque en 1890.

Sigmund Freud neurologue, découvre et soutient de 1890 à 1897 que la névrose - à travers l’hystérie qu’il étudie en particulier - puise sa source non pas dans une origine organique (potentiellement héréditaire donc) mais dans le fait d’une agression de séduction sexuelle traumatique subie par l’enfant (la fille en général dans le cas de l’hystérie qu’il étudie) par un adulte (le père en général).

Cette découverte, désignant les comportements agressifs et incestueux du père, comme la source des troubles mentaux dont l’hystérie en particulier, fût si mal accueillie par la société de l’époque que Freud perdit brutalement sa patientèle et abandonna rapidement sa théorie de la séduction qu’il avait nommée neurotica.

Aux agressions-séductions sexuelles parentales sur l’enfant causes des maladies mentales, il substitua des fantasmes dits originaires de celles-ci : l’hystérique souffrirait de fantasmer d’avoir été agressée et/ou séduite sexuellement mais ne l’aurait jamais été dans les faits selon le Freud d’après 1897. En gros, l’hystérique prendrait selon Freud son fantasme d’être séduite par son père pour la réalité. En d’autres termes, les femmes atteintes d’hystérie délireraient avoir été agressées par leur père pendant l’enfance.

« Freud, dans la célèbre lettre 69 du 21 septembre 1897, écrit à Fliess : « Je ne crois plus à ma neurotica » (Freud S., 2015. Lettre à Fliess 69 du 21 septembre 1897 dans Lettres à Fliess 1887-1904, Paris, PUF). Il engage par ces mots le tournant épistémologique majeur de la jeune science psychanalytique, signifiant ainsi que, après avoir longtemps accepté que les scènes de séduction rapportées à l’envi par ses patients hystériques étaient des scènes réelles, il les considère désormais comme des créations fantasmatiques : « Il n’existe dans l’inconscient », écrit-il dans cette même lettre 69, « aucun indice de réalité » (Janin C., 2005. « Au cœur de la théorie psychanalytique : le traumatisme » dans Le traumatisme psychique, Organisation et désorganisation. Paris, PUF, 43-55).

Suite à cette découverte choquante ainsi qu’à ses conséquences - celles d’être déchu (perte de notoriété et de sa patientèle), traumatisé, Freud utilisera un mécanisme de défense pour surmonter cette épreuve et regagner en célébrité : le déni, d’où sa formule : « aucun indice de réalité ».

Ainsi pour le Freud d’après 1897 et pour bien encore des psychanalystes contemporains, le traumatisme psychique source des névroses et autres troubles mentaux, s’expliquerait par des fantasmes dits originaires, innés si l’on puit dire. Ces fantasmes sont au nombre de 3 selon Freud : le fantasme de séduction, le fantasme de castration et le fantasme de la scène primitive. Nous naîtrions avec ce package fantasmatique prêt à s’enflammer sans qu’« aucun indice de réalité » d’agression initiale à l’égard de l’enfant n’en soit à l’origine.

 

Cette renonciation de Freud désignant désormais l’enfant comme producteur de ses fantasmes source de ses névroses illustre parfaitement la source d’un traumatisme.

L’enfant réellement victime d’un parent intempestivement agresseur (séducteur et/ou castrateur (méchant en langage courant)) est désigné coupable de fantasmer de telles agressions par le parent et/ou la société pour ainsi ne plus avoir rien à se reprocher. Cette culpabilisation de l’enfant permettant une déculpabilisation du comportement parental fût également l’œuvre de Mélanie Klein qui élargit la liste des fantasmes originaires contenus dans la psyché du nourrisson dessaisissant le parent de toute responsabilité.

Un parent ou une théorie psychanalytique qui dénie la faute parentale commise sur l’enfant et la rejette sur lui le rendant coupable d’une agression dont il est pourtant la victime, produit un traumatisme sévère, lourd de conséquence sur l’avenir de l’enfant.

Comment l’enfant peut-il se faire confiance et ne pas se méfier systématiquement de son environnement après un tel retournement de situation ? Nous verrons que les états psychotiques puisent leur source dans de telles situations traumatiques génératrices de détresses vitales et de peurs et méfiances extrêmes à l’égard des parents et du monde par extension.

Cette source du traumatisme, l’agression suivie d’un déni et/ou d’une culpabilisation de l’enfant par l’environnement (souvent par l’agresseur en question) avait été justement mise en évidence par Sandor Ferenczi, psychanalyste confrère très proche de Freud dans un premier temps puis rejeté par lui dans un second temps pour avoir assumé jusqu’au bout ses découvertes sur les origines incestueuses de bien des troubles psychiques (et analyste de Mélanie Klein qui n’en a pas retenu la leçon !)

Selon Ferenczi : ce qui fait traumatisme ce n’est pas nécessairement l’agression réelle qui a eu lieu mais c’est l’impossibilité pour l’enfant victime de l’agression de dire, de confier (verbalement s’il parle ou symboliquement par des dessins) l’événement à un tiers et ainsi d’être consolé et reconnu victime du fait d’une négation de l’agression par le parent ou l’environnement, voire pire d’une culpabilisation de celui-ci. Si l’enfant a subi des coups par exemple, le parent peut le justifier à l’enfant en prétextant qu’il les méritait parce qu’il était méchant.

Ferenczi reconnut courageusement et ne renonça pas comme Freud à la réalité des agressions sources de traumatismes infantiles et des troubles mentaux qui en découlent.

« L’objection, à savoir qu’il s’agissait de fantasmes de l’enfant lui-même, c’est-à-dire de mensonges hystériques, perd malheureusement de sa force, par suite du nombre considérable de patients en analyse, qui avouent eux-mêmes des voies de faits sur des enfants. » (Ferenczi S., 1982. Confusion de langues entre l’enfant et l’adulte dans Œuvres complètes, Tome IV. Paris, Payot, p. 125-135)

Ferenczi confère à la réalité du traumatisme le statut de vérité historique qu’il est nécessaire de reconnaître pour qu’un processus de guérison puisse s’engager (Sans cette reconnaissance, le traumatisme est rejoué et la vie (ainsi que l’analyse) devient évidement un interminable rejeu traumatique). Son courage lui valut d’être rejeté brutalement par Freud qui refusa de lui serrer la main dignement lors du dernier congrès où il assuma de réhabiliter la neurotica. Il fut également rejeté par la communauté psychanalytique qui resta fidèle au maître. L’époque n’était vraiment pas prête pour cela !

En 2023, elle ne l’est pas encore vraiment totalement malgré la levée progressive des tabous sur les maltraitances parentales incestueuses entre autres et nombre très conséquent d’études menées dans le monde entier qui démontrent clairement l’origine des troubles mentaux dans les comportements parentaux insécurisants. Les courants psychanalytiques qui continuent d’appliquer Freud à la lettre (la lettre 69 du 21 septembre 1897 écrite à Fliess !) considèrent encore aujourd’hui qu’il y a fumée sans feu. Les psychanalystes issus de ces écoles (pas tous heureusement) semblent pourtant rejouer leurs propres traumatismes infantiles mais en inversant les rôles (Via le mécanisme de défense d’identification à l’agresseur décrit par Anna Freud et Ferenczi que nous détaillerons plus tard) : le statut du tout-puissant et tout-sachant psychanalyste ne singerait-il pas le statut du parent agresseur auquel ces psychanalystes se sont identifiés pour faire jouer aux analysants traumatisés, le rôle de l’enfant maltraité et culpabilisé qu’ils ont été. Déni, clivage et sadisme par identification au parent agresseur : les 3 ingrédients de la perversion (d’un certain type de psychanalystes).

Le lien causal entre les troubles mentaux dont le DSM liste les symptômes décorrélés de leurs causes et les négligences et maltraitances parentales est de moins en moins tabou mais pas encore tout à fait supporté par l’ego humain du 21e siècle.

« Face à l’augmentation croissante du nombre d’enfants soignés par le RNSTE (Réseau National sur le Stress post-Traumatique chez l’Enfant (traduit de l’anglais)), il est devenu impératif d’avoir un diagnostic qui reflète la réalité de leur expérience. Pour ce faire nous avons consulté les dossiers de 20 000 patients et réuni tous les articles de recherche que nous avons trouvés. Pour ce faire, nous avons retenu 130 études particulièrement ciblées, portant sur 100 000 sujets du monde entier. Puis un groupe de travail formé de douze médecins chercheurs spécialisés dans le traumatisme de l’enfance, s’est réuni tous les six mois pendant quatre ans pour rédiger un diagnostic approprié, que nous avons décidé d’appeler le « trouble de traumatisme développemental ». En analysant les données, nous avons découvert un profil régulier :

  1. Tendance globale à la dérégulation émotionnelle (instabilité).

  2. Problèmes d’attention et de concentration.

  3. Difficultés à s’entendre avec les autres et soi-même.

Ces enfants étaient extrêmement versatiles, passant très vite de la colère et de la panique au détachement, à la dissociation, à l’alexithymie. Quand ils étaient perturbés (soit la plupart du temps), ils ne pouvaient ni se calmer ni décrire ce qu’ils ressentaient (...) En février 2009, nous avons soumis notre nouveau diagnostic à l’Association américaine de psychiatrie (APA), assortie de cette lettre :

« Les enfants qui se développent en étant sans cesse en danger, maltraités et sujets à de graves carences dans les soins familiaux, souffrent en outre des modes de diagnostic actuels, qui insistent sur le contrôle du comportement sans tenir compte de l’état de traumatisme personnel. Des études sur les séquelles du traumatisme infantile lié à la maltraitance ou à la négligence parentale mettent en évidence de sévères problèmes chroniques dans la régulation des émotions, le contrôle des impulsions, l’attention, la cognition, les schémas relationnels et l’image du moi. Aujourd’hui, faute d’un diagnostic spécifique au traumatisme, ces enfants se voient diagnostiquer en moyenne 3 à 8 troubles comorbides (Parmi eux : TDAH « Trouble déficit de l’attention/Hyperactivité », « Trouble oppositionnel avec provocation », « trouble disruptif avec « dysrégulation » émotionnelle...). Persister à leur attribuer des diagnostics multiples a de graves conséquences : cela défie toute rationalité budgétaire, nuit à la clarté étiologique et risque de cantonner toute thérapie ou intervention à un aspect partiel de leur psychopathologie, au lieu de promouvoir une approche globale du traitement. »

(...) J’étais sûr qu’à la lecture d’un tel courrier, l’Association américaine de psychiatrie considérerait sérieusement notre proposition. Mais quelques mois plus tard, Matthew Friedland, le président du sous-comité du DSM concerné, nous a informés que le trouble de traumatisme développemental avait peu de chances d’être inclus dans le DSM-V. Le consensus disait-il, était qu’aucun nouveau diagnostic n’était nécessaire pour remplir une « niche diagnostique manquante ». Un million d’enfants maltraités et négligés chaque année aux États-Unis formaient une « niche diagnostique » ?

« L’idée que les premières expériences négatives de l’enfance créent de graves troubles du développement est plus une intuition clinique qu’un fait fondé sur la recherche, poursuivait-il. Cette déclaration est souvent avancée, mais ne peut être confirmée par des études prospectives. »

Pourtant, nous avions inclus plusieurs études prospectives dans notre proposition. (Pour les découvrir, RDV p. 223 du livre de van der Kolk, B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel) »

(Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 220-223)

Heureusement l’histoire de la pensée est faite d’oppositions salvatrices. Le débat était déjà lancé dès le début du 20e, il l’est toujours début 21e siècle mais des avancées ont eu lieu entre temps et ça n’est pas fini ! A Freud, s’opposa Sandor Ferenczi et à Mélanie Klein s’opposa Donald Winnicott (pour ne citer qu’eux). Ainsi, un siècle avant que le RNTSE tente de convaincre gentiment l’Association américaine de psychiatrie, les opposants à la théorie freudienne constataient déjà tous deux une origine des troubles mentaux dans un comportement parental inadapté aux besoins de l’enfant plutôt que dans des fantasmes originaires, innés. Winnicott révèle pour sa part l’importance de « l’environnement » parental et la nécessité d’une « mère suffisamment bonne » sans exiger d’elle la perfection évitant ainsi une vexation insupportable de la part de la société de son époque bien que plus tardive et propice à un changement de mentalité – 1960-70. Sa parole fut entendue et largement médiatisée car il prit soin de reconnaître le rôle régulateur des parents sans pour autant les incriminer.

Notons cependant que Freud, à la différence de Klein qui restera agrippée à sa théorie des fantasmes infantiles, fera évoluer sa théorie du traumatisme sans pour autant renoncer clairement à sa théorie du fantasme. En 1920 soit plus de 20 ans après son abandon brutal de sa neurotica, Freud inspiré par ses échanges avec Ferenczi (ne le citant pas pour autant !) - pense à présent le traumatisme en lien avec une effraction du pare-excitation. Dans Au-delà du principe de plaisir, l’angoisse ultime est représentée par « l’Hilflosigkeit » – la détresse du nourrisson qui désigne :

« L’effroi d’origine interne ou externe donnant lieu à une paralysie du sujet face à une effraction quantitative. » (Freud S., 1920. Au-delà du principe de plaisir, Paris, PUF)

Les conséquences cliniques pour Freud sont la névrose traumatique assortie d’une compulsion à répéter le trauma. Sa théorie corrobore enfin les propos de Ferenczi qui lui, donne la définition suivante du traumatisme :

« Un choc inattendu, non préparé et écrasant, agit pour ainsi dire comme un anesthésique. Mais comment cela se produit-il ? Apparemment par l’arrêt de toute espèce d’activité psychique, joint à l’instauration d’un état de passivité dépourvue de toute résistance. La paralysie totale de la mobilité inclut aussi l’arrêt de (...) la pensée. » (Ferenczi S, Groddeck G, Correspondance, 1921-1933, Paris, Payot, 1982)

Mais ça n’est pas fini. Freud en 1926 dans Inhibition, symptôme et angoisse établit un lien entre traumatisme et perte d’objet (perte de la personne aimée, de son amour, etc.). Thèse qui sera magnifiquement démontrée et autrement élaborée par John Bowlby dans Attachement et Perte en 1969 démontrant cliniquement l’impact traumatique des abandons et des carences affectives sur le développement et les troubles mentaux de l’enfant.

Enfin, et cette fois c’est fini, Freud reviendra à sa neurotica sans l’assumer clairement en 1939 dans son œuvre finale, L’Homme Moïse et la religion monothéiste :

« Les expériences traumatiques se situent dans la période de l’amnésie infantile (...) elles se rattachent à des impressions de nature sexuelle et agressive, certainement aussi à des atteintes précoces du moi. » (Freud S, 1939, L’Homme Moïse et la religion monothéiste, Paris, PUF, 2011)

« Évoquer le traumatisme en psychanalyse conduit, en effet, non seulement à évoquer l’histoire et le développement de ce concept clé qui parcourt la théorie freudienne de bout en bout (des Études sur l’hystérie et de L’« Esquisse », 1895, à l’Abrégé de psychanalyse (1940 [1938]) , mais encore à examiner comment ce concept s’articule avec ceux de traumatique et de trauma. Cet acheminement conceptuel conduit S. Freud à exposer une « vue d’ensemble » de ses théories concernant le traumatisme dans son œuvre testamentaire, L’homme Moïse et la religion monothéiste (1939). De ce magistral tableau, il ressort que les nouvelles propositions freudiennes reprennent implicitement certaines conceptions concernant le trauma, que S. Ferenczi avait élaborées quelques années plus tôt (entre 1928 et 1933). » (Bokanowski T., Variations sur le concept de “ traumatisme ” : traumatisme, traumatique, trauma dans Revue française de Psychanalyse 2005/3 (Vol. 69), pp. 891-901)

Pour ma part, je constate sur la base de nombreuses années d’observation que les souffrances et les troubles mentaux trouvent leur source dans des traumatismes réels et non fantasmatiques subis durant l’enfance, période où les défenses archaïques de l’homo sapiens sont très actives et très conditionnantes pour l’avenir du fait de l’état de dépendance du tout-petit à l’égard de l’environnement parental pour assurer sa survie. Vulnérable l’enfant doit être bien protégé et rassuré par ses parents pour développer petit à petit une capacité à s’autoréguler émotionnellement ultérieurement. Dans le cas inverse, lorsque les parents se montrent négligents, indifférents, agressifs ou insécurisants, le petit apeuré développe des stratégies de défense émotionnelle et cognitive pour tenter en vain de s’auto-calmer. Elles sont délétères sur le long terme car à force de répétition, ces défenses deviendront réflexes - au moindre indice en lien direct ou très indirect avec les éléments du traumatisme infantile - et constitutives de sa personnalité adulte. Ces enfants-là se forgent une personnalité traumatique dont il sera très difficile de se débarrasser tant les conditionnements de gestion de la peur forgés dans la toute petite enfance sont ancrés neurophysiologiquement dans le corps (cette mémoire est logée dans l’amygdale cérébrale particulièrement peu sensible à l’intervention de la conscience et du raisonnement). C’est pourquoi, nous le verrons dans le détail, il n’est pas suffisant d’être conscient de ses traumatismes et de vouloir arrêter d’en souffrir pour y arriver). Les conditionnements émotionnels de gestion de la peur ne se commandent pas par la raison...Ce qui donne raison à la phrase de Pascal :

« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas » (Pascal B., Pensées, Paris, Flammarion, 2015) que nous pourrions modifier ainsi : le corps a ses raisons que la raison ne connaît pas.

Ainsi :

« Quand les enfants se sentent en permanence coupables ou en colère, ou lorsqu’ils ont une peur chronique d’être abandonnés, ces sentiments viennent d’une expérience réelle. Par exemple, s’ils craignent qu’on les abandonne, ce n’est pas en réaction à des pulsions homicides intrinsèques, mais plutôt parce qu’on les a abandonnés physiquement ou psychologiquement, ou qu’on les a souvent menacés. Quand des enfants sont toujours plein de rage, cela vient souvent d’un rejet ou de mauvais traitements. Si leur colère les plonge dans un conflit intérieur intense, c’est peut-être bien parce que l’exprimer est interdit, voire dangereux. » (Sroufe A., Egeland B., Carlson E., WA Collins, The development of the Person: the Minnesota Study of Risk and Adaptation, NY, The Guilford Press, 2005, p. 266)

Les traumatismes peuvent être de nature sexuelle (viol ou séduction) mais de tout autre nature : insécurisation affective, exploitation, infériorisation, culpabilisation, maltraitance physique...

Mon expérience clinique m’a menée à identifier 18 grandes catégories de traumatismes infantiles émotionnels. Les comportements défensifs mis en place durant l’enfance, demeurent permanents et deviennent extrêmement réactifs à l’âge adulte tellement ils ont été nécessaires à la survie physique et/ou psychique de l’enfant mis en danger par sa famille et/ou son environnement (la société, sa communauté...).

Chaque traumatisme peut donner lieu à une quarantaine de défenses (Nous détaillerons ces défenses dans le point 2.3. Vous pouvez vous y reporter pour parcourir les 40 types de défenses génériques. Cette quarantaine de défenses bien que génériques à tout traumatisme émotionnel, s’expriment différemment selon le type de traumatisme émotionnel concerné), dont des défenses de continuité celles qui continuent de rejouer le traumatisme initial pour y trouver une issue apaisante qui n’a pas pu avoir lieu, et des à défense à contre-pied, défenses de renversement qui consistent en une identification à l’agresseur (Cette défense a été conçue par Anna Freud (fille de Freud devenue psychanalyste théoricienne et clinicienne et par Sandor Ferenczi sous une autre forme. Nous détaillerons cette défense dans un chapitre dédié, partie 3) à la source du traumatisme (parent ou environnement familial, communautaire ou social).

40 défenses sont possibles par traumatisme. Nous faisons le choix de ne présenter dans ce tableau que 2 types de défenses par traumatisme pour des raisons pédagogiques – de lisibilité et d’appropriation de l’information en vue de faciliter l’autodiagnostic.

Tableau des 18 E.T et de 2 modes de gestion de l’E.T. (défenses) typiques

Tableau des 18 E.T et de 2 modes de gestion de l’E.T. (défenses) typiques.

Nous sommes tous plus ou moins traumatisés : chaque personne est une constellation unique d’un nombre de défenses plus ou moins fortement ancrées depuis l’enfance et que nous mobilisons plus ou moins intensément selon les circonstances émotionnelles auxquelles nous devons nous adapter tout au long de notre vie. Bien qu’à la croisée de ces 18X40 = 720 défenses ! ; nous sommes plus enclins à endosser certaines que d’autres : nos défenses de prédilection dépendent des émotions traumatiques qui ont particulièrement marqué notre existence infantile et qui continuent d’« être plus fortes que nous », c’est-à-dire de conditionner nos réactions en relation avec autrui, écho de nos relations d’origine d’avec nos parents.

 

Nos conflits relationnels résultent de la rencontre des défenses des uns et des autres qui s’opposent les unes aux autres.

Pour apaiser les relations entre tous, nous devons apprendre à nous connaître personnellement (reconnaitre nos traumatismes émotionnels et nos défenses de prédilection) dans un 1er temps et apprendre aussi comment les autres se défendent de leurs émotions traumatiques pour mieux composer avec soi-même et autrui.

L’apaisement des conflits internes et relationnels mérite un travail sur soi et mériterait aussi que soit proposée aux futurs parents une formation en psychologie afin que soient connus et respectés les besoins psychologiques et affectifs de l’enfant afin qu’il développe sa personnalité authentique et ses talents naturels. Il me semble qu’une politique de prévention est nécessaire afin que l’on puisse éviter les traumatismes infantiles et les conflits relationnels adultes qui en découlent.

Avant d’aborder ces catégories traumatiques et les défenses associées dans le détail (partie 3), il nous faut comprendre avant tout ce qu’est un traumatisme infantile sur le plan émotionnel donc neurophysiologique (Au niveau des systèmes nerveux) et neuropsychologique (Au niveau neuronal). Du normal au pathologique :  de la fonction des défenses et des émotions normales à leur traumatisation en cas d’excès et de répétition et d’impossibilité de décharge et d’apaisement.

1. LES SOURCES DU TRAUMATISME INFANTILE

1.1 UN ENVIRONNEMENT INSÉCURISANT GÉNÉRATEUR D’ÉMOTIONS DÉFENSIVES QUI RESTERONT ACTIVES ET EN RECHERCHE DE DÉCHARGE TOUTE LA VIE DURANT

 

Perte, indifférence, abandon ou exploitation affectives, maltraitances à coup de mots humiliants, culpabilisants... ou bien à coup de gifles, de regards obscènes, de propos ou de confidences incestueuses, d’exploitation narcissique, sexuelle, non-assistance à l’enfant en danger ou mise en concurrence de la fratrie au sein du foyer...autant de situations qui traumatisent le sentiment de sécurité affective et les émotions nécessaires pour développer une capacité à s’autoréguler émotionnellement, à s’autonomiser, à intégrer des modèles identificatoires inspirants et des règles ressenties comme justes...nécessaires à la croissance en cours de l’infans et de son adaptation sociale, amoureuse et professionnelle à venir.

Face à ces violences qui scandent son enfance au sein de son foyer et/ou de sa communauté, l’enfant éprouvera à répétition des émotions comme :

 

  • la terreur,

  • l’humiliation,

  • la honte,

  • la culpabilité,

  • la jalousie,

  • l’injustice,

  • la dissociation,

  • le repli,

  • la tristesse,

  • le désespoir,

  • la dépression,

  • la colère,

  • la rage,

  • la haine,

  • l’excitation et/ou le dégout sexuel lorsqu’il est rendu témoin ou victime de scènes sexuelles.

  • etc.

À force de répétition - sans arrêt culpabilisé, sans arrêt terrifié, sans arrêt mis en colère, sans arrêt excité...l’enfant finira par intégrer l’émotion comme un trait de sa personnalité : c’est ainsi qu’il s’entendra dire de ses parents qui ont généré chez lui cette émotion (alors qu’ils sont censés le protéger et l’apaiser), qu’il est un « enfant difficile », de « nature colérique », qu’il a « un sale caractère », qu’il est « méchant » ou bien qu’il est « un angoissé » ou « un petit vicieux », etc. : « une mauvaise graine » quoi !

« L’accumulation d’expériences émotionnelles de nature similaire pendant l’enfance contribue à la mise en place de schémas de pensée, de comportements et d’affects qui produiront par la suite la forme de traits de personnalité relativement stables. » (Luminet O., Grynberg D., Psychologie des émotions, introduction, p. XVIII, deboeck Supérieur, 2021)

Ces jugements disqualifiants renforceront l’intégration de ces émotions dans la psyché de l’enfant et deviendront ainsi structurelles dans son comportement d’adulte.

  • Par exemple, un enfant très insécurisé tout petit - privé trop longtemps et sans soutien ou compensation de sa mère développera à son égard un agrippement intense et systématique ou un évitement dès son retour sans pouvoir autant ressentir un apaisement. Adultes, les enfants « agrippés » souffriront de dépendance affective et se sentiront en danger perpétuel d’abandon dans toutes leurs relations affectives alors que les enfants « évitants » deviendront des adultes autosuffisants ou abandonniques, évitant ou rejetant toutes relations affectives engageantes. Ces deux types d’attachements dépendants et évitants ont été découverts grâce aux travaux de Bowlby publiés dans Attachement et Perte en 1969 qui a mis à jour la nécessité vitale d’un attachement sécure en début de vie. Ce sont Mary Ainsworth en 1964 (Ainsworth, M., 1964. Patterns of attachment behavior shown by the infant in interaction with his mother in Merrill-Palmer Quarterly of Behavior and Development Vol. 10, No. 1 (January, 1964), Published By Wayne State University Press, pp. 51-58) et Marie Main en 1990 (Main, M., & Solomon, J., 1990. Procedures for identifying infants as disorganized/disoriented during the Ainsworth Strange Situation. In M. T. Greenberg, D. Cicchetti, & E. M. Cummings (Eds.), Attachment in the preschool years: Theory, research, and intervention, The University of Chicago Press, pp. 121-160) qui ont permis d’identifier les différents types d’attachement en fonction du lien parental précoce.

  • Dans cette étude Ainsworth dans la continuité des travaux de John Bowlby pour lequel l’attachement est un besoin primaire pour ainsi dire vital, va observer durant un an des mères et leur bébé au cours des repas le temps des trois premiers mois de vie du bébé en focussant ses analyses sur la sensibilité et la capacité de la mère a à appréhender les besoins de son enfant. Un an après ces observations, elle rencontre à nouveau les mêmes dyades mère-enfant et évalue la nature de l’attachement des enfants à la mère. Pour ce faire, elle met les enfants dans huit situations différentes, impliquant des séparations et des retrouvailles avec leur mère, après avoir été laissé à un inconnu. Les résultats débouchent sur la mise à jour de trois types d’attachement :

    • L’attachement Sécure : l’enfant manifeste des signes de stress au moment de la séparation mais l’accueille chaleureusement durant les retrouvailles et ne focalise pas son attention sur lui à tel point qu’il retourne jouer.

    • L’attachement Insécure-évitant : l’enfant ne manifeste pas de signes de stress au moment de la séparation mais l’évite quand le parent revient. Il focalise son attention sur l’environnement dégagé du parent de manière continue.

    • L’attachement Insécure-résistant : L’enfant est stressé et préoccupé par le parent pendant la « Strange situation » et n’arrive pas à se calmer au retour du parent. Il focalise son attention sur celui-ci de manière constante.

  • Dans cette étude, Main et Solomon vont mettre à jour un quatrième type d’attachement :

    • L’attachement Désorganisé-désorienté : Lorsque les parents sont effrayés ou effrayants avec l’enfant, ce dernier se retrouve dans une situation paradoxale, puisque le parent qui doit être sécurisant est la source d’insécurité. 

Les 1ers – les dépendants affectifs, continuent de souffrir du traumatisme initial : ils ont développé une défense de continuité alors que les seconds – les évitants affectifs, ont développé une défense à contre-pied/d’annulation en détruisant toute possibilité que soit réitéré le contexte initial du traumatisme. Ces défenses -Dépendance affective et Évitement - typiques du Traumatisme d’Insécurisation affective feront l’objet de chapitres dédiés.

  • Autre exemple, un jeune enfant traumatisé par culpabilisation d’une de ses fonctions biologiques (instincts) se sentira, adulte, sans savoir pourquoi et sans en avoir aucune conscience parfois, coupable et donc souffrant d’assouvir l’instinct en question. Les instincts les plus ciblés sont généralement - se nourrir (pulsions alimentaires) et se reproduire (pulsions sexuelles) ou jouir de vivre tout simplement. Dans ces cas, l’enfant est traumatisé de manger à sa faim (« arrête de manger tu vas grossir et personne ne voudra de toi » ou de découvrir les joies de son anatomie « arrête de te toucher le zizi, le bon dieu va te punir »). Devenus adultes, certains ne pourront plus ni manger – ni avoir de rapport sexuel, d’autres le feront tant bien que mal en souffrant de culpabilité d’où les défenses - masochistes chez les uns pour se punir de le faire quand même ou - sadiques chez les autres pour punir un alter ego de le faire (comme lui quand il était enfant).

Les 1ers continuent de souffrir du traumatisme alors que les seconds développent une défense à contre-pied/d’inversion en s’identifiant au parent-agresseur faisant subir à un autre ce que lui subissait enfant.  Nous détaillerons ces deux défenses - Masochisme et Sadisme - typiques du Traumatisme de Culpabilisation ci-après dans des chapitres dédiés.

1.2 QUAND L’ÉMOTION SUBIE À RÉPÉTITION DEVIENT STRUCTURELLE

 

Ainsi, une émotion deviendra permanente et structurelle si celle-ci est :

  1. Provoquée par le comportement parental/social/communautaire de l’enfant.

  2. Ressentie très violemment et/ou à répétition.

  3. Non apaisée et/ou culpabilisée par l’intervention parentale ou l’environnement.

  4. Réprimée, refoulée par l’enfant faute de ne pouvoir l’exprimer et expulser la tension qui y est associée.

  5. Intégrée neurologiquement et physiologiquement dans un conditionnement défensif qui s’activera automatiquement au moindre indice en lien direct ou indirect avec le traumatisme.

Si tel est le cas, l’enfant traumatisé restera excité de rage, de colère, de jalousie, de honte, de culpabilité... jusqu’à croire qu’il est de nature colérique, jaloux, méchant, etc.

Tout traumatisme psychique est un traumatisme émotionnel.

Les émotions sont pourtant normales et naturelles tant que celles-ci sont éprouvées ponctuellement par une personne pour se défendre d’une situation défavorable.

Les émotions, génératrices de conflits tout comme celles qui sont génératrices de relations paisibles entre congénères d’une même espèce, sont d’ailleurs pour la plupart, communes à l’espèce humaine et aux espèces de mammifères vivants en groupe. Il n’est pas rare d’observer chez les humains mais aussi chez les bonobos, les chiens et autres mammifères sociaux la jalousie à l’égard de l'attention portée par la mère à un tiers qui fait obstacle à la relation duelle ou la soumission à un congénère qui a l'autorité de fait (le parent de l’enfant, le maître de l’animal, la femelle ou le mâle dominant du groupe…) et/ou s'il se montre menaçant.

Il peut être naturel et normal d’être jaloux dans des contextes donnés :

  • enfant, un petit frère arrive et accapare l’attention maternelle.

  • adulte, un ami gagne 50 millions d’euros à la loterie. 


Cela vous rend envieux et jaloux. C’est normal !
En revanche, être systématiquement jaloux de toute personne enviable relève du pathologique. Si cette jalousie vous fait ainsi souffrir intérieurement et vous pousse à être désagréable, voire à mettre en place des stratagèmes conscients ou inconscients avec ceux que vous enviez pour leur faire perdre l’objet de votre convoitise alors cette jalousie remonte à loin et relève d’un traumatisme de jalousie.

En effet, si une personne éprouve une émotion de manière quasi permanente (comme par automatisme) et ce, quelles que soient les circonstances, alors c’est que l’émotion en question est devenue chez elle pathologique et certainement source de conflits relationnels récurrents. Ainsi, si une personne se sent systématiquement envieuse d’une autre dès qu’elle est en situation favorable, alors l’émotion est devenue pathologique, c’est-à-dire structurelle donc inappropriée aux circonstances et source de souffrance chez elle et chez les autres personnes en relation avec elle. Il en va de même pour toutes les autres émotions génératrices de souffrance et de conflit, générées par des traumatismes infantiles comme :

  • la méfiance qui donne lieu au trait devenu « de caractère » : paranoïaque,

  • la séduction intempestive de la part d’un proche, un parent généralement (tant mère que père) qui donne lieu au trait devenu « de caractère » : hystérique,

  • l’impuissance qui donne lieu au trait devenu « de caractère » : soumis, contrôlant et/ou dominant,

  • etc.

Notons dès à présent, qu’à l’état pathologique, poussés à l’extrême, certaines de ces émotions ne sont observables que chez les humains. L’une des plus spécifiques à l’humanité - l’homo sapiens - est le sadisme poussé à l’extrême, pouvant mener un humain à torturer ou tuer pour le plaisir un autre humain ou un animal.  Ainsi le sadisme poussé à son extrême faisant d’une personne un pervers sadien (Tel Sade, le pervers sadien jouit de torturer psychologiquement et/ou physiquement une personne innocente, le plus souvent capturée de force et/ou par emprise qui n’est excitée en rien de subir des sévices imposés par le sadien alors que le sadique, lui, jouit de faire souffrir une personne à condition que celle-ci jouisse et soit excitée de souffrir des sévices qu’elle désire subir. Dans le 1er cas, il s’agit d’un acte criminel et dans l’autre d’un jeu avec contrat explicite ou tacite ou le consentement est partagé. Dans le deuxième cas uniquement, nous pouvons parler de rapport sadomasochiste) - à savoir éprouver de l'excitation joyeuse et très généralement sexuelle à faire souffrir un congénère ou un animal innocent est une émotion typiquement observable chez l’humain contrairement à d'autres qui sont communes à d'autres espèces de mammifères.

Ce qui donc transforme une émotion normale en une émotion pathologique source de conflit est un traumatisme émotionnel infantile non cicatrisé qui continue de blesser l’enfant dans l’adulte.

Les conflits engendrés par ces comportements devenus chez une personne intenses et systématiques (quasi structurants) peuvent mener cette dernière dans une impasse relationnelle (sociale, amicale, amoureuse, familiale, professionnelle) suffisamment grave pour être source de souffrances intolérables et de repli social handicapant.

Certaines souffrances sont supportables alors que d'autres peuvent mener une personne à s'autodétruire, voire même à envisager le suicide pour s'en libérer : « ...à demi épris de la mort apaisante » (Keats J., 1817. Poèmes et poésies. NRF, Poésie Gallimard, N°297comme dirait le poète John Keats.
C’est le cas dans les défenses de continuité : l’agressé qui continue de souffrir de ses traumatismes infantiles peut tenter de s’autodétruire ou de se tuer pour mettre fin à ses souffrances.

D'autres personnes a contrario vont tenter de se libérer de leurs insupportables souffrances traumatiques en s’identifiant à leur agresseur initial (souvent l’un des 2 parents) devenant maltraitantes à leur tour à l'égard d’autrui. C’est le cas des défenses à contre-pied qui mènent à l’alter destruction. Les enfants délinquants sont clairement dans ce cas-là. Ils agressent le parent, la société ou un congénère tout comme ils se sont sentis agressés initialement. N’oublions pas qu’il n’y a jamais de fumée sans feu.
La maltraitance à l’égard d’autrui qui pousse au meurtre d'innocents ou bien à la torture sadienne est une agression libératoire d’une charge traumatique non purgée au même titre que l'autodestruction et le suicide.

Dans le 1er cas le sadien s'en prend à l'autre pour décharger son agressivité par vengeance à l'égard d'un agresseur d'origine dont il n'a pas pu enfant se défendre ou se venger (souvent la mère et/ou le père défaillant, maltraitant...).

Dans le 2e cas la personne en autodestruction possiblement suicidaire s'en prend à elle-même ayant injustement incorporé la culpabilité que l'agresseur d'origine n’a jamais assumé et qui au contraire a culpabilisé l'enfant des maltraitances sous couvert de punitions éducatives. Dans ce cas tout de même le suicide reste une vengeance puisque le parent sera puni par l'enfant devenu adulte la plupart du temps, le privant de son pouvoir et de la dette qu’il peut avoir à son égard de l'avoir mis au monde. En se tuant, l’enfant annule la toute-puissance parentale de l’avoir mis au monde, annule ainsi sa dette et lui inflige humiliation publique et souffrance.

Le meurtre et le suicide sont selon moi les 2 comportements extrêmes qui résultent dans leur ensemble de traumatismes infantiles initiaux. Il n'est pas étonnant d'ailleurs de voir une personne passer au cours de sa vie d'un extrême à l'autre : de l'auto-destruction à l'alter-destruction et vice versa. Nous constatons d’ailleurs que bien des meurtriers ont tenté de se suicider avant de tuer un ou des congénères et/ou se suicident après avoir commis l’acte criminel.

1.3 L’ÉMOTION DEVENUE STRUCTURELLE FAUTE DE DÉCHARGE

 

Voilà pourquoi si une émotion négative est trop souvent éprouvée par l’enfant et ignorée par le parent ou l’environnement et qu’aucune action n’a lieu pour le soulager, l’alarme émotionnelle continuera de sonner toute la vie durant et :

  • De mobiliser le corps (activation du système sympathique) via des émotions comme la colère, la rage, la haine qui perdureront quelles que soient les circonstances.

Ou

  • De l’immobiliser (activation du système parasympathique dorsal) via des émotions comme la terreur, le désespoir, la soumission qui perdureront elles aussi quelles que soient les circonstances.

L’enfant condamné à subir son environnement familial, communautaire ou social, à ne pas pouvoir s’exprimer ni décharger la tension émotionnelle, cherchera toute sa vie durant, des situations similaires à celles de son enfance traumatique pour réussir enfin à décharger sa haine, sa colère, sa jalousie, éprouver inexorablement son manque d’amour... restées cristallisées en lui, faute de reconnaissance, de changements ou d’actions apaisantes de la part de l’environnement agresseur ou négligent. Cette recherche inconsciente de répétition traumatique vise en fait, la compréhension et la reconnaissance du statut de victime, le changement de l’environnement agresseur et la décharge émotionnelle qui n’ont pu avoir lieu en temps voulu pour rétablir un équilibre homéostatique complètement et durablement bouleversé par une enfance traumatisée émotionnellement.

Sans apaisement et sans décharge, l’alarme émotionnelle continue de sonner et s’intègre au corps comme une normalité. L’enfant trop souvent mis en colère, trop souvent rendu jaloux, trop souvent terrifié...par son environnement qui l’excite, l’apeure, l’attriste plutôt qu’il ne le calme, le régule émotionnellement et le protège comme il est censé le faire, produira un adulte dont l’identité se confondra avec ses émotions et ses mobilisations ou immobilisations nocives.

Pire encore, l’enfant sera stigmatisé et rejeté par l’environnement sous prétexte de son soi-disant caractère colérique, anxieux, mauvais, difficile... L’enfant traumatisé se construira donc avec une fausse idée de lui ne sachant pas que son caractère est en fait le reflet d’une défense contre son environnement qui l’a conditionné à réagir et se constituer ainsi. Le caractère de l’enfant est le miroir du comportement de l’environnement parental.

Les émotions (alarmes défensives instruisant l’organisme que l’environnement présente un danger) trop souvent sollicitées pendant l’enfance deviendront donc structurelles, c’est-à-dire « viscérales » et conditionneront durablement les représentations de soi et du monde et les comportements émotionnels du futur adulte.

L’enfant traumatisé par des émotions d’un type de défense particulier investira systématiquement à l’âge adulte le monde et ses relations aux autres avec le filtre défensif de son enfance – épée en main, armuré ou « à terre » – qu’il lui sera bien difficile de déposer malgré tous ses efforts, toute sa volonté pour parvenir à vivre autrement avec lui-même et autrui.

Nous verrons que ces émotions qui deviennent des traits de caractère conditionneront les comportements relationnels de l’adulte qui ne pourra plus voir et investir le monde et les autres qu’à travers le filtre défensif de ses émotions traumatiques. Ainsi il abordera le monde avec des :

  • Défenses de continuité :

    • ​Défenses le menant à continuer de souffrir du traumatisme en le répétant dans le but inconscient de le purger (ex : Traumatisme de culpabilisation => l’adulte masochiste qui se punit d’avoir des rapports sexuels)

Ou trouvera une autre forme de soulagement en développant des :

  • Défenses à contre-pied :

    • ​D’annulation : détruisant toute possibilité qu’un tel traumatisme se réitère (ex : Traumatisme d’insécurisation affective => l’adulte qui évite de s’engager dans tout type de relation affective, rompt ou fait en sorte de se faire quitter dès que la relation devient engageante.)

    • D’inversion : en inversant les rôles d’origine, l’adulte se comporte comme l’agresseur d’origine à l’égard d’un alter ego à qui il fera subir ce qu’il subissait enfant. (ex : Traumatisme de Séduction => l’enfant séduit et excité par son parent qui devient adulte un séducteur compulsif abandonnant la plupart du temps sa conquête une fois celle-ci séduite.) (La littérature est inépuisable sur ce sujet !)

    • Et d’autres – sublimation, intellectualisation...dont on établira la liste ultérieurement 

Ces attitudes défensives génératrices de conflits internes et interrelationnels douloureux le mèneront parfois dans des impasses dans lesquelles ils se sentira condamné à rester, impuissant d’en sortir malgré bien des efforts et toute sa volonté.

La thérapie analytique aura donc pour fonction d’aider les personnes traumatisées à modérer leurs conditionnements émotionnels établis dans l’enfance pour investir le monde plus sereinement en atténuant (D’expérience, il n’est possible que de l’atténuer. L’annihiler semble impossible) le filtre déformant de leurs conduites défensives.

Pour y parvenir l’analysant (le patient qui fait une psychanalyse) devra conscientiser les comportements parentaux, les émotions qu’il a dû subir et intégrer comme faisant soi-disant partie de son caractère et les comportements défensifs qu’il a mis en place pour se défendre. Mais pour que le traumatisme cesse d’agir, la seule prise de conscience n’est pas suffisante. Il va falloir que ces conscientisations ou ces remémorations ravivent l’émotion hautement réprimée à l’époque du traumatisme pour que celle-ci soit enfin accueillie, comprise et reconnue par le thérapeute, condition sine qua none pour que l’analysant puisse la décharger, l’expulser définitivement et trouver une sorte de consolation.

1.4 L’ABRÉACTION POUR DÉCHARGER L’ÉMOTION TRAUMATIQUE

 

Ce phénomène de décharge émotionnelle au rappel du traumatisme s’appelle l’abréaction : il est absolument nécessaire pour désamorcer l’effet pathogène de l’émotion traumatisée. L’abréaction a été découverte par Sigmund Freud et Joseph Breuer qui pratiquaient la « méthode cathartique » à la fin du 19e siècle. Ce phénomène de purge émotionnelle salutaire avait cependant été décrit par Aristote en -335 avant JC dans la Poétique : il avait identifié l’effet cathartique des tragédies grecques dont la représentation théâtrale permettait au spectateur une « purge » bienfaitrice des passions comme la crainte, la colère, le désespoir... 
André Green reprend cette idée en 1969 dans son premier livre Un œil en trop, voyant dans la représentation théâtrale, le moyen de faire représenter chez l’autre du non-représentable en soi. Lieu de décharge des affects et d’élaboration des représentations. On retrouve ce concept chez Artaud dans le Théâtre de la cruauté. (Citation recueillie sur Wikipedia : « Avec ce concept, Artaud propose « un théâtre où des images physiques violentes broient et hypnotisent la sensibilité du spectateur ». A la vue de cette violence naît la « violence de la pensée » chez le spectateur, violence désintéressée qui joue un rôle semblable à la catharsis. En effet, le théâtre devient une fonction qui fournit « au spectateur des précipités véridiques de rêves, où son goût du crime, ses obsessions érotiques, sa sauvagerie, ses chimères, son sens utopique de la vie et des choses, son cannibalisme même, se débondent, sur un plan non pas supposé et illusoire, mais intérieur » ; en d’autres mots, ces rêves exaltent ses pulsions pour produire une « sublimation », sorte de purgation des mauvaises passions. »
)

Sans conscientisation et abréaction concomitantes de l’émotion traumatique pathogène et de la représentation de son origine, l’enfant puis l’adulte qu’il deviendra ne cessera de chercher à abréagir/expulser l’émotion réprimée en lui qui le taraude et l’angoisse. Il se trouvera ainsi contraint de manière non consciente à répéter l’expérience traumatisante en vue d’y trouver une issue libératoire et de décharger les tensions accumulées.

Pour que cela soit possible il faudra provoquer la connexion de deux types de mémoires :

  • La mémoire dite implicite (attachée à l’amygdale cérébrale) qui enregistre les émotions vécues par le corps et les stimuli sensoriels les ayant déclenchées de manière totalement inconsciente.

Et,

  • La mémoire explicite (attachée à l’hippocampe cérébral et au néocortex) qui enregistre les représentations capables d’être décrites verbalement (symbolisables via un langage -verbal, visuel, corporel, musical...) et conscientisées.

Ces deux mémoires devront être réactivées de manière concomitante pour que soit re-vécue la scène en entier - aussi bien en re-présentation qu’en émotions et en sensations corporelles. Ces deux types de mémoires devront coïncider lors du travail thérapeutique pour que puisse avoir lieu l’abréaction du traumatisme.

Ainsi, tant que l’émotion piégée dans la mémoire amygdalienne (fonctionnelle dès la naissance) agit sans accès possible à la représentation de la ou des scènes traumatiques initiales/causales du fait :

  • d’une amnésie infantile (l’hippocampe est immature donc non fonctionnel et ne peut rien encoder avant l’âge de 3 ans)

ou

  • d’un défaut d’encodage (causé par la non verbalisation/confidence ou symbolisation dans tout autre langage de la scène à autrui)

ou 

  • d’un refoulement (l’hippocampe a enregistré la scène mais l’a mise de côté dans une « boîte noire » pour éviter de réveiller l’émotion désagréable associée : douleur, honte...), l’angoisse demeure.

L’enfant non en âge de parler ou interdit de parler cherchera inconsciemment cependant à « dire » à sa manière - à exprimer/à symboliser - la scène traumatique par d’autres moyens/langages : le dessin, les scénarii dans le jeu, le corps dans l’art, la façon de s’habiller, le sport ou la somatisation, etc. 
Ainsi l’art et toutes les activités (professionnelles, amoureuses, de loisirs...) à l’âge adulte continuent cette fonction de tentative d’expression/de symbolisation du trauma émotionnel et d’adaptation de ce trauma devenu constitutif de la personnalité à la vie en communauté puisque nous sommes des mammifères sociaux interdépendants les uns des autres pour maximiser nos chances de survie.

Notons aussi que le rêve a cette fonction de rejouer les émotions pour les détraumatiser :

« La théorie dominante actuelle sur le rôle du sommeil et des rêves est celle de Mattew Walker, professeur de neurosciences et de psychologie à l’université de Californie à Berkeley. Leur fonction serait de dégrader les souvenirs émotionnels de la journée – de remettre à zéro l’amygdale, la région cérébrale où sont vécues les émotions, mais sans les émotions elles-mêmes. Selon cette théorie, toutes les nuits, on digère les émotions négatives de différentes manières que l’on tente de déterminer. L’hypothèse est que l’on revit les phénomènes négatifs dans notre sommeil paradoxal, intégrés dans des scénarios qui nous aident à les dégrader. Les rêves seraient comme une sorte de théâtre mental (...) Ce processus de régulation semble être un mécanisme d’extinction progressive de l’émotion. La réexposition est parfois mélangée à d’autres choses – des éléments positifs, par exemple – qui atténuent ce que l’on vit en rêve (...) cela permettrait un dialogue correct entre l’amygdale, très fortement activée en sommeil paradoxal, l’hippocampe où les informations de la journée sont stockées et le néocortex siège de la mémoire à long terme. Grace à ce dialogue à 3 le cerveau garderait l’information nouvelle et lui enlèverait sa gangue émotionnelle pour la consolider de façon plus définitive dans le néocortex.
Une hypothèse est que, dans un cauchemar, ce mécanisme fonctionne mal au point d’interrompre le rêve en cours et de réveiller le dormeur si bien que le processus en cours d’intégration émotionnelle ne peut aller jusqu’au bout.
Mais pourquoi le dormeur se réveille-t-il ? Il y a plusieurs hypothèses. Nous faisons tous de mauvais rêves sans que cela nous réveille. Dans ces rêves on est dans le même registre de la peur, du dégoût, de la colère que dans les cauchemars mais avec une intensité émotionnelle moins forte. Peut-être est-ce l’intensité des cauchemars qui réveillent les dormeurs ? (...) dans le cas d’un syndrome de stress post traumatique : l’émotion à dégrader est tellement forte que le cerveau n’y arrive pas. Il répète en permanence le trauma et la mémoire traumatique réveille le dormeur à toutes les phases du sommeil. Enfin, environ 5% de la population fait des cauchemars depuis la naissance sans que l’on sache l’expliquer. » (Arnulf I., 2023. Le cauchemar n’est pas une fatalité dans Pour la Science, N°47, pp 30-33.)

L’explication est pourtant claire : 5% de la population a des syndromes de stress post traumatique depuis sa naissance du fait de négligences ou maltraitances parentales et c’est pour cela que ces 5% font des cauchemars.

Le rêve est donc le lieu d’une abréaction naturelle des émotions traumatisantes. Les émotions sont répétées dans la nuit :

« Celles et ceux qui ont vécu des traumatismes terribles (torture, guerre, viol) les revivent mentalement dès qu’ils ferment les yeux, et dans toutes les phases de sommeil. » (Arnulf I., 2023. Le cauchemar n’est pas une fatalité dans Pour la Science, N°47, pp 30-33.)

Ceci explique pourquoi la psychose hallucinatoire n’est en fait rien d’autre qu’une sorte de rêve éveillé.

« Les individus psychotiques ont des rêves particuliers qui ressemblent à leur façon de raisonner dans la journée – sans queue ni tête et plutôt pauvres. » (Arnulf I., 2023. Le cauchemar n’est pas une fatalité dans Pour la Science, N°47, pp 30-33.)

Rêver la nuit sert à symboliser et à abréagir les émotions fortes voire traumatiques. Les activités du jour permettent aussi de symboliser et d’abréagir nos surcharges émotionnelles. Les activités sublimatoires en particulier mettent l’émotion traumatique au service d’un bénéfice pour le sujet du fait d’un partage social. Par exemple, un enfant terrassé par l’insécurité pourra devenir policier pour assurer la sécurité de tous. Malheureusement tous les sujets ne trouvent pas le moyen d’abréagir leur trauma dans les rêves et/ou dans une activé sublimatoire qui permettent une digestion de l’émotion et une décharge. Lorsque l’abréaction ne trouve pas de moyens d’advenir au bénéfice du sujet, malheureusement elle adviendra par des moyens délétères pour le sujet.  Le trauma trouvera un moyen de s’exprimer au détriment du sujet lui rendant la vie difficile :

  • Le corps - via la maladie somatique, les manies, les conduites à risque... - peut devenir le moyen de symboliser le traumatisme et d’expulser la charge émotionnelle associée. Le corps qui somatise est a contrario du corps créatif qui lui arrive à symboliser et expulser de manière bénéfique au sujet et aux autres. Danse, musique, sport et jeux collectifs...favorisent l’abréaction par sublimation.

  • La pensée – via les automatismes de pensée (mentisme, pensée en boucle, obsession, ratiocination...), les phobies...- qui épuisent le sujet. Le mode de penser peut devenir le moyen de symboliser le traumatisme et d’expulser la charge émotionnelle associée. La pensée qui torture est a contrario de la pensée créative qui elle arrive à symboliser et expulser de manière bénéfique au sujet et aux autres. Créations littéraires, scientifiques... favorisent l’abréaction par sublimation.

Quand rien de cela n’est possible, la fonction initiale du rêve – d’abréagir – peut malheureusement envahir l’état de veille du sujet. Le sujet à l’état de veille n’ayant trouvé aucun moyen délétère ou sain d’abréagir ses traumatismes, se voit ponctuellement ou durablement envahi par le rêve. C’est ainsi que la fonction hallucinatoire du rêve prend le dessus et ce faisant, envahit l’état de veille de la personne hyper traumatisée (à une époque le plus souvent préverbale correspondant à l’amnésie infantile). Les hallucinations normales à l’état de sommeil se manifestent durant l’état de veille. Il arrive d’ailleurs que cela survienne succinctement alors que l’on est très fatigué, en manque de sommeil. Cela est beaucoup plus prégnant dans la psychose lorsque le sujet épuisé de ne trouver aucun moyen/langage d’abréagir son trauma se met à rêver, éveillé.

Il en est de même des délires qui émergent dans la psychose. Ils sont qualifiés « sans queue ni tête » ou « pauvres » par Isabelle Arnulf car elle ignore totalement leur portée symbolique. Les délires tout comme les rêves ou les hallucinations ont une fonction : celle d’exprimer via des symboles (puisés dans le répertoire symbolique de la culture du sujet) les traumatismes émotionnels.

Tel est le problème encore aujourd’hui de bien des neuroscientifiques qui ignorent le fait que la pensée ainsi que les émotions conscientes ou inconscientes se traduisent et se communiquent uniquement par l’intermédiaire d’un langage codé. Tout code est par essence symbolique. Par exemple les mots sont des symboles propres à chaque langue et ne sont exprimables et compréhensibles que si le code a été appris. C’est par le langage codé/symbolique qu’il soit verbal, visuel, corporel, musical...qu’un être exprime ses émotions et ses pensées aux autres.

Un traumatisme peut donc être exprimé symboliquement – la nuit dans les rêves et le jour dans des actes/des pensées par différents types de signes (Pour connaître les différents types de signes, je vous invite à lire un manuel de sémiologie ou un dictionnaire des figures de style ainsi qu’à lire l’article suivant : Bonhomme A., Les figures du discours : Entre sémiotique et stylistique dans Stylistiques, Presses universitaires de Rennes, 2010. pp.111-124.) :

  • Par icône (lien de ressemblance entre signifiant/signe et signifié/ce qu’il signifie). Ex : l’image de l’agresseur qui représente l’agresseur. (Symbolisation typique d’un souvenir sans équivoque)

 

  • Par métaphore (équivalence de qualités entre signifiant/signe et signifié/ce qu’il signifie. Ex : l’image de l’araignée pour les qualités de l’agresseur qui a su tendre un piège et emprisonner sa proie. (Symbolisation typique de la phobie)

 

  • Par métonymie (lien de contiguïté entre le signifiant/signe et signifié/ce qu’il signifie : le tout pour la partie, l’avant pour l’après... Ex : l’image d’une montre particulière qui représente la montre portée par l’agresseur. (Symbolisation typique de l’obsession)

 

  • Par symbole (lien arbitraire conventionnel entre le signifiant et le signifié. Ex : l’image de Jésus qui symbolise le fait d’avoir été sacrifié.

Ainsi, comme dans le rêve où le traumatisme émotionnel s’exprime de manière codée, il existe dans notre vie éveillée sous forme de représentation iconique / métaphorique / métonymique / symbolique... qu’il faut apprendre à décoder.

La représentation traumatique existe dans le psychisme sous une apparence détournée : l’objet phobique symbolise le trauma par métaphore et l’objet contre-phobique symbolise un moyen de le combattre. Il peut être symbolisé par un animal, un symbole religieux/politique..., une partie du corps, une maladie somatique, un scénario, un délire, une hallucination, une croyance...

  • Une personne peut avoir la phobie des ascenseurs car c’est l’ascenseur qui menait le sujet au lieu du viol (métonymie)

  • Une personne peut avoir la phobie des horloges car une horloge était présente dans la chambre où le drame se répétait (métonymie)

  • Une personne peut fantasmer à l’idée de jouer au chien tenu en laisse car cela symbolise la relation de soumission qu’elle subissait enfant dans son foyer (métaphore)

  • Une personne peut délirer et se prendre pour Jésus ou la princesse Diana car cela symbolise pour elle le martyre et le sacrifice qu’elle a subi dans son enfance (symbole)

  • Une personne peut halluciner des voix qui lui disent à quel point elle est nulle ou un scénario dans lequel tout le monde pense sans le dire qu’elle est nulle car enfant ses parents lui faisaient comprendre insidieusement qu’elle l’était (icone)

  • Une personne peut souffrir d’un mal de dos chronique parce que le dos symbolise pour elle l’envers du décor, la vie familiale maltraitante invisible aux yeux des autres (métaphore)
    Une personne peut souffrir de cystites répétitives car cette douleur urinaire rappelle une partie de la douleur de viols endurés pendant l’amnésie infantile (métonymie)

Dans la contre-phobie, les objets, les pensées, les fantasmes, les rituels, les hallucinations, les croyances et les délires... ont pour vocation de contrer la phobie pour apaiser l’angoisse.

  • Une personne peut croire en des divinités et porter un fétiche (une croix par exemple) afin de se sentir protégée, ce qui ne fut pas le cas lorsqu’elle était enfant (symbole)

  • Une personne peut fantasmer à l’idée de tenir l’autre en laisse lui faisant jouer le rôle de chien car cela symbolise le renversement de la relation de soumission qu’elle subissait enfant dans son foyer (métaphore)

  • Une personne peut halluciner qu’un ange vient lui parler car cela symbolise pour elle l’innocence et la douceur d’une relation tendre dont elle a manqué cruellement enfant (métaphore)

En matière d’expression sémiologique (le terme du langage courant est symbolique) - phobique ou contre-phobique d’expériences traumatisantes, la créativité humaine est sans limite et tant mieux !

Du simple rituel obsessionnel qui consiste à se laver les mains ou à vérifier que la porte est bien verrouillée 50 fois par jour à la création d’une œuvre artistique, scientifique en passant par le port d’un fétiche..., toutes ces défenses ont pour but de permettre à l’émotion traumatique de s’exprimer et au sujet d’apaiser la tension associée.

Selon le degré de compatibilité avec la société d’appartenance du sujet - régie par des lois juridiques et des règles morales (Variables selon les sociétés, les communautés, les groupes d’appartenance et selon les époques) - elles vont s’exprimer sur des modes différents : psychotique, névrotique, borderline ou pervers mais toutes les angoisses ont une source commune : le traumatisme infantile.

 

Dans les modes de défense psychotique, l’émotion traumatique (sentiment puissant d’insécurité, d’exploitation, d’injustice, d’infériorisation, d’agression séductive ou sexuelle) issue d’une enfance traumatisée par un environnement familial ou social nocif) est devenue à force de répétition un trait de personnalité du sujet à tel point qu’elle conditionne son rapport au monde interprété globalement et systématiquement comme très menaçant (à l’égal de ce qu’était son environnement parental ou communautaire/social). Le réel du psychotique est truffé d’indices qui rappellent l’agression traumatique. Loin d’avoir pu « réaliser » ses conditionnements et les raisons qui les ont créées du fait des attaques subies très jeunes au moment souvent de l’amnésie infantile, le défaut de symbolisation/d’expression (confidence à un tiers...) et d’une décharge associée au moment du traumatisme implique que le sujet est dominé par des défenses abréactives : intrusion du rêve dans l’état de veille (hallucinations), passages à l’acte agressifs pour décharger la tension, symbolisation du trauma via des maladies somatiques, des phobies, des TOC, des idées obsessionnelles. Le psychotique se sent possédé par ses défenses internes qui le torturent.
Ce type de défenses - handicapantes au quotidien - défavorisent son intégration sociale or le rejet social renforce ses défenses. Le sujet en proie aux défenses psychotiques se trouvent piégé dans un cercle vicieux enfermant. Par ailleurs, le respect des lois et de l’autorité qui permettent un comportement social (civilisé) - se trouvent fortement rejetées par le sujet psychotique traumatisé autrefois par le parent agressif et nocif, 1er modèle d’incarnation de ces lois (le père en général). 
Le psychotique aborde le Monde de manière très clivée, manichéenne : l’image de soi est généralement idéalisée en opposition au monde (les lois et l’autorité en particulier) qui est diabolisé. Les gentils d’un côté (moi) contre les méchants (les autres). La nuance et l’ambivalence ne sont pas du monde du psychotique. Parfois, les choses s’inversent dans des moments brefs de tentative d’adaptation/de névrotisation : le soi est diabolisé et les autres sont idéalisés. Les psychotiques ont un peu l’âme d’un grand enfant.

Dans les modes de défense névrotique, les traumatismes émotionnels subis pendant l’enfance ont généralement été subis plus tard, au-delà de la période de l’amnésie infantile, une conscientisation et une symbolisation a été possible : l’enfant a pu verbaliser, se confier à un tiers, exprimer d’une façon ou d’une autre son traumatisme...Le parent incarnant les lois et l’autorité (le père en général) n’a pas été nocif au point que l’enfant rejette toute forme ultérieure d’autorité. Le Monde du névrosé est aussi plein d’indices qui réveillent ses émotions traumatiques mais il réussit à se dominer en quelque sorte, à ne pas laisser l’émotion traumatique interpréter le réel sans usage de la raison tempérante. Il cherche tellement à dominer ses émotions traumatiques qu’il sait incompatibles avec une intégration sociale, qu’il s’en réfère beaucoup aux lois et aux règles pour contrôler son comportement. Il s’interdit des agirs antisociaux mais ne s’interdit pas de les fantasmer bien que cela le culpabilise ! Il se sent coupable même d’y penser !
A l’inverse du psychotique, le névrosé a tendance à idéaliser la loi, l’autorité, les règles et à se diaboliser et se punir quand ses émotions traumatiques le dominent.
Les névrosés ont un peu l’âme d’un adulte qui rejette l’enfant en lui.

Dans les modes de défense borderline, le sujet est en proie majoritairement à des défenses psychotiques mais conscient et souffrant de leur inadaptation sociale, il s’efforce de se « civiliser » en développant des défenses névrotiques. Le sujet borderline oscille entre ces deux modes de défense en permanence -psychotique vs névrotique - et dépense beaucoup d’énergie dans ce yoyo émotionnel et déstabilisant dans la construction d’une identité stable. Les borderlines sont en quelque sorte des psychotiques en quête d’adaptation très névrotique au monde social. Ils souffrent des conséquences de la psychose et de la névrose. 
Les borderlines ont un peu l’âme de l’adolescent impulsif et joyeux de s’opposer au diktat parental/social tout en étant soucieux de s’adapter au monde, en adulte.

Dans les modes de défense pervers, le sujet est clairement clivé entre deux modes défensifs : psychotique dans son intimité et d’apparence névrotique dans le cadre social. Le pervers est faussement névrosé. Il fait croire aux autres comme à lui-même qu’il est une « personne bien » très respectueux des lois et des règles morales alors qu’il jouit de les transgresser dans son inimité cachée aux autres. Le pervers est un psychotique sur-adapté en apparence. Il a développé une haine profonde de l’autorité et des lois tant il a été humilié par le parent qui les incarnaient lorsqu’il était enfant. La défense ultime du pervers est l’identification à l’agresseur, c’est pourquoi il cherche à tout prix à incarner une figure d’autorité et à dicter ses lois et ses règles aux autres qu’il va soumettre comme il était soumis enfant. Psychotique avant tout, le pervers a une vision idéalisée de lui (mégalo) et mauvaise de tout ce qui n’est pas le reflet de son miroir. Les pervers subliment leurs penchants dans des métiers en lien avec la toute-puissance et la loi. Hommes de loi, dirigeants politique ou d’entreprise, général de l’armée sont des métiers idéaux pour un pervers ! Dieu aussi !!! Une alternative névrotique à Dieu est possible : pape, gourou... !
Le pervers joue à l’adulte parfait, un modèle de vertu et de réussite sociale et jouit sans honte ni culpabilité d’agir ses désirs de puissance et de domination à l’encontre des autres.

Il existe selon moi une 4e catégorie :

Entre mode de défense pervers et véritable névrotisation : ces sujets-là souffrent de leurs agirs antisociaux plus forts qu’eux et souhaitent trouver un moyen de se dominer. On entend souvent dans les milieux psychanalytiques que les pervers ne se présentent pas en analyse jouissant trop de leur perversion. Dans les faits c’est faux : il existe bien des sujets pervers qui aimeraient ne pas l’être et travaillent ardemment pour se névrotiser réellement (pas qu’en apparence). Ce n’est pas un attrait pour la morale qui les amène à vouloir changer mais un risque réel de perdre un être aimé : le conjoint très souvent qui menace de partir de manière imminente ou l’enfant devenu adulte qui rejette son parent pour les sévices psychologiques subis. La menace de la perte d’objet peut faire sortir le pervers du clivage et lui faire réaliser les conséquences de ses actes. La tentative de suicide d’un enfant peut aussi sortir un pervers de son clivage. Plus généralement c’est la cour d’assise, le juge, la loi qui fait sortir le pervers de son clivage aveuglant.

En résumé, à cause de ses émotions traumatiques qui le domine le sujet psychotique se sent persécuté à l’idée d’une relation aux autres qui réactivent les relations parentales délétères (clivage et paranoïa (Par paranoïa, nous n’admettons pas la définition traditionnelle psychanalytique : projection du mauvais sentiment de soi dans l’autre. La paranoïa résulte d’une méfiance systématique et exagérée des intentions de l’autre en référence inconsciente au traumatisme d’insécurité du fait de parents agressifs, nocifs voire malveillants)), le névrosé se sent persécuté à l’idée de ne pas s’intégrer au monde social (refoulement et répression sont ses deux défenses phares), d’être mal jugé, rejeté, le borderline les 2 à la fois et le pervers, les 2 aussi mais se débrouille pour ne pas se sentir persécuté par aucune des deux idées en devenant le persécuteur (clivage + identification à l’agresseur : ses 2 défenses phares).

Toute la vie d’un individu - du choix de ses amis, de ses amoureux au choix de ses loisirs, de ses vacances, de sa profession etc. est conditionnée par ses expériences infantiles traumatisantes et les modes de défense qu’il a développé pour s’adapter tant bien que mal à la vie en société.

Il me semble indispensable que des cours de sémiologie stylistique accompagne les cours de sémiologie médicale dans la formation des médecins : cela les aiderait à comprendre la portée symbolique des symptômes physiques et psychiques et à apprendre à les lire au second degré, c’est-à-dire à les décoder car le corps et les états mentaux sont la scène par excellence des expressions des traumatismes vécus avant l’acquisition du langage qui correspond d’ailleurs à la période 0-3 ans de l’amnésie infantile.

« Les traumatismes précocissimes sont ceux que la mémoire ne peut relier au système associatif général ; soit que plusieurs représentations d’un même événement ne puisse coexister, soit qu’aucun code symbolique ne puisse même cicatriser la mémoire de l’événement comme le fait un symbole mnésique ou un fétiche, ce qui revient à décrire une entrée des données sensorielles en dehors de toute systémisation associative, de toute catégorisation. » (Neyraut M., 1997, Les raisons de l’irrationnel, Paris, PUF.)

L’émotion originellement traumatique même si elle n’a pas été enregistrée du fait de l’amnésie infantile, encodée verbalement, reste cependant présente dans le corps sous d’autres formes qui sont à décoder avec d’autres systèmes de codification. La scène traumatique de l’agression gravée dans le corps ne cessera de chercher une voie d’expression de manière détournée, déguisée, c’est-à-dire sous forme de symboles, de métaphores ou autres figures de style afin que soit purgées les émotions traumatiques qui y sont associées.

Tels sont les symptômes et la sémiologie stylistique de l’angoisse : la représentation traumatique qui cherche à émerger sous la forme de symbole/métaphore/métonymie... et les émotions associées à être purgées. Tous les troubles mentaux des plus légers aux plus graves – sont une manifestation de l’angoisse. Cela implique que toute activité humaine – tout choix de vie (amoureux, professionnels, de loisir etc.) est un moyen d’exprimer de manière détournée (codée) nos traumatismes infantiles et de tenter d’y remédier. La sublimation n’est pas une voie d’expression de la libido sexuelle comme le pensait Freud mais une voie d’expression de nos traumatismes émotionnels qui ont conditionné notre personnalité en particulier durant l’amnésie infantile de 0 à 3 ans. Tel était ce que pensait Winnicott à propos de la sublimation, en opposition sur ce point au Freud de Pour introduire le narcissisme (1914) et à Klein dans l’usage qu’elle fut de la seconde théorie des pulsions.

L’angoisse est donc la résurgence d’une émotion traumatique qui continue d’agir sans que le sujet ait conscience ou souvenir de la scène qui l’a causée via une représentation consciente et décodée de celle-ci. L’angoisse perdure également si la représentation de la scène causale, bien que remémorée, décodée et consciente, ne réveille pas l’émotion traumatique éprouvée à l’époque. L’angoisse s’évanouit uniquement lorsque la représentation ancrée dans la mémoire explicite ravive l’émotion ancrée dans l’amygdale pour que la décharge émotionnelle ait lieu. Ce phénomène ne peut avoir lieu qu’à l’issue d’un effort de symbolisation du trauma initial et de son décodage par le sujet traumatisé au travers d’un langage - verbal, visuel, corporel, intellectuel, sensoriel...

Voilà pourquoi l’émotion traumatique qui continue d’agir en nous tant qu’elle n’est ni symbolisée ni purgée émotionnellement de manière concomitante donne lieu à une angoisse qui nous donne l’impression d’être possédé par une force supérieure torturante, inextinguible par la conscience seule, le raisonnement et la volonté.

Voilà pourquoi souvent entendons-nous : « c’est plus fort que moi. »

La vie humaine en quête de liberté et de bonheur est une constante détraumatisation. Choisir de devenir artiste n’est pas plus créatif que de choisir d’être comptable : les deux activités ont pour fonction de trouver le meilleur moyen pour l’individu de se représenter, de rejouer ses traumatismes infantiles ou au contraire de les déjouer pour tenter de se désangoisser de son passé traumatique.

L’avenir conscient n’est qu’un moyen d’écrire (de symboliser) son passé inconscient en guise de détraumatisation.

Par exemple, un enfant qui a manqué de cadre rassurant dans son enfance pourra adulte être attiré par des métiers où le cadre fait loi (défense à contre-pied) alors qu’un autre sera attiré par un métier dont l’organisation est plus chaotique reproduisant le cadre familial (défense de continuité).

La liberté comme l’avait pensée Spinoza en 1649 c’est au mieux d’être conscient des causes qui nous déterminent.

« Cette liberté humaine que tous se vantent de posséder consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. » (Spinoza B., 1677. Éthique, Paris, Flammarion.)

Cette liberté de conscience permet de comprendre nos angoisses mais nous ne pouvons choisir rationnellement d’y mettre fin. Pour y mettre fin, les traumatismes de l’enfance doivent obligatoirement être abréagis : purgés.

1.5 L’ANGOISSE SIGNE QUE L’EMOTION N’EST PAS ABRÉAGIE

 

L’angoisse qui a tant fait couler d’encre de ne pouvoir être définie que subjectivement, phénoménologiquement disons mais non objectivement est désormais simple à comprendre sur le plan physiologique et neuropsychologique : elle est une émotion qui alarme le sujet d’une tension réprimée, comprimée pourrait-on dire qui doit rencontrer la conscience de la représentation qui l’a causée pour être expulsée, déchargée, évacuée, purgée...bref abréagie.

 

L’angoisse se manifeste dès qu’un indice en lien direct ou indirect avec le traumatisme initial apparaît. L’émotion non déchargée se réactive et la tension reprend de plus belle. Inconscient du traumatisme ou même conscient du traumatisme initial, l’angoisse domine le sujet si jamais celui-ci n’a pas eu la possibilité de purger les émotions associées.

Tous les troubles et pathologies mentales – de la légère névrose à la psychose délirante en passant par les états limites – sont des symptômes de l’angoisse. Hans Steck (Hans Steck nommé directeur en 1936 de l’asile de Cery conserva les œuvres de 60 patients dont il se servit pour ses études et fit don de certaines à la collection de l’Art Brut à Lausanne en 1976) psychiatre à l’asile de Cery en Suisse de 1902-1960 déclarait en 1927 :

« L’angoisse est le problème central des névroses et des psychoses. » (Steck, H., "Psychiatrie et Biologie", Leçon inaugurale prononcée le 2 mars 1926, à Lausanne, Schweizerische medizinische Wochenschrift, 57, 19, 1927, pp. 436-441.)

Ainsi, tant que le traumatisme initial n’est pas abréagi, l’angoisse demeure et l’adulte vivra ses expériences au travers de son filtre défensif et pire encore cherchera à se remettre dans les mêmes conditions de son enfance pour tenter de décharger l’émotion figée viscéralement. C’est pourquoi la décharge émotionnelle qui n’a pas eu lieu enfant ne cessera de chercher à advenir. Pour cela l’adulte reproduira inconsciemment les situations et les relations typiques de son enfance dans le but de revivre les conditions traumatiques qui raviveront l’émotion infantile pour réussir à l’évacuer enfin. Tant que l’abréaction de l’émotion traumatique n’aura pas eu lieu, la tendance à répéter dominera la vie de l’adulte traumatisé et le mènera à provoquer malgré lui des conflits qui mineront sa vie et celles des autres, toujours dans le but d’expulser la tension émotionnelle coincée/fixée en lui depuis son enfance.

1.6 LA COMPULSION DE RÉPÉTITION DU TRAUMATISME TANT QU’IL N’EST PAS ABRÉAGI

Telle est la raison de la compulsion de répétition qui mine la vie des personnes traumatisées. Il faut que soit ravivée cette émotion cristallisée pour réussir à en évacuer toute la charge. Voilà pourquoi entendons-nous si souvent : « J’ai beau le savoir, je ne peux pas m’empêcher de me remettre dans le même genre de situation. »

La compulsion de répétition est un phénomène qui a été découvert par Pierre Janet en 1889 très largement décrit dans L’Automatisme psychologique puis conceptualisé par Freud en 1920 dans Au-delà du principe de plaisir.

Janet, premier penseur du stress traumatique avait observé que les traumatisés avaient tendance : « à poursuivre l’action, ou plutôt sa (vaine) tentative, initiée au moment du choc initial. » (Janet P., 1889. L’automatisme psychologique, Paris, Odile Jacob, 1995.)

La question de l’action interrompue ou empêchée du corps pour prendre la fuite ou initier un combat jouera un rôle déterminant dans le devenir traumatique de l’événement. Ainsi que la question comme nous venons de le voir de « pour-voir » encoder l’événement dans sa mémoire explicite et de se le re-présenter ultérieurement et d’abréagir toute la tension cristallisée. Si tel n’est pas le cas, l’évènement peut revenir sous forme d’images envahissantes s’il a été mémorisé par l’hippocampe ou sous forme de scènes à rejouer si seule l’amygdale a pu l’encoder :

Freud comme Janet constataient cette compulsion de répétition dans les névroses de guerre où le patient répète les traumatismes (dont les mouvements pour s’enfuir ou se défendre) vécus à la guerre dans sa vie éveillée et dans ses rêves. Les phénomènes de flash-back traumatiques et de répétition de l’action traumatique vécue pendant la guerre ont aussi été observés en 1920 par Karl Abraham et Sandor Ferenczi médecin de guerre, tous deux confrères psychanalystes de Freud. Ces observations donnèrent lieu à un colloque et un ouvrage collectif intitulé Névroses de guerre.

Force étant de constater que les traumatismes infantiles et les traumatismes de guerre donnent lieu à une compulsion de répétition contraire au Principe de Plaisir tel que l’avait décrit Freud en 1911, ce dernier va tenter d’expliquer la compulsion de répéter une expérience douloureuse en posant le Principe de Nirvana ou Principe de Constance qu’il définit alors comme la tendance de l’organisme à réduire les tensions, en les ramenant à un niveau aussi bas ou aussi constant que possible. Ce principe posé par Freud est très proche du concept d’homéostasie utilisé aujourd’hui pour décrire ce retour à l’équilibre.

Dans les fonctions psychiques écrit Freud, il y a : « quelque chose qui a tous les caractères d’une quantité...capable d’augmentation, de diminution, de déplacement et de décharge...c’est un peu comme une charge électrique. » (Freud S., 1894. « Les psychonévroses de défense » dans Névrose, psychose et perversion, PUF.)

Le principe de constance cherche à caractériser le défaut d’abréaction qui empêche la décharge nécessaire à l’apaisement, maintenant un excès d’excitation délétère source d’angoisse. La répétition du traumatisme aurait cette finalité : d’abaisser la tension associée au traumatisme à force de répétition de l’action de la scène traumatique originelle.

Notons dès à présent, nous y reviendrons de manière détaillée ultérieurement que Donatien Sade utilisait déjà la métaphore du « fluide électrique » pour illustrer ce qu’exigeait de nous la Nature selon sa conception : elle nous pousse à faire mal et accomplir ce mal permet une décharge qui provoque du plaisir. Nous voyons ici se dessiner comment la compulsion à faire mal à son alter ego répond à un défaut d’abréaction qui fait suite à un traumatisme originel d’agression. Se faire mal peut se jouer d’un commun accord entre masochiste et sadique dans un contrat tacite mais peut malheureusement se pratiquer et c’est là une pratique sadienne (et non sadique), telle que la pratiquait Sade - au détriment d’innocents qu’il capturait pour les torturer, voire les tuer. Cette identification massive et durable à l’agresseur de l’enfance est le fait d’une personne traumatisée qui décharge sa haine et son plaisir vengeur continuellement en s’en prenant à un alter ego à qui elle fait jouer le rôle de l’enfant qu’elle fût. Ce que l’on nomme aujourd’hui dans le langage courant « perversion narcissique » trouve sa source dans une défense par identification massive à l’agresseur de l’enfance. Ultra traumatisé, l’adulte ne trouve de décharge que dans le plaisir de la haine vengeresse à faire subir à autrui ce qu’il a subi enfant. Nous reviendrons sur ce type particulier de défense ultérieurement.

Revenons à présent sur la question de la décharge qu’exige un traumatisme non abréagi.

C’est sur un principe assez similaire que repose la thèse moderne de David Berceli publiée en 1994 dans La méthode T.R.E. (Tension Releasing Exercises) pour se remettre d’un stress extrême qui vise à décharger les tensions du corps de manière purement mécanique - en forçant artificiellement le tremblement du corps qui a pour fonction originelle d’expulser les tensions musculaires lors d’un traumatisme.

« Lorsque nous éprouvons de la peur, le signal » nous dit-il « est donc déjà envoyé à nos muscles squelettiques les faisant se contracter pour permettre la fuite ou le combat. » (Berceli D., 2014. La méthode TRE pour se remettre des stress extrêmes, Thierry Soucar Éditions, p. 32.)

Les animaux ne seraient pas traumatisés selon lui car suite à une peur, ils tremblent et se secouent pour expulser la tension alors que l’humain plus cérébral et civilisé contient sa tension et réprime ses passages à l’acte comme déguerpir et se battre. Il a identifié le psoas iliaque comme étant :

« Le groupe de muscles de la réponse combat/fuite » qui permet « à notre corps de rouler sur lui-même et de protéger son bas-ventre de blessures potentiellement mortelles – et, pour se détendre une fois le danger passé, de relâcher la tension musculaire excessive qui était nécessaire pendant l’événement. » « Le psoas iliaque est comparable à une sentinelle qui protégerait le centre de gravité du corps humain...afin de se libérer des contractions physiques déclenchées par un trauma, ces muscles profonds doivent pouvoir relâcher leur tension protectrice et revenir à un état de détente. » (Berceli D., 2014. La méthode TRE pour se remettre des stress extrêmes, Thierry Soucar Éditions, p. 46.)

Dans la pratique, le thérapeute TRE demande au patient de se remémorer son traumatisme (s’il ne le connait pas, rien n’est possible donc) et stimule à ce moment-là le tremblement des muscles du psoas iliaque.

Cette stimulation-simulation apporte un soulagement immédiat mais de courte durée car les muscles et les tensions associées qui sont stimulés ne sont pas ceux qui correspondent à la réalité du traumatisme tel qu’il a été vécu. Un enfant battu à 2 ans et un autre violé à 6 ans n’aura pas contracté les mêmes muscles et le figement musculaire interne qui perdure depuis n’est pas du tout localisé au même endroit du corps.

CAS 1

Je cite pour exemple, le cas d’une analysante de 41 ans qui souffrait de vaginisme « depuis toujours ». Elle avait tenté toute sorte de thérapies psychiques et corporelles. Rien n’avait marché pour elle : son blocage persistait. 
Lors de la psychanalyse, nous avons exploré son passé et par association d’idées, elle en est arrivée à se souvenir d’une expérience traumatique lors de laquelle un vieil ami de sa famille avait tenté de la pénétrer alors qu’elle avait 12 ans prétextant un rituel bienfaiteur. Au moment soudain de la remémoration, elle a ressenti physiquement et intensément un figement musculaire au niveau vaginal et s’est souvenu l’avoir ressenti à l’époque puis complètement oublié/amnésié depuis ce jour. Suite à cette séance, l’analysante a ressenti un relâchement musculaire sous forme de petits spasmes au niveau du figement initial s’étalant sur une période de 8 mois environ suite à quoi le figement s’est totalement dissipé. Son traumatisme semble abréagi puisqu’une

L’abréaction psychanalytique, à la différence de la méthode cathartique que pratiquaient Breuer et Freud sous hypnose à la fin du 19e siècle n’est efficace sur le long terme que si elle a lieu lors d’une remémoration consciente et vivante (revécue dans le corps) de la scène traumatique refoulée, non encodée ou amnésiée.  L’analysant doit revivre c’est-à-dire ressentir, éprouver à nouveau la scène dans sa chair, dans son sang, dans ses os et ses muscles pour que soit ravivées les émotions, les tensions musculaires puis les décharges de celles-ci qui sont entre autres motrices et hormonales.

C’est pourquoi Freud abandonnera la méthode cathartique et l’hypnose et soutiendra la nécessité absolue d’une remémoration consciente et re-vécue des scènes refoulées pour qu’il y ait une guérison durable du traumatisme.

Ferenczi pensait que l’expérience traumatique devait être remémorée mais surtout revécue dans le cadre analytique pour que puisse avoir lieu son élaboration, il disait à ce propos :

« Il faut répéter le traumatisme lui-même et, dans des conditions plus favorables, l’amener, pour la première fois à la perception et à la décharge motrice. » (Ferenczi S., Groddeck G., Correspondance, 1921-1933, Paris, Payot, 1982)

La décharge d’excitation émotionnelle (ou décharge motrice) qui permet d’abaisser la tension générée par le traumatisme est donc permise en psychanalyse par l’abréaction : elle se produit lorsque les souvenirs du traumatisme refoulé ou non encodé dans la mémoire explicite remontent à la conscience permettant ainsi la libération des émotions et des tensions corporelles enfermées dans le souvenir. Ceci a pour effet de libérer la tension émotionnelle et d’annuler les effets pathogènes des tensions emprisonnées dans le corps meurtri.

Freud soutenait la nécessité d’une prise conscience des représentations refoulées pour qu’il y ait des effets thérapeutiques. Tel est l’objectif de la méthode psychanalytique. Pour ce faire deux types de mémoire devront coïncider – la mémoire implicite qui enregistre les émotions et sensations vécues par le corps et les stimuli les ayant déclenchées et la mémoire explicite qui enregistre les représentations capables d’être décrites verbalement et conscientisées. Comme nous l’avons déjà évoqué, répétons que ces deux types de mémoires devront coïncider lors du travail thérapeutique pour que puisse avoir lieu l’abréaction du traumatisme.

Le problème se pose cependant quand les traumatismes ont eu lieu à l’époque de l’amnésie infantile. Lorsque les traumatismes sont vécus à un âge très précoce, les scènes n’ont pu être enregistrées dans la mémoire représentationnelle dite mémoire explicite accessible à la conscience par remémoration du fait que l’hippocampe non encore mâture avant l’âge de 3 ans n’a rien pu conserver. En revanche l’amygdale mâture très précocement, dite mémoire implicite inaccessible à la conscience conserve elle, les traces émotionnelles et sensorielles des évènements ainsi que les stimuli directs et indirects qui les ont provoquées.  Ainsi, dès que la personne traumatisée est exposée à un stimulus en lien avec le traumatisme son corps réagira automatiquement – par réflexe conditionné – par l’émotion et les sensations sollicitées à l’époque.

Dans les cas d’amnésie infantile lorsque la représentation n’a pas été codée dans l’hippocampe, il est cependant possible de la reconstituer à l’aide d’indices corporels et émotionnels enregistrés dans l’amygdale. Aussi, nous l’avons vu, le décodage symbolique des symptômes qu’ils soient des rêves, des fantasmes, des passages à l’acte, des délires, des raisonnements, des TOC ou des hallucinations aident à reconstituer la scène initiale traumatique.

L’effet de reconstitution via le décodage symbolique des symptômes et indiciels des sensations corporelles et émotionnelles permet une représentation indicielle du traumatisme initial permettant une décharge émotionnelle. Celle-ci est cependant plus longue à advenir car moindre en intensité qu’une décharge provoquée par le retour soudain d’un souvenir direct/iconique (lorsqu’un souvenir n’est pas transformé dans un symbole/une métonymie/une métaphore... il est dit iconique) d’une scène traumatique encodée comme telle dans la mémoire explicite.

La compulsion à revivre inconsciemment le traumatisme a donc pour fonction une reconstruction de l’événement traumatique pour tenter :

  • de réussir à s’en défendre ou le contrôler là où il y a eu échec du fait d’une impuissance à l’époque

  • de réussir son élaboration, là où il y a eu défaut d’encodage sémiologique de l’événement

  • de décharger la tension associée à l’émotion cristallisée

CAS 2

Une analysante de 33 ans était à la fois fascinée et apeurée par les personnes aux yeux couleur bleu turquoise mais éprouvait une angoisse extrême suivie d’un malaise vagal lorsqu’elle eut entamé un rapport intime avec 3 de ces personnes dans sa vie. Le stimulus « yeux bleu turquoise » était ainsi associé dans la mémoire implicite inaccessible à la conscience de l’analysante à /viol/, /terreur/ suivi de /malaise/, c’est pourquoi elle s’évanouissait quand elle y était confrontée dans un contexte intime. Elle n’en comprenait cependant pas les raisons puisque sa mémoire explicite n’avait pu enregistrer les scènes, celles-ci ayant eu lieu alors qu’elle avait été laissée toute seule chez son oncle les étés de 3 à 5 ans environ (initialement à 3 ans du fait de ses 2 parents malades)
La thérapie a permis à l’analysante de reconstituer les scènes d’agressions sexuelles à partir de sensations dont elle se souvenait grâce à sa mémoire implicite (sensation d’un doigt dans le ventre et de chatouilles atrocement douloureuses) puis de se souvenir soudainement dans des cauchemars les yeux bleu turquoise de son oncle et de ressentir à ce moment-là cette sensation atroce et chatouilleuse de doigt dans le ventre. Lorsque cette remémoration eut lieu, l’analysante fut extrêmement éprouvée de honte, de terreur et de profond désespoir suicidaire (émotions qu’elle avait éprouvées enfant et chroniquement depuis ce temps-là sans comprendre pourquoi). Durant de nombreuses séances, ces émotions réactivées ont fortement ébranlé l’analysante mais elle a fini à force de décharges de colère et de tristesse répétées en séance et de soutien puissant de ma part, à se sentir véritablement soulagée physiquement et débarrassée de la tristesse, de la honte et de l’angoisse qui l’envahissaient autrefois dans ses moments d’intimité en particulier. Une confrontation avec l’oncle et un aveu de sa part qui a donné lieu à une reconnaissance familial du drame vécu a également fortement contribué à sa guérison.

 

Ainsi nous répétons des scénarii de notre enfance lorsque ceux-ci ont provoqué en nous des émotions que nous n’avons pu apaiser via une décharge d’excitation motrice et hormonale associée à l’émotion vécue et/ou à une aide parentale pour nous calmer ou nous secourir. Si nous ne nous sommes pas déchargés de nos excitations/émotions en temps voulu et que nous sommes donc toujours chargés négativement de l’émotion, nous chercherons inconsciemment à réactiver par la répétition la représentation associée pour permettre une abréaction. Cela n’est pas théorique. Ma pratique de psychanalyste m’apporte les preuves chaque semaine de ce phénomène d’abréaction qui permet de décharger émotionnellement le traumatisme des effets pathogènes quand l’analysant accède à la représentation et/ou à l’émotion traumatique jusque-là inaccessible et/ou indécodable.

Freud accordait une place principale à l’affect (l’émotion) dans l’inconscient et pensait majeur le refoulement qui s’exerçait dessus à la différence de Jacques Lacan ne voyant pas d’affects dans l’inconscient mais que des représentations et des signifiants verbaux sur lesquels porterait le refoulement.  Après Lacan, en 1973 dans Le discours vivant, André Green réhabilita l’affect dans l’appareil psychique ainsi que dans la cure analytique. L’analyse dit-il prouve qu’il existe deux discours : un discours verbal et un discours fait de signes non langagiers. Le corps est en effet le langage des émotions et mêmes des représentations : le corps est le théâtre inconscient des émotions. 
Cette idée que le traumatisme cherche à être représenté au travers d’une expérience émotionnelle qui cherche à être remémorée dans le cadre transfériel de l’analyse est aussi au cœur de la pensée de Bion (1979) dans Aux sources de l’expérience. 
Les neurosciences donnent raison à Green et Bion : le refoulement porte tant sur la représentation contenue dans la mémoire explicite que sur l’émotion contenue dans la mémoire implicite. Le débat est clos.

Un des apports fondamentaux de Freud est d’avoir conceptualisé la compulsion de répétition et constaté que la répétition du traumatisme se rejouait dans toute relation - donc dans le transfert analytique, c’est-à-dire dans la relation entre l’analysant et le psychanalyste. Le psychanalyste qui se voit inconsciemment octroyer le rôle du parent traumatique par l’analysant, peut ainsi identifier la relation d’origine traumatique et amener l’analysant à conscientiser en acte, en ressentis et en représentations les relations inconscientes qui se sont établies dans son enfance. Freud identifie donc le transfert comme la clef de la psychanalyse et se détourne de la méthode cathartique par hypnose de Breuer du fait de cette découverte fondamentale.

Bien que le transfert soit inévitable (dans toutes relations) et nécessaire à analyser (dans le cadre d’une psychanalyse), je pense pour ma part que la méthode qui axe le travail sur la répétition dans le transfert, la répétition du traumatisme donc dans le transfert analytique est contre-productive et dangereuse pour l’analysant qui se trouve pris à son insu dans un psychodrame qui renforce le traumatisme et ses défenses et aggrave nettement la situation de souffrance de l’analysant. Il n’est pas étonnant que les psychanalyses qui utilisent cette méthode durent indéfiniment sans déboucher sur une guérison dumoins une amélioration nette de l’état de mal-être ayant mené l’analysant à entamer une analyse.

Prenons le cas initiateur de la psychanalyse : l’hystérie. Les causes comme le pensait Freud initialement avant de renoncer à la vérité politiquement incorrecte proviennent d’une séduction sexuelle intempestive d’un parent à l’égard de l’enfant. Le père est souvent présumé coupable or la clinique nous prouve que la mère (Via en particulier, des soins maternels invasifs et un contrôle psychique de l’enfant) ne l’est pas moins tant à l’égard des garçons que des filles et vice versa concernant le père. La conséquence de cette séduction sexuelle est l’excitation sexuelle de l’enfant sans décharge puisque dans le cas de l’hystérie il n’y a pas de passage à l’acte. On parlera de viol dans le cas d’un passage à l’acte (l’attouchement me semble faible sémantiquement pour décrire un toucher sexuel sur un enfant (Le clitoris est sensible tout comme le gland)). La conséquence est que l’enfant se trouve figé dans un état d’excitation sexuelle permanent en recherche constante de reproduire la situation transgressive pour rejouer les scènes traumatiques et décharger sa tension sexuelle.

L’analyste du fait de son statut est bien placé pour inspirer le rôle parental à l’analysant et favoriser le transfert vers la répétition de la transgression traumatique.  Si l’analyste donne le change trop longtemps à ce transfert, les conséquences seront graves pour l’analysant qui sombrera dans un transfert amoureux massif, son inconscient voyant là la situation idéale pour abréagir son excitation cumulée depuis tant d’années. Bien des analystes se sont fait prendre au piège et sont allés jusqu’à passer à l’acte avec leur(e) analysant(e). Ferenczi, Jung, Lacan et bien d’autres. Quel scandale. Freud avait pourtant mis en garde les jeunes analystes des dangers du transfert amoureux et de l’éthique absolue qui consistait à renoncer à la tentation d’y céder. Freud n’a malheureusement pas compris à cette époque qu’il fallait tout simplement ne pas engager la relation transférielle au-delà de son ébauche pour que l’analysant y répète son traumatisme. Abréagir le traumatisme de son analysant en couchant avec lui (Cette situation malheureusement très fréquente est mise en scène dans la série En Thérapie diffusée sur Arte en 2020) : est-ce cela à quoi mène le transfert dans la psychanalyse freudo-lacanienne ? Les errances des psychanalystes du début de la psychanalyse peuvent nous inspirer une certaine tolérance. Des erreurs sont commises mais des enseignements doivent en être tirés. Mais de telles erreurs commises par Lacan qui s’est mis en couple avec une analysante âgée de moins de 27 ans que lui : n’est-il pas indigne du métier que de constater de tels abus ?

Pour ma part, je constate que les guérisons des traumatismes n’ont lieu que si l’analyste est senti et considéré comme un allié de confiance et soutenant, permettant à l’analysant de revivre à travers ses transferts actuels (dans sa vie amoureuse, professionnelle...) ses relations passées traumatiques sources de douleurs et d’émotions éprouvantes.

Les abréactions qui permettent la guérison sont des moments épouvantablement douloureux à vivre et cela peut s’étaler sur plusieurs semaines et mois en séance. Pour repasser par-là, revivre dans son corps les sensations et les émotions épouvantables d’autrefois, l’analysant doit ressentir le soutien, la présence indéfectible de son analyste émotionnellement connecté à lui comme aurait dû l’être un parent « suffisamment bon » et contenant. L’attitude humaine et soutenante préconisée par des psychanalystes tels que Ferenczi ou Winnicott se rapproche de ce qu’il me semble être nécessaire pour que les résistances et les défenses de l’analysant s’assouplissent et laissent place au retour du refoulé, à la reconstitution de la scène amnésiée ou non encodée ainsi qu’à ses émotions torturantes de douleur.

L’art de la thérapie sera donc de reconnecter la mémoire implicite qui réagit émotionnellement et sans intervention de la conscience aux stimuli par conditionnement appris du passé à la mémoire explicite qui détient la ou les scènes visuelles des stimuli traumatiques en question. Pour déconditionner la mémoire implicite qui réactive l’émotion traumatique au moindre stimulus en lien - même très indirect avec le traumatisme passé, il faudra que le patient se souvienne ou reconstitue consciemment la scène ou les scènes qui ont provoqué un tel traumatisme. Aussi étrange que cela puisse paraître, les patients parfois se souviennent des scènes mais n’éprouvent plus l’émotion (Le mécanisme de défense qui permet cela est l’isolation de l’affect (Psychanalyse) ou la dissociation  (Neuropsychologie)). Or c’est l’accès à l’émotion en vue de sa décharge qui libérera le sujet de son traumatisme. L’émotion n’est pas si accessible que ça car le corps défendant sait bien que de la revivre sera à nouveau immonde de douleur...Telle est la raison des résistances aux avancées de la thérapie (annulations de séances intempestives, oubli des séances, rupture soudaine...) : non seulement le traumatisé craint de revivre des émotions insoutenables mais craint aussi de perdre son identité car ne l’oublions pas, sa personnalité s’est construite à travers le traumatisme.

L’abréagir va le mener nécessairement à se décharger aussi de ses traits identitaires.

1.7 LES DANGERS DE L’ABRÉACTION POUR LES TRAUMATISMES TROP VIOLENTS

 

Aussi, pour certaines personnes qui ont vécu des atrocités, il est parfois contre-indiqué de pratiquer une abréaction car elles ne supporteraient pas de revivre des émotions si violentes une deuxième fois. Tel est le cas bien souvent des personnes qui ont vécu la guerre (déportation, tortures...) et des maltraitances physiques et sexuelles aussi bien enfant qu’adulte. Se remémorer ces horribles scènes et raviver les émotions associées peuvent mener malheureusement une personne au suicide. Le métier de psychanalyste exige la prudence et engage des responsabilités extrêmement sérieuses.

Rachel Rosemblum explique ce phénomène dans Mourir d’écrire et Boris Cyrulnik dans Mourir de dire.

« Peut-on mourir de dire la catastrophe ? Faut-il voir le choix de la divulgation avant tout ce qu’elle entraîne de retour des affects, comme un tournant final ? (...) Survivre aux traumas extrêmes...entraîne des conséquences lourdes à porter...Le fait de se taire expose souvent le survivant à une sorte d’existence desséchée, à « une mort-dans-la-vie ». Mais le fait de dire l’expérience intolérable peut entraîner des dangers non moins graves. Ce dire semble dans certains cas capable de déclencher des épisodes psychotiques, des atteintes somatiques graves, voire le suicide ou la mort. » (Rosenblum R. 2019. Mourir d’écrire ? Shoah, traumas extrêmes et psychanalyse des survivants, PUF, p. 27-58.)

Ferenczi alertait pour sa part le danger d’une « répétition pire que le trauma. » (Ferenczi, S., 1932. Journal clinique, note du 4 novembre 1932, Paris, Payot, 1985.)

Winnicott parle lui de l’« après-coup » dans la thérapie que craint le patient terrorisé de revivre le traumatisme.

« Nous avons besoin d’employer le mot ‘effondrement’ pour décrire l’état de choses impensable qui est sous-jacent à l’organisation d’une défense. » (Winnicott D. W. La crainte de l’effondrement, La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, Paris, Gallimard, 2000, p. 207.)

Cette crainte correspond pourtant à « la crainte d’un effondrement qui a déjà été éprouvé. » Winnicott recommande même à certains moments de la thérapie d’indiquer à l’analysant que « l’effondrement a déjà eu lieu ».

Bessel von der Kolk attire également l’attention sur ce danger à propos des grands traumatisés de guerre :

« Revivre un traumatisme ne peut être bénéfique que si on n’est pas submergé par lui. Une étude sur des vétérans du Vietnam, conduite au début des années 1990 par mon collègue Roger Pitman, en est un bon exemple. A l’époque, j’allais dans son laboratoire toutes les semaines explorer avec lui le rôle des endorphines dans les SSPT. Pitman me montrait des vidéos de ses séances de traitement et nous échangions nos observations. Il exhortait les vétérans à revenir à maintes reprises sur chaque détail de ce qu’ils avaient vécu au Vietnam, mais il a dû interrompre son étude car ils étaient souvent paniqués par leurs flash-back, et leur effroi persistait après les séances. Plusieurs d’entre eux ont laissé tomber, et beaucoup en sont sortis encore plus déprimés, anxieux et violents ; certains ont réagi à la recrudescence de leurs symptômes par une phase d’alcoolisme, ce qui a redoublé leur violence – et leur humiliation, car leur famille les a fait hospitaliser d’office. » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 301.)

Ces cas sont extrêmes mais il n’est pas nécessaire malheureusement d’avoir vécu de telles atrocités pour être traumatisé et souffrir d’émotions traumatiques sources de conflit interne ou interrelationnel toute sa vie. Mon expérience personnelle et clinique me mène à penser que nous sommes tous plus ou moins traumatisés. Certains le sont légèrement et se sont adaptés à vivre en société sans en souffrir alors que d’autres sont hyper et polytraumatisés et vivent isolés ou en conflit très violent avec eux-mêmes et les autres.

Les analysants qui consultent pensent toujours qu’il y a pire qu’eux et s’excusent de venir se plaindre pour si peu. Cette attitude indique que les plaintes de ces personnes lorsqu’elles étaient enfants ont été déniées, fortement relativisées, moquées ou culpabilisées.  Aussi il existe une attitude des adultes en thérapie à relativiser et/ou à excuser le comportement nocif de leurs parents car ils se sentent coupables ou ingrats d’exprimer leur peine et leur reproche. Beaucoup d’hommes ont d’ailleurs du mal à franchir le pas d’un cabinet tant ils ont été élevés à se sentir faibles et indignes de pleurer, d’exprimer leur douleur et de s’en plaindre. Traités dès leur plus jeune âge de « fillette » ou de « tapette », comment ces garçons peuvent-ils ensuite exprimer et expulser leurs émotions et tensions accumulées sans se sentir minables et sans se décharger de tant de répression en adoptant des attitudes agressives défoulatoires ?  Je ne dis pas ça bien sûr pour excuser cette agressivité mais pour dénoncer l’éducation fondée sur la répression des émotions, particulièrement forte auprès des garçons.

Bien des gens donc se sentent ingrats, faibles, indignes ou coupables d’exprimer les peines vécues dans leur enfance et les reproches adressés aux parents. Pourtant mon expérience me mène à constater que le traumatisme est le lot de tous et que nul n’est exempt d’un seul traumatisme infantile.

Suite à mes travaux de recherche, comme indiqué en introduction j’ai identifié 18 grandes classes de traumatismes émotionnels infantiles et 2 défenses majeures avec leurs intermédiaires par traumatisme (1 défense de continuité et 1 défense à contre-pied) soit une quarantaine de grandes défenses par traumatisme au global. Extrêmes et multiples chez certains ou uniques et légères chez d’autres, nul n’y échappe cependant totalement. Certaines personnes sont très traumatisées alors que d’autres le sont légèrement et d’autres encore sont polytraumatisées : elles ont subi plusieurs des 18 traumatismes, voire les 18.

Cet écrit propose à chacun de prendre connaissance des 18 traumatismes et des défenses qui constituent le terreau pathologique de tout un chacun afin d’identifier l’origine de nos comportements conflictuels intra et relationnels.

Avant de développer la spécificité de chaque traumatisme et des défenses qui y sont relatives selon la capacité du sujet à s’adapter à la réalité sociale régie par des lois et des règles, explorons le lien entre les émotions et les défenses dont nous disposons en tant que mammifère pour faire face à un environnement agressif et dangereux.

Descartes déclarait déjà en 1649 :

« Il est besoin de remarquer que le principal effet de toutes les passions dans les hommes est qu’elles incitent et disposent l’âme à vouloir les choses auxquelles elles préparent le corps ; en sorte que le sentiment de la peur l’incite à vouloir fuir, celui de la hardiesse à vouloir combattre, et ainsi des autres. » (Descartes R., 1649. Les passions de l’âme, Flammarion, GF Philosophie, 1995.)

2. LES SYSTÈMES DE DÉFENSE TROP SOLLICITÉS DANS L’ENFANCE AUX SOURCES DU TRAUMATISME PSYCHIQUE

2.1 UNE EMOTION DEVIENT STRUCTURELLE, SE CRISTALLISE DANS LE CORPS QUAND CELLE-CI N’A PAS DONNÉ LIEU A UNE ACTION DE DEFENSE EFFECTIVE     ET DE DÉCHARGE MOTRICE ET DEVIENT DE CE FAIT CONSTITUTIVE DU CARACTÈRE IDENTITAIRE DE L’INDIVIDU

 

La nature des émotions est d’alerter l’organisme d’un déséquilibre homéostatique potentiellement dangereux (émotions de peur, de colère, de tristesse...) ou d’un bienfait pour son maintien (émotion de joie, d’affection...) afin d’amener l’organisme à se mobiliser ou à s’immobiliser (en cas de danger mortel) pour rétablir l’équilibre et, à éviter ou reproduire la situation selon qu’elle est dangereuse ou bienfaitrice.

Dans Spinoza avait raison, voici la définition de l’émotion qu’en donne Antonio Damasio :

«

  1. Une émotion proprement dite, comme le bonheur, la tristesse, l’embarras ou la sympathie, est une collection complète de réponses chimiques et neurales formant une structure distinctive.

  2. Les réponses sont produites par le cerveau normal lorsqu’il détecte un stimulus émotionnellement compétent (SEC), un objet ou un événement dont la présence, réelle ou sous forme de souvenir mental, déclenche l’émotion. Les réponses sont automatiques.

  3. Le cerveau est préparé par l’évolution à répondre à certains SEC selon des répertoires d’action. Toutefois, la liste des SEC n’est pas limitée à ceux que prescrit l’évolution. Elle en inclut de nombreux autres qu’on apprend avec l’expérience vécue.

  4. Le résultat immédiat de ces réponses est un changement temporaire dans l’état du corps propre et dans celui des structures cérébrales qui forment la carte du corps et sous-tendent la pensée.

  5. Le résultat final de ces réponses, directement ou indirectement, est de placer l’organisme dans des circonstances contribuant à sa survie et à son bien-être.

» (Damasio A., 2003. Spinoza avait raison, Le cerveau de la tristesse, de la joie et des émotions, Éditions Odile Jacob, pp. 60-61.)

Ainsi, les émotions dites « positives » comme la joie sont agréables, c’est pourquoi elles participent au « système de la récompense » pour le bien-être qu’elles produisent alors que les émotions dites « négatives » qui sont désagréables participent au « système de la punition » afin que nous évitions de reproduire la situation qui les a produites, alertante pour l’équilibre homéostatique et notre survie à terme. Cette sémantique Punition/Récompense est très mal choisie car les émotions désagréables (dites négatives) sont tout aussi utiles que les émotions agréables (dites positives) du fait qu’elles ont toutes deux une fonction vitale adaptative : celles de nous alarmer d’un problème et/ou d’une situation homéostatique à rétablir. Les systèmes Punition/Récompense relèvent d’une sémantique moraliste étrangère au corps, à sa biologie et nous ne l’utiliserons pas de ce fait dans cet écrit.

Ainsi, les émotions désagréables comme la colère, la tristesse et la peur en particulier sont des alarmes qui activent automatiquement des défenses innées. Défenses communes à de nombreuses espèces animales qui se sont configurées au cours de l’évolution. Notons que ces défenses s’activent automatiquement via le système nerveux autonome avant même que nous puissions en avoir conscience. Le corps réagit très vite pour sa survie quand il détecte un danger alors que la conscience et plus encore la compréhension des causes et des conséquences est plus longue et ultérieure à la réaction première, d’où, nous le verrons de manière détaillée, nos difficultés à changer nos comportements défensifs dont ceux qui se sont forgés durant l’enfance pour assurer notre survie, en particulier affective.

Nous avons évoqué antérieurement que le corps réagit vite et inconsciemment aux dangers en référence à la mémoire implicite contenue dans l’amygdale cérébrale (Cf. celle qui a enregistré les émotions générées par les stimuli traumatiques sans représentations associées ni conscience). Il suffit donc que le sujet détecte un stimulus qui a trait de loin ou de près au traumatisme initial pour que soit déclenché en lui automatiquement à vitesse grand v, l’émotion initiale et les défenses associées.

Nous ne sommes cependant pas pour autant condamnés à réagir à la peur tels des automates façonnés sur le modèle de nos traumatismes infantiles puisqu’en parallèle de ce système en fonctionne un autre, plus lent, qui fait intervenir le néocortex pour une analyse plus fine de la situation faite au regard des connaissances acquises permettant ainsi d’estomper les réactions de défense activées automatiquement par la mémoire amygdalienne. Le fait donc de connaitre son histoire, l’histoire de ses traumatismes et de ses défenses permet de rétroagir et d’estomper peu à peu ses réactions émotionnelles déclenchées automatiquement au moindre indice du traumatisme vécu originellement.

Damasio distingue l’émotion (changement d’état du corps) du sentiment (vécu privé de l’émotion). C’est donc via le sentiment, au sens damasioen du terme que l’on accède à la conscience de ses émotions. Et c’est par un travail de conscientisation et de mise en mots des états émotionnels, que nous permettons au néocortex d’estomper les réactions amygdaliennes de défense. Il est d’ailleurs observé par des méthodes d’imagerie cérébrale, que mettre des mots sur ses émotions calme l’activité de l’amygdale.

Ce double système du traitement émotionnel (de la peur en particulier) amygdalien/cortical a été découvert par Joseph Ledoux en 1994 et publié dans un article intitulé Emotion, memory and the brain (Ledoux J., 1994. Emotion, memory and the brain dans Scientific American, June 1994, vol 270, p. 38) puis dans un ouvrage accessible au grand public sous le titre Le cerveau des émotions.

Ledoux nomme « voie basse » : le chemin qu’empruntent les informations vers l’amygdale. La fonction de l’amygdale est de repérer si l’événement met en danger la survie. Le temps de traitement des informations qui transitent vers l’amygdale est ultra rapide. 
La « voie haute » transmet quant à elle les informations au cortex frontal. Les lobes frontaux analysent la situation : l’information y est interprétée en vue d’un choix conscient. Elle est plus lente de quelques millisecondes lors d’une expérience menaçante. Si l’amygdale détecte un problème potentiel pour la survie, elle envoie un message à l’hypothalamus et au tronc cérébral en vue de mobiliser ou d’immobiliser le corps pour sa défense. Ce processus est si rapide que l’action du corps est antérieure à la conscience du danger lui-même.

« A l’heure actuelle, l’hypothèse prédominante suppose que, de par ses différentes connexions, l’amygdale est idéalement placée pour permettre une analyse brute, grossière et surtout rapide des informations sensorielles qu’elle reçoit du thalamus sensoriel afin d’initier une réaction comportementale de combat ou fuite face à un danger potentiel, avant même qu’une représentation complète du stimulus ne puisse être réalisée. En parallèle, les informations transmises par le thalamus au néocortex aboutissent à une représentation plus fine du stimulus, qui est comparé aux informations en mémoire par l’intermédiaire de l’hippocampe. Si cette représentation plus élaborée du stimulus dans son contexte, mais plus lente, confirme son caractère menaçant, les réponses initiées par l’amygdale se poursuivent. Dans le cas contraire, elles s’estompent. » (Veerapa E. et D’Hondt F., 2021. De la peur au traumatisme. Impact normal et pathologique de l’émotion sur la mémoire dans Psychologie des émotions, Concepts fondamentaux et implications cliniques, De Boeck Supérieur, p. 280.)

Ledoux illustre ce système à l’aide d’un exemple simple parlant à tous :

« Plutôt rapide que la mort.
Pourquoi le cerveau est-il organisé ainsi ? Pourquoi a-t-il une voie basse thalamique alors qu’il dispose de la voie corticale ?
(...) Imaginez que vous vous baladiez en forêt. Un craquement se produit. Il va droit à l’amygdale par la voie thalamique. Le signal du son va aussi du thalamus au cortex, qui reconnaît s’il correspond à une brindille qui s’est cassée sous vos pas ou à un serpent à sonnette agitant la queue.
Au moment où votre cortex a fait la distinction, l’amygdale a déjà entamé la défense contre le serpent. L’information reçue du thalamus n’a pas été filtrée et pousse au déclenchement d’une réponse. L’action du cortex est plus d’empêcher une réponse inappropriée que de produire celle qui est adaptée. Vous pouvez aussi supposer qu’il y a une forme souple et incurvée au sol. Ces propriétés gagnent l’amygdale via le thalamus, tandis que seul le cortex distinguera un serpent enroulé d’un morceau de racine. S’il s’agit d’un serpent, l’amygdale a pris de l’avance. Question survie, il vaut mieux répondre à quelque chose de potentiellement dangereux comme si c’était le cas plutôt que de ne rien faire. Traiter le morceau de bois comme un serpent est plus payant sur le long terme que l’inverse. » (Ledoux J., 1994. Le cerveau des émotions, Odile Jacob, p.161.)

Plusieurs types de défense sont encodés dans le système nerveux – Combat, fuite, et figement ainsi que l’agrippement au corps/pelage de la mère chez le tout petit.

En cas de danger détecté, ces défenses s’activent donc, avant même que le néocortex et la conscience puissent analyser finement la situation. Ça n’est qu’après analyse fine par le néocortex qu’il est possible de calmer le jeu.

C’est pourquoi même une fois le traumatisme abréagi (conscientisé et déchargé de sa tension émotionnelle), il faudra continuer un travail déconditionnant les réactions de défense en entrainant le néocortex qui connait désormais l’histoire et les circonstances traumatiques à rétroagir pour estomper les réactions amygdaliennes qui continueront un temps de s’activer au moindre indice traumatique.

Cet ancrage neural du traumatisme dans la mémoire amygdalienne explique pourquoi il est parfois si difficile de changer de comportement alors même que nous en avons conscience, que nous pouvons même nous souvenir de son origine traumatique et qu’il est source de souffrance.

L’ancrage neural du traumatisme dérègle même le système de la peur et donc la capacité d’identifier les dangers réels des dangers appréhendés par réflexe traumatique (appris inconsciemment pendant l’enfance). Ce dérèglement explique les réactions surdimensionnées des traumatisés – sidération, soumission (immobilisation) ou agressivité paranoïaque (mobilisation) en réponse à des situations pourtant courantes mais indirectement ou directement en lien avec leur traumatisme.

Répétons donc que l’abréaction est nécessaire mais n’est cependant pas suffisante sur le long terme pour éviter la répétition. C’est pourquoi un travail ultérieur de déconditionnement aux réflexes traumatiques appris doit avoir lieu. Cela s’explique par l’ancrage neurologique du traumatisme dans la mémoire implicite de l’amygdale. Il va falloir suite à l’abréaction atténuer l’ancrage neurologique du traumatisme et entraîner le néocortex à estomper les réactions de défense.

« Si on veut changer les réactions post-traumatiques, il faut accéder au cerveau émotionnel et pratiquer une « thérapie du système limbique » - c’est-à-dire réparer les systèmes d’alarme défectueux pour que le cerveau émotionnel vaque à ses tâches habituelles : offrir une présence calme et discrète qui se charge de l’entretien du corps en veillant à ce qu’il mange, dorme, échange avec ses proches et se défende contre le danger. » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 281.)

2.2 LES DIFFÉRENTS TYPES DE DEFENSES INNÉES SÉLECTIONNÉES AVANT INTERVENTION ET RÉTROACTION DU NÉOCORTEX ET DE LA CONSCIENCE

 

L’humain, comme tous les autres mammifères, dispose de plusieurs systèmes de défense intégrés à son système nerveux autonome (SNA). En cas de danger détecté par l’organisme via le processus de détection du danger - la neuroception (« La neuroception est le processus à travers lequel le système nerveux évalue de façon inconsciente le risque environnemental. Ce processus automatique implique des aires cérébrales (l’amygdale en particulier) qui évaluent les conditions de sécurité, de risque ou de menace vitale. Suite à l’évaluation d’un risque l’état physiologique s’adapte automatiquement pour optimiser les chances de survie puis restaurer l’homéostasie. » Porges S. W., 2017. Théorie polyvagale et sentiment de sécurité, Enjeux et solutions thérapeutiques, EDP Sciences, p. 31), la branche sympathique du SNA hyper active le corps et mobilise l’énergie en vue d’une action de lutte contre l’agresseur, de fuite pour se mettre à l’abri, d’agrippement du tout-petit au corps/pelage de sa mère.  Augmentation du rythme cardiaque (tachycardie), de la pression artérielle, du taux de glucose dans le sang, dilatation des pupilles, hyperventilation alvéolaire, polypnée...sont autant de symptômes que nous connaissons tous quand nous avons peur par exemple.

 

Si ces 2 actions – combat/fuite ou agrippement chez le tout-petit sont analysées comme n’étant pas possibles par notre système neuroceptif -, c’est une branche très archaïque du SNA - primitive sur le plan phylogénétique - qui prend alors le relais.  La branche parasympathique dorsale (Porges S. W., 2021. La théorie polyvagale. Fondements neurophysiologiques des émotions, de l’attachement, de la communication et de l’autorégulation. EDP Sciences. p. 252) (nerf vague végétatif) chargée à l’origine de son apparition au cours de l’évolution, d’immobiliser l’animal pour réduire les chances du prédateur sensible au mouvement de le repérer. 
Nous savons aujourd’hui, précisément depuis la publication de
la théorie polyvagale par le neurophysiologue Stephen Porges en 1995 que ces réponses défensives (fuite/combat/inhibition de l’action) sont en effet intégrées au SNA et qu’elles s’activent selon une hiérarchie inverse à leur ordre d’apparition dans notre histoire phylogénétique. Il a identifié que « Le système d’immobilisation (la composante phylogénétique la plus primitive) est dépendant du vague non myélinisé ou vague végétatif, qui existe chez la plupart des vertébrés. »

Le traumatisme tel que Ferenczi le définissait en 1921 est décrit sous l’angle de la défense d’immobilisation, défense déclenchée en cas de danger de mort contre lequel l’animal ne peut lutter :

« Un choc inattendu, non préparé et écrasant, agit pour ainsi dire comme un anesthésique. Mais comment cela se produit-il ? Apparemment par l’arrêt de toute espèce d’activité psychique, joint à l’instauration d’un état de passivité dépourvue de toute résistance. La paralysie totale de la mobilité inclut aussi l’arrêt de (...) la pensée. » (Ferenczi S., Groddeck G., Correspondance, 1921-1933, Paris, Payot, 1982.)

Ces défenses - combat/fuite et figement sont innées, fruit d'un héritage phylogénétique très ancien, elles sont de ce fait communes à tous les mammifères ainsi qu'à d'autres espèces. Nous connaissions ces défenses combat/fuite et figement depuis les découvertes d'Henri Laborit en 1976 publiées dans L’Éloge de la fuite (Laborit H., 1967. Éloge de la fuite, Paris, Folio Essais, 1985. Selon lui, l’être vivant est animé par une pulsion de (sur-)vivre et le système nerveux autonome (SNA) agit constamment en interaction avec l’environnement pour maintenir/rétablir l’homéostasie et assurer la survie de l’organisme. Quatre types de comportements y concourent :

  • Le comportement de consommation pour assouvir nos besoins : manger, boire, copuler

  • Le comportement de fuite

  • Le comportement de lutte

  • Le comportement d’inhibition de l’action quand il est impossible de fuir ou de lutter.)

et l’agrippement moins connu depuis les travaux d’Imre Hermann (Hermann I.,1972. L’instinct filial de l’homme, Paris, Denoël. Hermann qui s’intéressait au comportement des primates identifie l’agrippement des petits anthropoïdes à la fourrure de leur mère comme l’un des instincts primordiaux de l’espèce humaine).

Ce que nous savons de nouveau aujourd'hui grâce aux travaux du neurophysiologue Stephen Porges publiés en 1995 connus sous le nom de la Théorie Polyvagale (Porges S. W., 2021. La théorie polyvagale. Fondements neurophysiologiques des émotions, de l’attachement, de la communication et de l’autorégulation. EDP Sciences) c’est que les mammifères ont développé - via la branche ventrale du nerf vague reliant les muscles du visage au cœur et aux poumons – une 3e défense :

La co-régulation sociale (activation du système parasympathique ventral) : la capacité de créer des liens affectifs entre congénères et de communiquer via les regards, les expressions faciales et les modulations vocales des indices de sécurité permettant d’inhiber les réponses défensives plus archaïques et coûteuses en énergie comme la lutte/la fuite ou délétère voire létale comme l’immobilisation responsable chez l’humain de syncope, sidération, dissociation, soumission, apathie, dépression...et même d’arrêt cardiaque.

Les congénères d’une même espèce et entre espèces au sein des mammifères sont donc capables de « s’apprivoiser » entre eux et de se co-réguler émotionnellement pour ne pas avoir besoin de s’attaquer, de fuir ou de se figer au moindre indice de danger.

Darwin fut le premier à s’être intéressé aux émotions et à leurs expressions chez l’homme et l’animal. Dans son ouvrage publié en 1872, L’expression des émotions chez l’homme et l’animal (Darwin C., 1872. L’expression des émotions chez l’homme et l’animal, Paris, Rivages Poche Petite Bibliothèque), Darwin révèle leur nature adaptative mais aussi leur fonction de communication au travers de leurs expressions (faciales, posturales, vocales) à l’égard des congénères de la même espèce (et d’autres espèces de mammifères aussi) pour signaler un conflit ou un problème à résoudre. La tristesse indique par exemple le besoin d’être consolé par un congénère et la colère signale un conflit d’intérêt, ce qui permet au congénère de réajuster ses comportements en évitant un combat et ses conséquences.

Les défenses que nous avons à notre disposition sont donc :

  1. L’immobilisation paralytique qui fige l’animal afin qu’il ne soit pas repéré par le prédateur sensible au mouvement. Il est dit que l’animal « fait le mort ». En réalité cette réaction est automatique et inconsciente : elle n’est pas intentionnelle.

  2. La mobilisation préparatoire à l’action de lutte, fuite (ou d’agrippement chez le tout petit).

  3. La sécurisation via un système de co-régulation émotionnelle.

    1. ​Le langage corporel permet au parent en particulier la mère du nourrisson de le calmer via des regards, des expressions faciales et des vocalisations. Cette sécurisation est opérante également entre congénères adultes de même espèce et entre espèces (au sein des mammifères).

    2. Cette sécurisation peut aussi être obtenue chez l’homo sapiens grâce aux capacités créatives - physiques ou intellectuelles permises par le néocortex via l’expression de soi – de ses émotions et/ou de ses pensées – aux autres.  L’expression de soi – adressée aux autres – pour un partage émotionnel comme c’est le cas dans tout type de création – artistique, scientifique, sportive... à travers des expositions, des conférences, des formations, des spectacles, des matchs.... permet la symbolisation des traumas que nous partageons tous et leur apaisement via une catharsis collective qui fait office de co-régulation émotionnelle.

    3. La sécurisation peut aussi être obtenue via la connaissance de soi, de ses conditionnements propres - également possible chez l’homo sapiens du fait des capacité de son néocortex. A travers le récit de son histoire dans un cadre de partage le plus souvent thérapeutique mais pas que, le sujet développe une capacité à conscientiser ses émotions à travers leurs origines traumatiques et à comprendre pourquoi et comment il fonctionne tel qu’il fonctionne – relationnellement (amoureusement, socialement, professionnellement) et en solo. Cette connaissance de soi intégrée dans son néocortex, est ce qui va lui permettre un déconditionnement progressif de ses réactions traumatiques intégrées dans son caractère via une rétroaction du néocortex et de l’hippocampe sur les réactions amygdaliennes régies par les conditionnements émotionnels forgés dans l’enfance.

« Le neuroscientifique Joseph Ledoux et ses collègues ont montré que la seule manière d’accéder au cerveau émotionnel passe par la conscience de soi, c’est-à-dire par l’activation du cortex préfrontal médian, la zone du cerveau qui remarque ce qui se passe en soi et permet ainsi d’éprouver ce que l’on ressent. Le nom technique de ce processus est l’« intéroception » - du latin, « regarder à l’intérieur ». (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 281.)

« Les victimes d’un traumatisme infantile chronique manquent parfois de conscience de soi au point de ne pas pouvoir se reconnaître dans un miroir. Les scanners cérébraux montrent alors que cela ne vient pas d’une simple inattention : il se peut que les structures chargées de la reconnaissance de soi aient été coupées, tout comme celles liées à l’expérience de soi. » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 133.)

Le concept d’« intéroception » est proche de celui de « sentiment » chez Damasio (conscience de l’émotion que l’on ressent). Développer son intéroception est bénéfique pour atténuer le conditionnement émotionnel du traumatisme. 
La méditation pleine conscience est d’ailleurs fondée sur ce principe salvateur (Azema A., 2019. Thèse de médecine de la faculté des sciences médicales et paramédicales de Marseille « Mindfulness, sensorialité et santé mentale »).

« Martial Mermillod (Université Grenoble Alpes), Pauline Favre (Institut Mondor pour la Recherche Biomédicale) et Nicolas Verleumen (UCLouvain) (....) Les auteurs démontrent que l’amygdale est une région sous-corticale centrale qui interviendrait de façon automatique pour détecter les stimuli menaçants dans l’environnement. Parallèlement ils expliquent que des régions corticales telles que le cortex préfrontal, le cortex orbitofrontal, le cortex cingulaire antérieur et les régions somato-sensorielles sont également impliquées dans le traitement plus contrôlé des émotions, comme la régulation émotionnelle, l’anticipation, l’évaluation de la signification affective d’un stimulus ou encore la prise de décision. Enfin les auteurs abordent en détail la conscience émotionnelle et le rôle central joué par le cortex cingulaire antérieur et l’insula. » (Luminet O., Grynberg D., 2021. Psychologie des émotions, introduction, p. XIX, deboeck Supérieur.)

La thérapie vise le sentiment de soi à se rebâtir :

« Le langage et l’interaction interpersonnelle permettent la création d’un récit narratif et d’un échange verbal qui connecte l’expérience au Soi et permet l’intégration des affects, des pensées et de l’information sensorielle. » (Carlson E. A., Yates T. M. & Sroufe L. A. 2009. Dissociation and the development of the self, In P. F. Dell & J. A. O'Neil (Eds.).)

Explorons à présent les défenses propres aux homo sapiens dans le détail : 

2.2.1 LES DÉFENSES PAR IMMOBILISATION

2.2.1.1 LE FIGEMENT

 

Le système de défense le plus archaïque apparue en 1er dans l’histoire phylogénétique et que nous avons en commun avec les reptiles, est caractérisé par une immobilisation (figement, sidération, syncope, dissociation...) face à une menace vitale quand la lutte ou la fuite sont impossibles.

Un contexte – abrupt ou répété de danger vital et d’impuissance du sujet - crée un état de figement corporel et cérébral :

« État altéré de conscience partagé par tous les mammifères face à une mort paraissant imminente. » (Levine P., 1997. Waking the Tiger – Healing trauma, Berkeley : North Atlantic Book, Trad. Réveiller le Tigre - Guérir le Traumatisme, Paris, InterEditions, 2013.)

Face à une menace potentiellement mortelle, l’animal se fige : l’animal paraît comme mort. Cela donne l’impression d’un arrêt sur image comme s’il était pétrifié, statufié.

« Notre ancêtre commun avec les reptiles modernes avait les caractéristiques d’une tortue. Le principal système de défense de la tortue est l’immobilisation. » (Porges S. W., 2017. Théorie polyvagale et sentiment de sécurité, Enjeux et solutions thérapeutiques, EDP Sciences, p. 231.)

Il se traduit par une atténuation massive des fonctions autonomiques (réduction de l’activité métabolique et suspension de l’action) par le biais d’une voie neurale archaïque du système nerveux parasympathique. Cette réaction de défense est assurée par le système nerveux parasympathique dorsal mis à jour Par Stephen Porges en 1994 :

« Cette dépression massive des fonctions autonomiques est due à l’activation du circuit vagal dorsal (nerf vagal non myélinisé) qui déprime la respiration (apnée) et ralentit la fréquence cardiaque (bradycardie). » (Porges S. W., 2017. Théorie polyvagale et sentiment de sécurité, Enjeux et solutions thérapeutiques, EDP Sciences, p. 231.)

Ce système archaïque agit à l’inverse du système sympathique : il hypoactive les fonctions vitales. Le corps subit brusquement un ralentissement du rythme cardiaque, de la tension artérielle, de l’oxygène dans le sang...ce qui mène à un figement sur le plan comportemental. Le cerveau étant sous-oxygéné, une syncope ou pire, la mort peut se produire.

« L’immobilisation simulant la mort induit une diminution de l’oxygène dans le sang et en conséquence l’impossibilité d’apporter suffisamment d’oxygène au cerveau pour maintenir un état de conscience. » (Porges S. W., 2017. Théorie polyvagale et sentiment de sécurité, Enjeux et solutions thérapeutiques, EDP Sciences, p. 231.)

« Quand on est paralysé, le système vagal dorsal prend souvent le dessus : le cœur ralentit, la respiration devient superficielle et, tel un zombie, on perd le contact avec soi-même et son environnement. On se dissocie, on s’effondre et on s’évanouit. » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 123.)

En d’autres termes, l’esprit « disjoncte » ou « pète les plombs » brutalement.

De l’état de sidération à la syncope vagal pouvant même mener à l’arrêt cardiaque, ce phénomène se traduit physiologiquement par un ralentissement du métabolisme (une sorte de « dépression physiologique ») induisant à terme une réduction de nos besoins nutritionnels.

Cette émotion de terreur qui se traduit par la sensation d’être paralysé se traduit dans le corps par les symptômes suivants :

  • ralentissement massif du rythme cardiaque et respiratoire (bradycardie et apnée) en vue de conserver les réserves en oxygène mais pouvant provoquer un manque d’oxygénation du cerveau potentiellement « mortel » pour les mammifères

  • baisse de la tension artérielle

  • perte de tonus musculaire

  • relaxation des sphincters, motilité accrue du système digestif d’où émission de selles possibles

  • augmentation du seuil de perception de la douleur entraînant la sensation de ne plus ressentir la douleur et d’être dissocié, comme séparé de son corps. Cela explique aussi l’alexithymie (on ne ressent plus les émotions).

« Le chercheur Paul Frewen, de l’université de Western Ontario a pratiqué une série de scanners cérébraux sur des traumatisés alexithymiques. « Je ne sais pas ce que je ressens, lui a dit l’un d’eux. C’est comme si ma tête et mon corps n’étaient plus liés. Je vis dans le brouillard – quoi qu’il arrive, j’ai la même réaction : l’apathie, rien. Prendre un bain moussant, être violé ou brûlé – pour moi, c’est la même sensation Mon cerveau ne perçoit pas les choses. » (Frewen et al, 2008. Clinical and Neural Correlates of Alexithymia in Pausttraumatic Stress Disorder, Journal of Abnormal Psychology, 118, n°1, 2008, pp. 181-181)

C’est pourquoi certaines personnes constamment dissociées peuvent se mettre dans des situations dangereuses pour réussir à se sentir en vie. Se faire mal aussi est un moyen pour essayer de sentir son corps à travers des sensations et des émotions difficiles à réveiller.

Selon Franck Putnam, la dissociation serait :

« Un processus psychophysiologique complexe altérant la capacité à accéder à ses souvenirs et ses connaissances, l’intégration du comportement, et le sens du Soi. » (Putnam F. 1994. « Dissociation and disturbing of self ». In Cicchetti & Toth (Eds.)  Disorders and Dysfunctions of the Self, 251-265. Rochester Symposium on Developmental Psychopathology. Rochester, NY : Rochester University Press)

Les travaux de Paul Frewen et de Ruth Lanius (Frewen, P., & Lanius, R., 2015. Healing the traumatized self: Consciousness, neuroscience, treatment. W. W. Norton & Company) montrent aussi que moins le sujet se sent en contact avec ses sensations, moins les aires cérébrales qui servent au sentiment de soi présentent d’activités.

« L’immobilisation, en tant que système défensif archaïque, est associée à une réduction de la demande métabolique et à une augmentation du seuil de la douleur. Chez les reptiles, l’immobilisation et une grande privation d’oxygène constituent des stratégies de défense très efficaces. En revanche étant donné le grand besoin en oxygène des mammifères, l’inhibition du mouvement couplée à un état autonomique d’immobilisation (apnée et bradycardie) peut être mortelle. Chez l’être humain, un évanouissement (syncope vagale) ou une dissociation dus à l’appréhension de la mort ou de la douleur reflète une forme de réponse moins extrême.... Ainsi, lorsque tout le reste échoue, le système nerveux choisit un parcours métaboliquement conservatif qui est adaptatif pour les vertébrés primitifs, mais potentiellement létal pour les mammifères. » (Porges S. W., 2021. La théorie polyvagale. Fondements neurophysiologiques des émotions, de l’attachement, de la communication et de l’autorégulation. EDP Sciences. pp. 194 et 311.)

Contrairement à ce que l’on dit communément l’animal ne fait pas le mort puisque cette réaction s’opère par réflexe avant même que la conscience du danger par l’animal ait lieu. Ce réflexe de paralysie par peur a même lieu chez l’embryon à partir de 3 mois quand il perçoit un bruit sourd (basses fréquences). Cette sensation de peur très particulière qui nous confronte, au pire à la mort et, au mieux à notre impuissance totale face à un danger mortel est comme si nous étions au sens littéral :
« Morts de peur. »

« L’intensité du stress est telle qu’elle constitue un risque vital, pouvant engendrer, par exemple, un trouble cardiaque (par excès d’adrénaline) ou neurologique (par excès de cortisol). » (Louville P. et Salmona M., 2013. Traumatismes psychiques : conséquences cliniques et approche neurobiologique dans Le traumatisme du viol dans la Revue Santé Mentale de mars 2013 n°176.)

Littéralement car l’état physiologique qui correspond à cette sensation est proche de celui d’un corps qui meurt. Ainsi quand nous éprouvons une sensation mortelle de peur au point d’être figé (sidéré), nous éprouvons en fait physiologiquement les symptômes du corps en train de mourir. Ainsi, la tête de Méduse recouverte de serpents illustre parfaitement cette peur mortelle, défense d’origine reptilienne (que symbolisent parfaitement les serpents sur la tête de Méduse). Mort de peur, notre tête réagit comme celle d’un serpent apeuré !

Caravage, Musée des Offices, Florence, Italie

Caravage, Musée des Offices, Florence, Italie

« Mort de peur », « médusé », sidéré, « tétanisé », le figement entraine également la soumission au prédateur et s’accompagnent de troubles très énergivores tels que la dépression et/ou la dissociation.

Les enfants trop régulièrement immobilisés par peur pendant leur enfance réagiront adultes avec les mêmes défenses - par soumission, dépression et dissociation au moindre indice qui évoque le traumatisme.
 

2.2.1.2 LA DISSOCIATION ET LE RÔLE DE L’HIPPOCAMPE


Ce qui caractérise l’état de dissociation, c’est l’incapacité de l’hippocampe à « mémoriser » l’expérience traumatique sous la forme d’un souvenir ordinaire : contextualisé dans l’espace et le temps. L’hippocampe permet un repérage contextuel spatio-temporel de l’événement. Un souvenir ordinaire est psychiquement contextualisé et daté.

« La mémoire sensorielle et émotionnelle de l’événement contenue dans l’amygdale cérébrale est isolée de l’hippocampe (une structure cérébrale qui gère la mémoire et le repérage temporo-spatial, sans qui aucun souvenir ne peut être mémorisé, ni remémoré, ni temporalisé). Lors de la disjonction, l’hippocampe ne peut pas faire son travail d’encodage et de stockage de la mémoire, celle-ci reste dans l’amygdale sans être traitée, ni transformée en mémoire autobiographique. » (Louville P. et Salmona M., 2013. Traumatismes psychiques : conséquences cliniques et approche neurobiologique dans Le traumatisme du viol dans la Revue Santé Mentale de mars 2013 n°176.)

Les souvenirs traumatiques sont comme piégés hors du temps et de la conscience. Ils sont inaccessibles verbalement car ils appartiennent à la mémoire implicite, celle qui guide nos fonctionnements indépendamment de notre contrôle. Ils demeurent ainsi en arrière-plan, prêts à ressurgir de façon involontaire lorsqu’un quelconque stimulus de la vie quotidienne rappelle le traumatisme vécu.

« La différence fondamentale entre un « souvenir » traumatique et un souvenir ordinaire est la non-datation du souvenir traumatique, autrement dit la sensation, lorsqu’il est activé, qu’il s’agit d’une expérience actuelle et non d’un souvenir. » (Smith J., 2021. « Dissociation structurelle : repères » dans Psychothérapie de la dissociation et du trauma, Paris, Dunod, pp. 2-16.)

La thérapie aura pour objectif de relancer l’intégration et la datation. Freud en 1914 avait déjà identifié ce phénomène et la fonction de recontextualisation temporelle de la thérapie :

« Alors que le patient vit le traumatisme comme un fait réel et présent, nous devons accomplir la tâche thérapeutique qui consiste essentiellement à le retransplanter dans le passé. » (Freud, S., 1914. Remémoration, répétition et perlaboration dans La technique psychanalytique, Paris, PUF, 2007.)

Et d’engager la sortie du figement. Cela sera possible si un fort sentiment de sécurité est éprouvé par le sujet envers le thérapeute et son cadre. Le travail doit déboucher sur l’intégration temporelle/la datation de l’expérience traumatique en faisant revivre au corps du sujet la sensation que « maintenant c’est fini » que « c’est du passé » et que « cela ne se reproduira plus. » Le but de la thérapie est aussi de faire sortir le sujet de sa logique destinale traumatique.

Giovanni Liotti a identifié en 2009 (Liotti, G., 2009. Attachment and dissociation. In P.F. Dell & J.A. O’Neill (Eds.), Dissociation and the dissociative disorders: DSM-V and beyond (pp. 53-66). New York: Routledge) les 6 comportements parentaux, facteurs d’immobilisation et de dissociation chez l’enfant :

  1. Les états d’absence dissociative

  2. Les comportements menaçants inexplicables dans leur origine et/ou anormaux dans leur forme

  3. Les comportements effrayés inexplicables dans leur origine et/ou anormaux dans leur forme

  4. Les comportements déférents (inversion des rôles)

  5. Les comportements sexualisés

  6. Les comportements désorganisés ou désorientés

Le traumatisme qui puise sa source dans une expérience (souvent répétée) d’une mise en danger vital associée à un état d’impuissance induira des comportements défensifs enfant puis adulte sur le mode de l’immobilisation.

Les enfants battus, violés ou témoins de telles violences subissent des peurs mortelles et réagiront adultes systématiquement par figement/soumission au moindre sentiment de danger. Même un danger mineur comme celui de ne pas arriver à l’heure à un RDV peu important réveillera des réflexes traumatiques d’immobilisation.

Outre ces troubles énergivores, notons que dans l’immobilisation, il n’y a pas d’action pour se défendre, donc pas de décharge motrice ni d’apaisement de la tension. Le sujet reste terrifié et figé. Le but de la thérapie sera avant tout de sécuriser la personne pour lui permettre de sortir de cet état de torpeur et de relancer les processus de mobilisation.

2.2.2 LES DÉFENSES PAR MOBILISATION

La défense apparue en 2ème au cours de l’évolution est la Mobilisation. Elle correspond à une mobilisation des ressources métaboliques. En cas de danger évalué affrontable (versus danger de mort et d’impuissance) par notre organisme, le système nerveux sympathique hyperactive brusquement le corps pour le préparer à l’action d’attaque, de fuite ou d’agrippement du tout-petit au pelage/corps maternel. La mobilisation est associée à des émotions comme la colère préparant le corps à une action physique afin de rétablir l’homéostasie et assurer la survie. 
Les modifications physiologiques typiques de la mobilisation sympathique sont :

 

  • une accélération du rythme cardiaque,

  • l’augmentation de la tension artérielle,

  • l’augmentation de l’oxygène dans le sang...

  • la libération du glucose par le foie,

  • la dilatation des pupilles,

  • etc.

« Les réponses périphériques induites par la détection d’un agent stresseur, tel qu’un stimulus menaçant, constituent donc un processus physiologique nécessaire à l’adaptation de l’organisme à son environnement. Elles font intervenir le tronc cérébral et en particulier, la formation réticulée ainsi que le locus coerleus, une structure clé dans le maintien de la vigilance. Son action est déterminante puisqu’elle contribue à l’activation du système nerveux sympathique : la libération de noradrénaline au niveau des terminaisons sympathiques et de l’adrénaline par la médullosurrénale permet de mobiliser rapidement les ressources nécessaires pour combattre ou fuir (augmentation de la fréquence et du rythme cardiaque, dilatation des pupilles et des bronches, libération du glucose par le foie, etc.) Néanmoins, leurs actions s’estompent en quelques minutes. Un second axe, plus lent, intervient alors, mais serait également à l’origine d’une réponse plus durable : l’activation de l’hypothalamus aboutit à la production de deux hormones, la corticoprin releasing hormone (CHR) et la vasopressine (ACTH) par l’hypophyse. Cette hormone agit alors sur la corticosurrénale qui libère des glucocorticoïdes (le cortisol), permettant une augmentation du métabolisme glucidique, lipidique et protéique qui promeut une mobilisation des ressources énergétiques à plus long terme. Fait important, l’élévation du taux de glucocorticoïdes vient freiner en retour l’activité de cet axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (appelé « axe du stress ») par rétrocontrôle négatif. Celui-ci est indispensable pour éviter une consommation excessive d’énergie sur le long terme et permettre un retour à l’équilibre physiologique. En effet le cortisol peut avoir un impact délétère sur l’organisme (sur les systèmes cardiovasculaires et immunitaires par exemple) du fait de l’intensité ou de la chronicisation du stress. Dans les cas où le taux de cortisol est excessif ou chronique, il affecterait l’hippocampe qui ne pourrait plus exercer son contrôle sur l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (Moisan et Le Moal 2012). D’autres régions cérébrales seraient aussi concernées lors de stress intenses ou chroniques, telles que le cortex préfrontal avec des conséquences sur le fonctions exécutives et l’amygdale, à l’origine d’une hypermnésie émotionnelle. » (Veerapa E et D’Hondt F, 2021. De la peur au traumatisme. Impact normal et pathologique de l’émotion sur la mémoire dans Psychologie des émotions, Concepts fondamentaux et implications cliniques, De Boeck Supérieur, pp. 281-282.)

L’hypermnésie émotionnelle maintient le sujet sur le qui-vive et le pousse à réagir émotionnellement au moindre indice traumatique sans pouvoir estomper sa réaction du fait que l’hippocampe responsable d’une qualification contextuelle spatio-temporelle de l’événement est affecté.

« Chez ceux qui ont vécu un traumatisme, comme les victimes d’abus sexuels pendant leur enfance ou les vétérans de la guerre du Viêt-Nam atteints du trouble de stress post traumatique, l’hippocampe s’est rétracté. Ces personnes montrent des déficits significatifs de la mémoire sans que leur quotient intellectuel ou d’autres fonctions cognitives soient affectés. Des événements stressant peuvent ainsi altérer l’hippocampe et ses fonctions de mémoire chez l’homme. » (Ledoux J., 1994. Le cerveau des émotions, Odile Jacob, p. 239.)

L’hypermnésie émotionnelle due à un stress intense implique que si vous vous faites attaquer par un agresseur dans un contexte spatio-temporel donné, vous développerez une vigilance accrue à chaque indice en lien avec l’agresseur et le contexte, devenus pour vous des stimuli émotionnels en raison de leur association avec l’épisode effrayant potentiellement mortel. Voilà le conditionnement de la peur tel que décrit par Pavlov : des stimuli sans signification particulière se transforment en signaux d’alarme, indices de situations potentiellement dangereuses issu d’un passé traumatique. Je rappelle que ces conditionnements fonctionnement alors même que le sujet ne puisse se souvenir de ce qui les a occasionnés, les ayant vécus très jeune – en particulier entre 0-3 ans, période de l’amnésie infantile.

« L’adoption du diagnostic de SSPT par le DSM-III, en 1980, a permis de réaliser des études scientifiques approfondies et de mettre au point des traitements efficaces qui se sont révélés adaptés non seulement aux anciens combattants, mais aussi aux victimes d’une série d’événements traumatiques, comme les agressions, les viols et les accidents de la route. (...) 
La définition donnée par le DSM
au syndrome de stress post-traumatique est assez simple : c’est l’état d’une personne qui a été exposée à un événement terrible  - « mort, menace de mort, blessure grave, menace à son intégrité physique ou à celle des autres » - causant « une peur intense, l’horreur ou l’impuissance », qui se traduit par diverses manifestations : reviviscence intrusive du traumatisme (flash-back, mauvais rêves, impression que l’événement se reproduit), évitement persistant et paralysant (de personnes, de lieux, de pensées ou de sentiments associés au traumatisme, parfois avec amnésie partielle de celui-ci) et excitation accrue (insomnie, hypervigilance ou irritabilité). Cette description laisse supposer un scénario clair : une personne est soudainement anéantie par un événement atroce et, désormais, n’est plus jamais la même. Le traumatisme est peut-être passé, mais il continue d’être rejoué dans ses souvenirs et son système nerveux réorganisé. » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 281.)

Abram Kardiner, psychiatre psychanalyste américain constatait dès 1941 (comme Freud et Ferenczi en Europe) à propos des vétérans de la guerre 14-18, des symptômes de ce qu’on appelait à l’époque « les névroses traumatiques » renommées depuis 1980 « syndromes de stress post-traumatiques » (SSPT) :

« La situation d’une personne qui vit constamment sur le qui-vive, hypersensible à la menace ». Il constatait que ce syndrome « n’est pas entièrement dans la tête » mais avait bien un ancrage physiologique : « Le noyau de la névrose est une physionévrose. » disait-il (Kardiner A., 1941. The traumatic Neuroses of War, New York, P. B. Hoeber, inc.).

2.2.2.1 L’ÉVÉNEMENT DEVIENT TRAUMATIQUE QUAND LA DECHARGE MOTRICE EST IMPOSSIBLE/RÉPRIMÉE EN CAS D’IMMOBILISATION, LE TAUX D’ADRENALINE RESTANT HAUT MAINTIENT LE SUJET EN ETAT DE PANIQUE ET SUR LE QUI-VIVE

Dans les cas d’immobilisation il n’y a ni action ni décharge motrice mais ce peut aussi être le cas quand est activée la défense par mobilisation. En effet le corps se prépare à l’action pour la lutte, la fuite ou l’agrippement mais le sujet bien qu’hypermobilisé peut ne pas agir et garder sa colère, sa haine etc. pour soi, en soi et ce, pour la vie entière. Cela se traduit par un taux d’adrénaline haut qui maintient le sujet dans un état d’agressivité en recherche perpétuelle de sensations fortes.

« Un groupe de jeunes chercheurs, dont Steve Southwick et John Krystal (à Yale), Arieh Shalev  (à la faculté de médecine Hadassah de Jérusalem), Franck Putnam (à l’Institut américain de santé mentale) et Roger Pitman (plus tard à Harvard) constataient que, longtemps après la disparition du danger, les traumatisés continuaient à sécréter énormément d’hormones du stress (...) les signaux de lutte, de fuite et de paralysie persistent longtemps après l’extinction du péril et ne reviennent pas à la normale : la sécrétion constante d’hormones du stress s’exprime par l’agitation et la panique, et finit par détruire leur santé. » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 50.)

Un enfant traumatisé peut se fixer dans l’un de ces deux états ou alterner entre ces deux états tout au long de sa vie d’adulte : en colère hypermobilisé ou déprimé inhibé, dissocié hypomobilisé. Dans les deux cas, les études prouvent que des enfants traumatisés dans leur enfance présentent des taux de cortisol faibles les rendant plus vulnérables au SSPT lors d’événements stressants ultérieurs.

« LE PARADOXE DU CORTISOL
Depuis les années 20, on savait que l’exposition à une menace déclenche la libération d’hormones de stress, comme l’adrénaline ou le cortisol, qui provoquent une cascade de modifications physiologiques : le rythme cardiaque accélère, la respiration s’intensifie, les sens s’aiguisent...Ces modifications permettent à la personne ou à l’animal menacé de réagir -en combattant, en fuyant ou en s’immobilisant pour éviter d’être détecté.
On a longtemps pensé que l’organisme revenait à la normale une fois le danger écarté. Mais les idées ont changé après la guerre du Vietnam, dont nombre de soldats sont revenus traumatisés...
Au milieu des années 80, les neuroscientifiques John Mason, Earl Giller et Thomas Kosten, de l’université Yale, aux Etats-Unis, ont montré que
ceux qui souffraient de SSPT présentaient des taux d’adrénaline élevés mais des taux de cortisol plus faibles.
Étant donné que le stress entraîne généralement une augmentation de cette dernière hormone, de nombreux chercheurs, auxquels j’appartenais, étaient sceptiques quant à ces observations. Lorsque j’ai rejoint le laboratoire de Yale en tant que postdoctotante un an plus tard, j’ai étudié un autre groupe d’anciens combattants en utilisant d’autres méthodes de mesure de cortisol. À mon grand étonnement, j’ai obtenu les mêmes résultats...
Mais pourquoi le SSPT va-t-il de pair avec un faible taux de cortisol, même quand l’expérience traumatisante est ancienne ?...
Un indice important est ressorti d’une étude réalisée en 1984 par Allan Munck et d’autres chercheurs de l’école de médecine Geisel, à Darthmouth. Ils ont observé que, parmi les hormones du stress,
le cortisol joue un rôle particulier de régulation. Si cette hormone se maintient à un niveau élevé pendant une longue période, elle nuit à l’organisme de multiples façons, par exemple en affaiblissant le système immunitaire et en augmentant le risque de problèmes comme l’hypertension. Mais paradoxalement, dans un contexte de traumatisme aigu, elle peut avoir un effet protecteur. Elle freine la libération des hormones du stress – y compris elle-même – et réduit les dommages potentiels aux organes et au cerveau. Une telle boucle de rétroaction induite par le traumatisme ramènerait le « thermostat » du cortisol à un niveau inférieur. 
C’est ce qui m’a mise sur la voie d’une autre pièce de puzzle. Au début des années 1990, nous avions montré que les vétérans du Vietnam étaient plus susceptibles de développer un SSPT s’ils avaient été maltraités durant l’enfance. Peu à peu, une théorie émergeait, qui reliait l’adversité vécue pendant l’enfance – une période où la réaction classique face aux maltraitances consiste plutôt à se figer de peur, parce qu’un enfant ne peur généralement pas combattre ou fuir – à un faible taux de cortisol et au risque d’un futur SSPT.
Pour tester cette théorie, nous nous sommes rendus dans un service hospitalier d’urgences où nous avons étudié les personnes qui venaient d’être victimes d’un événement traumatisant, en l’occurrence un viol ou un accident de voiture. Conformément à nos prédictions, nous avons constaté que celles qui avaient un faible taux de cortisol risquaient davantage de souffrir de SSPT après cet événement.
Se pouvait-il que ce taux ait été faible avant l’agression ou l’accident qui les avait amenés aux urgences ? Si tel était bien le cas, la chaîne de causalité du SSPT était peut-être la suivante : au moment de l’expérience traumatique, le cortisol serait trop peu abondant pour atténuer la réaction de stress de l’organisme, d’où une montée en flèche du taux d’adrénaline, qui graverait le souvenir de cette expérience dans le cerveau. Ce souvenir surgirait alors plus tard sous forme de flash-back ou de cauchemars, des symptômes classiques du stress post-traumatique... »

Le qui-vive permanent typique d’un SSPT qui ne cesse pas après le choc ou l’agression traumatique s’explique aussi du fait que l’hippocampe qui normalement recontextualise l’événement indiquant à l’amygdale « calme-toi, ce n’est pas le même contexte que le traumatisme initial » ne fonctionne plus correctement. La mobilisation n’est donc pas stoppée et ne débouche pas pour autant sur une action motrice qui pourrait y mettre fin. Or une mobilisation qui ne débouche pas sur une action est toxique car les hormones comme l’adrénaline ne diminuent pas pour revenir à la normale, maintient l’émotion de peur avec envie de fuir, de s’agripper ou de se battre, comme cristallisée dans le corps.

La pensée (Nous développerons ci-après les problèmes engendrés par la pensée comme mécanisme de défense) est également une action - mentale puisqu’elle sollicite du glucose et de l’oxygène dans le cerveau mais la décharge énergétique qu’elle produit est faible.  Une décharge physique/motrice est nécessaire pour que soit réduite la tension émotionnelle et l’équilibre homéostatique recouvré. 
A ce propos, Freud indiquait précisément que :

« La décharge motrice sert à débarrasser l’appareil psychique de l’accroissement des excitations » (Freud S., 1911. Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques, dans Résultats, idées, problèmes I, Paris, PUF, 1984, pp. 135-142) mais que la suspension de cette décharge est « assurée par le processus de pensée ».

La pensée (ce qui nous assure une illusion de sentiment de supériorité sur l’animal) qui prend la place de la lutte pour résoudre les conflits est source de traumatisme psychique ! On en revient toujours au fait que le processus de civilisation n’est pas sans séquelle sur le psychisme. On se civilise, on négocie avec des paroles mais on est un peu plus traumatisés que les animaux. Faut ce qu’il faut !

Voilà pourquoi la pensée peut se mettre à tourner en boucle. De là résulte aussi les pensées obsessionnelles. Il s’agit d’un SSPT qui maintient le sujet dans un état nerveux hypermobilisé - que seule une décharge motrice permettrait d’apaiser ou bien la présence, l’écoute et le soutien d’un proche bienveillant au moment du traumatisme.

Telle est la source du traumatisme émotionnel : lorsque le corps hypo ou hypermobilisé par une émotion traumatique ne s’est jamais trouvé déchargé d’une tension par l’action : hurler, crier, courir, frapper....ou apaisé par un parent ou proche bienveillant.

Il n’y a donc rien de pire, pour un enfant en particulier, que de réprimer ses émotions. Ce qui fait traumatisme ça n’est pas tant de ressentir de la peur ou de la colère c’est surtout de ne pas pouvoir « l’agir » pour l’expulser ou la calmer via l’intervention d’un parent qui accueille les émotions de l’enfant.

Voilà pourquoi Winnicott soulignait l’importance, le temps des tous premiers débuts, de supporter les « émotions agressives » du nourrisson (qui par exemple hurle quand il a faim donc peur de dépérir...), de ne pas se laisser détruire par elles afin de lui apporter suffisamment de soutien et de contenance pour qu’il soit apaisé. Il avait ainsi parfaitement identifié le rôle co-régulateur de la mère et de l’environnement parental nécessaire à l’apaisement des défenses primitives chez le tout-petit qui lui-même à force de co-régulation maternelle et parentale développera sa capacité au fur et à mesure des ses expériences émotionnelles à s’autoréguler pour ne pas avoir besoin de solliciter des défenses énergivores et antisociales comme la mobilisation par le combat/la fuite, le maintenant dans la colère et l’auto ou l’alter destruction ou comme l’immobilisation qui implique des attitudes néfastes de soumission, de dissociation et de dépression.

Cela nous mène donc à l’importance de développer chez le tout petit la troisième défense typiquement mammalienne : la co-régulation.

2.2.3 LES DÉFENSES COLLABORATIVES

2.2.3.1 LA DÉFENSE PAR CO-REGULATION SOCIALE

L’originalité de la théorie polyvagale de Stephen Porgès est d’avoir découvert un troisième système de défense apparu récemment chez les mammifères.

Nommé « Système d’engagement social » par Porgès, il résulte de nos comportements non verbaux (regards, expressions faciales, modulations vocales et attitudes corporelles) qui véhiculent les émotions comme autant d’indices de sécurité ou d’insécurité permettant un réajustement des comportements entre congénères évitant ainsi l’attaque, la fuite ou le figement. 

2.2.3.1.1 LA CO-RÉGLATION EMOTIONNELLE VIA LA COMMUNICATION NON VERBALE

 

Cette communication non-verbale interpersonnelle permet une co-régulation des émotions entre membres de la même espèce. La connexion sociale rendue possible par la communication non verbale émotionnelle est un dernier fruit de l’évolution qui permet donc aux mammifères d’assurer leur survie sans s’attaquer. Ce système en régulant le sentiment de sécurité entre congénères, inhibe les deux autres systèmes de défense qui, s’ils sont dominants, maintiennent eux, un sentiment d’insécurité permanent (un peu comme si on était tout le temps sur le qui-vive prêt à attaquer, fuir ou être pétrifié de terreur).

C’est la branche ventrale du SN parasympathique (que Porgès a distinguée de la branche dorsale) qui assure ce sentiment de sécurité qui résulte de communications non verbales possibles entre congénères. Il s’agit donc en quelque sorte d’un système de défense préventif. Cette capacité propre aux mammifères est assurée par le développement chez eux de la sous-branche ventrale du nerf vague myélinisé qui relie les 5 nerfs crâniens aux muscles du visage, de l’oreille interne, du larynx, du pharynx, au cœur et aux poumons.

« Les nerfs crâniens, les muscles du visage et la branche ventrale du nerf vague assurent la « connexion visage-cœur » » permettant non seulement au tout-petit de développer un sentiment de sécurité et de se sentir en connexion avec sa communauté protectrice (son environnement familial et social) et de développer en grandissant sa capacité à s’autoréguler sans recourir en priorité aux défenses plus archaïques que sont le combat/fuite ou l’immobilisation. » (Porges S. W., 2017. Théorie polyvagale et sentiment de sécurité, Enjeux et solutions thérapeutiques, EDP Sciences, p.222.)

Il en découle que l’expression et la communication par les expressions faciales et la prosodie de la voix des états physiologiques de peur et de sécurité entre congénères de la même espèce au sein des mammifères permet entre eux une co-régulation émotionnelle inhibitrice des systèmes énergivores combat/fuite et immobilisation.

Ce système corrobore la fonction des « neurones miroirs » découverts en 1994 par Giacomo Rizzolati. Il a constaté qu’un singe qui regarde un homme faire une action a ses cellules nerveuses excitées là où se trouve dans le cerveau les neurones de commande moteurs. Inconsciemment donc cela explique que nous captons et éprouvons en miroir les mouvements mais aussi les émotions des autres. Voilà pourquoi deux personnes en harmonie ont tendance à se mouvoir ou se tenir de la même façon ainsi que parler sur le même ton ou rythme. Ce phénomène est à la base l’imitation, de la synchronie et de l’empathie qui participent du « système d’engagement social ». Les neurones miroirs en association avec le système nerveux parasympathique ventral nous font éprouver les sentiments des autres aussi bien négatifs que positifs.

Ce « système d’engagement social » désamorce non seulement les défenses archaïques et fait aussi l’effet d’un frein vagal permettant au cœur de diminuer sa fréquence pour battre entre 60 et 90 battements par minute, maintenir l’homéostasie, assurer la restauration, la santé et provoquer un sentiment de calme et de sécurité.

« Il semblerait que chez l’être humain la sortie de l’état dissociatif aigu ne soit pas aussi simple que chez l’animal, ce qui favorise le développement de syndromes de stress post-traumatiques ou de symptômes dissociatifs chroniques. Néanmoins il a été mis en évidence que la stimulation du système relationnel (et avec lui, de l’attachement et de l’ocytocine) a un effet antagoniste du système de stress/figement, d’où la recommandation, après un événement traumatique, de passer du temps avec ses proches. » (Smith J., 2021. Introduction dans Psychothérapie de la dissociation et du trauma, Paris, Dunod.)

La co-régulation sociale est une alternative adaptative aux 2 autres types défenses beaucoup plus coûteuses en énergie dont en particulier la défense archaïque par immobilisation (figement, sidération, dissociation), source de peurs délétères, voire mortelles chez l’humain et la défense par mobilisation (attaque/fuite/agrippement). Ces 2 défenses sont nécessaires ponctuellement pour assurer la survie en cas de danger mais délétères pour la santé cardiovasculaire et immunitaire si elles fonctionnent en continu ou quasi quotidiennement.

« C’est à travers un processus de co-régulation qu’un individu acquiert la capacité d’autorégulation. La théorie souligne que les interactions mutuelles, synchrones et réciproques permettent la co-régulation et agissent comme un entraînement neural augmentant la capacité d’autorégulation en l’absence d’un contexte de co-régulation. 
L’autorégulation débouche donc sur une aptitude du système nerveux à se maintenir dans un état de calme sans ressentir le besoin d’une présence rassurante. » (Porges S. W., 2017. Théorie polyvagale et sentiment de sécurité, Enjeux et solutions thérapeutiques, EDP Sciences, p. 22.)

Notons dès à présent que la 1ère expérience de co-régulation se vit dès les premiers instants de vie lorsque le nourrisson humain se connecte au visage de sa mère à la naissance. La naissance n’est donc pas le premier traumatisme marqueur de tous les autres comme le présumait Otto Rank (Otto Rank, Le traumatisme de la naissance, Paris, Petite bibliothèque Payot). Les observations récentes montrent que le nourrisson dont le système sympathique ou parasympathique dorsal est aux abois lors de la naissance se calme au contact d’une mère connectée visuellement et émotionnellement à son bébé.

« Les premiers gestes du nouveau-né à la naissance ont été étudiés selon la méthode de l’éthologie qui consiste à observer des comportements... Dans notre étude, trente et une naissances normales par voie vaginale ont été filmées à partir du temps 0 (T0) défini comme le moment qui se situe entre la sortie de la tête, du thorax et celle du pelvis.
Parmi les trente et un nouveau-nés, vingt-deux sont sortis actifs dès le T0. Parmi les neuf autres nouveau-nés, six sont en collapsus avec les yeux fermés au T0 avant de se figer (freezing) et trois sont d’abord actifs avant de se figer....
Les premiers comportements des nouveau-nés entrent dans le cadre de la cascade des réactions progressives des mammifères face à une menace : s’enfuir, attaquer, se figer, entrer en collapsus. Les comportements des vingt-deux nouveau-nés actifs dès le T0 peuvent être interprétés comme des réponses actives face aux stimuli aversifs de la naissance et ceux des neuf autres nouveau-nés comme des réponses passives face à des stimuli plus aversifs ou plus dangereux. 
Tous les bébés de cette étude ont eu plus ou moins rapidement après T0 un mouvement stéréotypé d’ouverture des yeux avec élévation des sourcils et de la tête. Ce mouvement s’interrompt par des cris et un visage de détresse après quelques secondes pour les nouveau-nés qui sont actifs dès le T0 et plusieurs minutes pour ceux qui ont eu des réactions d’immobilité. Orienté au début vers le haut, le mouvement des yeux et de la tête change ensuite de direction pour s’orienter vers le visage de la mère, éventuellement vers celui de son père ou d’un autre caregiver. La réalisation simultanée du mouvement des yeux du bébé et de l’inclination de la tête de la mère sur son visage peut amener une rencontre des regards et un rapide apaisement du bébé à condition que la mère soit émotionnellement disponible, qu’elle ne détourne pas la tête et que son visage exprime des émotions positives. Le nouveau- né est en effet capable de discriminer les expressions faciales dès la naissance. » (Rousseau P.V., 2021. Naissance, trauma et résilience, dans Le grand livre des 1000 premiers jours de la vie. Développement, trauma, approche thérapeutique. Dunod. pp. 96-110.)

Tout au long de sa croissance, la mère dans un 1er temps ou son substitut, apaise l’enfant par des regards, des contacts affectueux et des vocalisations - lui permettant d’intégrer un sentiment de sécurité - qui lui permettra par la suite de s’autoréguler lui-même en son absence.

« Les attitudes générées au sein de la relation de soin précoce posent la base d’une perception de soi comme méritant et étant capable de susciter le soin et la réactivité d’autrui (....) Les premières pierres de la régulation émotionnelle sont posées par l’expérience physiologique et affective précoce au sein de la relation de soin primaire (c’est-à-dire par la synchronicité émotionnelle et la modulation de la détresse. » (Carlson E. A., Yates T. M. & Sroufe L. A. 2009. Dissociation and the development of the self, In P. F. Dell & J. A. O'Neil (Eds.) pp. 42-43.)

C’est exactement ce qu’avaient déjà repéré Bowlby en 1978 lorsqu’il pointait que les interactions sensorielles entre la mère et l’enfant construisaient des liens affectifs bidirectionnels d’attachement sécure nécessaires à un développement sain et Winnicott qui constatait l’importance de la co-régulation apportée par les comportements calmants de la mère et l’importance de ses regards :

« Le self reconnaît essentiellement son existence dans les yeux et l’expression du visage de la mère ainsi que dans le miroir qui en vient à représenter le visage de la mère. » (Winnicott D. W. Lettre écrite à Jeannine Kalmanovitch (sa traductrice) dans Kalmanovitch J. et Clancier A., 1999. Le paradoxe de Winnicott, De la naissance à la création, In Press.)

La mère assure en quelque sorte une continuité d’être au bébé qui permet de lutter contre la menace d’annihilation, angoisse primitive selon Winnicott. C’est l’état régulateur de la mère qui permet au bébé de s’apaiser de ses angoisses. Il écrit à ce propos « les femmes sont continues » car elles doivent l’être pour permettre au « bébé-environnement » de l’être. C’est ainsi qu’il met en relation le traumatisme avec l’état de dépendance de l’enfant à son environnement et la question de la temporalité qui y est étroitement liée :

« Après x+y+z minutes, le retour de la mère ne répare pas l’altération de l’état du bébé. Le traumatisme implique que le bébé a éprouvé une coupure de la continuité de son existence, de sorte que ses défenses primitives vont dès lors s’organiser de manière à opérer une protection contre la répétition d’une « angoisse impensable », ou contre le retour de l’état confusionnel aigu (Correspondant à ce que l’on nomme aujourd’hui « dissociation ») qui accompagne la désintégration d’une structure naissante du moi. » (Winnicott D. W. 1975. « La localisation de l’expérience culturelle » dans Jeu et Réalité, Gallimard, pp. 135-136.)

2.2.3.1.2 L’ENFANT SE SYNCHRONISE A L’ÉTAT EMOTIONNEL DE SA MÈRE OU SON ENVIRONNEMENT QUI PERMET UNE RÉGULATION OU UNE DYSRÉGULATION

C’est pourquoi selon Allan Shore, si une mère est elle-même dérégulée émotionnellement, elle synchronisera son enfant à son état :

« L’enfant se rythme aux états dérégulés de sa mère, et cette synchronisation est enregistrée dans les schémas de décharge des régions cortico-limbiques sensibles au stress dans le cerveau du tout-petit, plus particulièrement l’hémisphère droit, qui traverse alors une période de croissance critique. » (Shore A. N., 2009. « Attachment Trauma and the Developping Right Brain : Origins of Pathological Dissociation », In P. F. Dell & J. A. O'Neil (Eds.), Dissociation and the dissociative disorders: DSM-V and beyond (pp. 107–141). Routledge/Taylor & Francis Group.)

Tel est aussi le constat de Monique Salmona :

« En cas de co-régulation ou synchronicité émotionnelle parentale déficiente, le bébé subit un débordement de sa fenêtre de tolérance (pare-excitation) et impuissant (combat/fuite impossibles) seul le mécanisme de défense de dissociation lui assure sa survie tout en atténuant la destruction causée par une suractivation prolongée du système de stress. En effet lorsqu’une situation de stress perdure malgré l’activation du système de stress, cela indique à celui-ci son inefficacité pour y mettre fin via la fuite ou le combat. Le système de stress va donc s’adapter à ces situations « inefficaces » pour atténuer l’impact délétère des hormones de stress (dont en particulier le cortisol) sur le corps sur le long terme... D’un point de vue neurobiologique cela se traduit par une diminution de la noradrénaline et de la dopamine et d’une hypersensibilité des récepteurs du système noradrénergique. » (Salmona M., 2012. « Mémoire traumatique et conduites dissociantes » dans R. Coutanceau, J. Smith et S. Lemitre, Trauma et Résilience Victimes et auteurs, Paris, Dunod, pp. 113-120.)

Il est étonnant de constater encore que :

« Les définitions de la DISSOCIATION  DSM-5 et CIM-11 ignorent l’origine puisant sa source dans les déficits précoces de régulation émotionnelle et de sécurité d’attachement (au cours des mille premiers jours de vie, (voire notamment Schore (Shore A. N., 2009. « Attachment Trauma and the Developping Right Brain : Origins of Pathological Dissociation », In P. F. Dell & J. A. O'Neil (Eds.), Dissociation and the dissociative disorders: DSM-V and beyond (pp. 107–141). Routledge/Taylor & Francis Group) ; Liotti (Liotti, G., 2009. Attachment and dissociation. In P.F. Dell & J.A. O’Neill (Eds.), Dissociation and the dissociative disorders: DSM-V and beyond (pp. 53-66). New York: Routledge)) ni son facteur déclenchant de nature traumatique. » (Smith J., 2021. Introduction dans Psychothérapie de la dissociation et du trauma, Paris, Dunod.)

Les mammifères sociaux dont l’homo sapiens ont donc cette capacité d’attachement et de co-régulation émotionnelle sociale en commun mais cette capacité n’est pas activée systématiquement puisqu’un environnement familial trop insécurisant l’entrave et peut même l’anéantir de manière parfois irréversible.

2.2.3.1.3 LES CONSÉQUENCES D’UN SYSTÈME D’« ENGAGEMENT SOCIAL » ENTRAVÉ PAR UN ENVIRONNEMENT TRAUMATISANT

« Après avoir scanné le cerveau inactif, Ruth Lanius et son équipe se sont penchés sur une autre question de la vie quotidienne : que se passe-t-il chez les traumatisés chroniques quand ils se trouvent face à une autre personne ? (...)

Avec un appareil vidéo, elle a projeté un personnage - une sorte de Richard Gere bienveillant – à un patient couché dans un scanner. Le personnage s’approchait, soit de face en regardant le patient directement, soit de biais en regardant ailleurs. Ça a permis de comparer les effets du contact visuel direct et du regard détourné sur l’activation cérébrale. La différence la plus frappante entre les sujets normaux et les traumatisés résidait dans l’inactivation, chez ces derniers, du cortex préfrontal en réponse au contact visuel direct. Normalement, le cortex préfrontal aide à se faire une idée des personnes qui viennent vers nous, et les neurones miroirs à discerner leurs intentions. Or les traumatisés n’activaient aucune partie de leur lobe frontal – ce qui veut dire qu’ils ne pouvaient pas s’intéresser à l’homme inconnu – ni leurs aires cérébrales qui participent à l’engagement social. En revanche, ils activaient fortement leur substance grise périaqueducale, une zone primitive du cerveau émotionnel qui déclenche le tressaillement, l’hypervigilance, le blotissement et d’autres comportements d’autodéfense. En réponse au contact visuel direct, ils se mettaient simplement en mode survie.

Que peut-on en conclure sur leur capacité à se lier et à s’entendre avec les autres ? » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 147.)

Suite à des traumatismes de peurs intenses et/ou répétitives, les sujets restent campés dans un état d’hypervigilance - hyper mobilisés (hyperactifs, hypersensibles...) ou d’hypovigilance - hypo mobilisés (déconnectés, dépressifs, dissociés, apathiques...) et scrutent leur environnement avec méfiance voire défiance, transformant ainsi toute relation interpersonnelle en conflit de domination et/ou de soumission.

Certains sont exclus socialement du fait de leur inadaptation et d’autres s’excluent eux-mêmes lorsque les autres deviennent systématiquement source potentielle de conflit et donc de malheur pour eux. Cela explique pourquoi les personnes traumatisées sont la plupart du temps sur la défensive comme si elles étaient menacées de mort ou d’agression en permanence. Le recours permanent à ces deux types de défense - sympathique ou parasympathique dorsale est caractéristique des personnes traumatisées au point que le système parasympathique ventral est « déprimé » ainsi donc que le « système d’engagement social » qui en découle. 
A contrario, une enfance vécue dans un environnement parental globalement sécurisant permet à l'enfant de développer des capacités d'autorégulation émotionnelle lui évitant de réagir systématiquement par l'agressivité, la fuite ou la passivité dès qu’un indice de son enfance insécure se manifeste.

Telle est la situation neurophysiologique des personnes traumatisées dans l’enfance. En hyper ou hypovigilance constante depuis l’enfance elles vivent dans un état d’insécurité permanent, ce qui donne lieu à des stratégies de défense qui deviennent structurelles. Forgées à se défendre constamment par l’attaque, la fuite ou la paralysie, leurs relations interpersonnelles sont interprétées comme une menace perpétuelle, d’où le développement en elles de la défense paranoïaque qui devient structurelle.

Cela veut dire que chez les sujets traumatisés, les défenses qui « normalement » s’activent uniquement en cas de danger, sont en état d’activité constant et que la neuroception des sujets traumatisés détecte constamment des indices de danger.

Nous avons tous des réactions réflexes de fuite/attaque ou de figement quand notre radar interne qui porte le nom de « neuroception » détecte une menace. Le problème pour les personnes traumatisées c’est que tous les indices en lien avec le passé traumatique activent l’alarme dans le système de neuroception et provoque un comportement défensif réflexe. Chez les personnes hyper traumatisées, comme c’est le cas des enfants qui ont été battus, violés ou maintenus hyper dépendants, le radar s’active tout le temps, c’est-à-dire que presque tout leur rappelle leur passé traumatique : tous les hommes si c’est le père qui a violé et/ou battu, toutes les femmes si c’est la mère qui a empêché l’enfant de s’autonomiser ou vice versa, etc.

« Il est important d’avoir un détecteur de fumée efficace. On ne veut pas être pris au dépourvu par un incendie ravageur. Mais si on se met dans tous ses états chaque fois qu’on sent de la fumée, cela devient très perturbant. Certes on a besoin de détecter si quelqu’un nous en veut, mais si notre amygdale s’emballe on peut contracter la peur chronique que les gens nous haïssent (paranoïa), ou croire qu’ils veulent notre peau. » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p.100.)

La paranoïa considérée comme le symptôme par excellence de la psychose est en fait un SSPT issu d’une enfance effrayante. 
Les comportements défensifs, s’ils sont trop souvent sollicités, pendant l’enfance en particulier, deviendront à terme, le modus vivendi régulier de l’adulte traumatisé dont le comportement est régi par des SSPT. Ainsi au moindre signe évoquant le passé/l’enfance traumatique, l’adulte adoptera un comportement défensif réflexe - agressif/évitant/figé. 
C’est le cas des autres symptômes typiques des SSPT comme la dissociation, l’anesthésie des émotion (alexithymie)....la plupart sont en fait des SSPT d’une enfance traumatisée.

A ce titre, une famille insécurisante où se trame toutes sortes de maltraitances est tout aussi dangereuse et traumatisante pour un enfant qu’un pays en guerre l’est pour quiconque.  Les grands traumatisés infantiles et les traumatisés de guerre sont une même sorte de survivants. Les stratégies de défenses de ces survivants relèvent majoritairement :

  • Du système nerveux parasympathique dorsal inhibant les défenses combatives et hypo activant les défenses vitales pour simuler la mort comportementale et physiologique. Les enfants ayant plus souvent été menacés de mort et/ou livrés à une totale impuissance du fait d’un environnement familial violent (enfant battus et/ou violés particulièrement) développent majoritairement des défenses d’immobilisation relevant du système parasympathique dorsal. Ceux-là risquent adultes de développer un comportement récurrent de soumission, dépression/dissociation/inhibition.

  • Du système nerveux sympathique actionnant des émotions et des défenses combatives relevant de la pulsion vitale. Les enfants menacés et agressés par un environnement familial sans que pour autant ils éprouvent une impuissance à se défendre. Les enfants menacés qui ont eu une fenêtre de tir pour se défendre ou fuir développent majoritairement des défenses combatives relevant du système nerveux sympathique. Ceux-là risquent adultes de développer un comportement parfois récurrent agressif de domination. Ils se maintiennent souvent dans l’hyper mobilisation via des activités qui stimulent constamment leur système nerveux sympathique.

Ces deux systèmes de défense hérités phylogénétiquement sont donc normaux mais ils sont censés s’activer ponctuellement pour assurer notre survie. Nous sommes donc tous naturellement sujets aux peurs comme le sont d’autres animaux face à des prédateurs ou dans des situations dangereuses. Ces défenses s’actionnent en nous automatiquement par réflexe lorsque l’organisme détecte via le mécanisme de la neuroception un danger menaçant son équilibre homéostatique ou sa survie. Le cortex cérébral qui intervient en temps 2 pour modérer ou arrêter la réaction amygdalienne de peur après analyse plus fine des informations peut ne plus y parvenir. C’est le cas malheureusement des enfants qui ont subi des émotions négatives à répétition du fait d’un environnement familial nocif à leur égard.

Les réactions de peur (fuite/attaque/figement) telles que les mentionnent Von der Kolk dans la citation que j’ai choisie ci-dessous ne sont pas des pathologies à la base mais le deviennent lorsque les réponses adaptatives à un environnement dangereux ne produisent pas de changement dans cet environnement qui continue d’être dangereux. (Demaret, A., 1979. Éthologie et Psychiatrie, Éditions Mardaga, p 16. Albert Demaret soutenait même à ce propos que les dite « pathologies mentales » résultaient en fait de comportements adaptatifs que l’on pouvait observer chez d’autres espèces animales. « L’observation comparée des comportement pathologiques humains et des comportements adaptatifs animaux fait ressortir un certain nombre d’analogies »)

« Les cliniciens et les chercheurs qui s’occupent de sujets souffrant de traumatisme chronique sont confrontés quotidiennement à des réactions d’attaque, de fuite ou de figement. Nos patients (et parfois nos collègues) se vexent facilement et cela perturbe leur vie (et la nôtre) par des colères ou des hontes excessives ou par des inhibitions. Des conflits mineurs peuvent se transformer en catastrophe. De petites incompréhensions dans la communication peuvent aussi se transformer en un problème insoluble, et devenir la source de conflits relationnels dramatiques. La gentillesse humaine, si importante pour rendre la vie agréable, est impuissante très souvent face au désespoir, à la colère, à la terreur des personnes qui ont des antécédents de traumatisme et d’abandon. » (Van der Kolk B. Introduction dans Porges S. W., 2021. La théorie polyvagale. Fondements neurophysiologiques des émotions, de l’attachement, de la communication et de l’autorégulation. EDP Sciences.)

Notons donc que le conflit en soi n’est pas anormal ou pathologique, il le devient uniquement quand il est devenu un mode d’être quasi permanent et automatique d’une personne ou d’une relation entre des personnes.

La finalité du conflit n’est plus sa dissolution c’est-à-dire sa résolution en un compromis entre des émotions et/ou des intérêts divergents mais sa transformation en un modus vivendi. La personne ou les personnes en conflit pathologique n’arrivent pas à cesser de l’être même si consciemment elles souhaitent en sortir, s’en sortir.

Les conflits intra ou interrelationnels résultent donc d’un conditionnement la plupart du temps archaïque remontant à la toute petite enfance. Les comportements parentaux et/ou sociaux qui sont à l’origine de la défense sollicitée sont donc parfois inaccessibles à la mémoire représentationnelle/consciente (mémoire explicite) tant les événements ont eu lieu tôt. Le cerveau - en particulier la mémoire explicite non formée avant 3 ans environ n’a pas pu enregistrer les scènes. En revanche la mémoire émotionnelle inconsciente (mémoire implicite), elle, a tout enregistré et a paramétré/conditionné le corps à actionner la défense habituelle dès qu’un indice du passé traumatique fait surface : cet indice peut être direct (couleur d’yeux identique à ceux du parent menaçant) ou très indirect (personne adoptant une posture parentale : le N+1 par exemple). Cette mémoire implicite inconsciente agit de concert avec l’amygdale qui gère à vitesse grand v (plus rapide que la conscience), les réactions aux émotions en vue de maintenir l’organisme en sécurité avant même que la conscience prenne connaissance de ce qu’il se passe.

Devenir maître de nos comportements pathologiques même si nous en avons conscience est donc très difficile car ceux-ci trouvent leur origine dans des comportements défensifs dont nous avons eu besoin enfant, pour surmonter des épreuves et parfois même survivre - psychiquement et/ou physiquement – à des menaces issues de notre environnement - parental et/ou social.

Je décris là une situation qui semble extrême pourtant force est de constater que la majorité des sujets est traumatisée.

« Une psychonévrose ou en abrégé une névrose est une maladie qui affecte les fonctions psychiques. Ce genre de maladie est plus fréquent que la tuberculose et le cancer. Névrosés et nerveux forment sans conteste la majorité de l’humanité contemporaine. Il n’est pour s’en convaincre qu’à ouvrir les yeux et regarder autour de soi. Personne ne saurait se désintéresser de ce mal si propre à troubler les rapports individuels, dans la vie sociale et la vie familiale, et qui se répand comme une épidémie au sein des sociétés...Les processus inconscients qui forment les fondations invisibles...témoignent des premiers conflits de l’enfant avec son milieu pédagogique. (Manière de désigner à l’époque le milieu dans lequel est éduqué l’enfant à savoir sa famille la plupart du temps.) » (Odier C., 1947, L’angoisse et la pensée magique. Essai d’analyse psychogénétique appliquée à la phobie et la névrose d’abandon. Éditions Delachaux & Niestlé, p. 7.)

Je pense que nous sommes tous plus ou moins traumatisés. Pas tous au point d’être en hyper ou hypovigilance mais suffisamment pour souffrir les uns et les autres au quotidien de relations amoureuses, professionnelles ou sociales conflictuelles énergivores sollicitant combat/fuite ou soumission plutôt qu’une co-régulation émotionnelle pacifiante.

Certains sujets arrivent en consultation quand ils sont à bout de force et n’arrivent plus tout seul à trouver une sorte d’équilibre. Les autres continuent bon an mal an mais je constate que peu de gens vivent globalement sereins et heureux malgré tout. Les conflits dominent largement les relations interpersonnelles car les défenses traumatiques infantiles des uns se heurtent à celles des autres.

Heureusement chez l’humain, un système d’analyse de la situation ultérieure à la réaction devenue réflexe est possible et peut rétroagir à force de répétition et amoindrir le conditionnement traumatique. Cette analyse secondaire de la situation plus lente mais plus fine a été mise en avant par Joseph Ledoux. Ledoux a démontré l’existence d’une voie corticale qui permet d’éteindre la réaction de défense une fois une analyse fine et consciente de la situation faite. Ainsi l’analyse a posteriori via le cortex préfrontal de la réaction de défense comme étant exagérée et inappropriée au contexte est possible et peut à force de répétition réussir à désamorcer/ déconditionner le réflexe traumatique. Un temps. Malheureusement si la personne est à nouveau réexposée au même trauma, alors le réflexe traumatique ressurgira immédiatement. Le travail de déconditionnement du réflexe sera à refaire mais il sera plus rapide que la première fois et ainsi de suite. Donc à force, il est possible d’amoindrir, voire de désamorcer fortement le réflexe traumatique.

Socrate : « Connais-toi toi-même. » (Platon, Charmide, GF Flammarion, 2005.)

2.2.4 LA THÉRAPIE ANALYTIQUE POUR COMPRENDRE SES CONDITIONNEMENTS, LEURS SOURCES, LES ABRÉAGIR ET OPÉRER UN TRAVAIL DE DÉCONDITIONNEMENT

Notons dès à présent que pour qu’un tel travail sur soi puisse se faire, il est avant tout nécessaire de rétablir un climat sécurisant dans lequel le patient traumatisé pourra développer ses capacités d’engagement social. Tel est l’un des premiers objectifs de la thérapie analytique. C’est la raison pour laquelle j’estime nécessaire le face à face entre thérapeute et patient pour que la co-régulation se fasse à travers le langage corporel : regards, postures et tonalités vocales. Je rejoins Jean-Bertrand Pontalis sur ce point qui déclarait dans son ouvrage Fenêtres en 2000 :

« Vous l’avez allongé ou vous l’avez en face à face ? Question d’usage dans la profession, question souvent lourde de présupposés, à commencer par celui-ci : il n’y a de véritable analyse qu’avec divan, le face à face c’est bon pour la psychothérapie. Je récuse cette hiérarchie comme je conteste que psychothérapie soit associée à un soutien…Erreur aussi de croire exclue l’analyse du transfert…Quand le choix est celui du face à face, le patient et l’analyste n’oublient pas qu’ils s’adressent à quelqu’un. Même s’ils ne se regardent pas, ils ne se perdent de vue ni l’un ni l’autre. Ce sont deux présences.
Avec l’autre dispositif – divan, fauteuil – il y a bien aussi deux personnes mais elles sont, comment dire entre parenthèses…de mes patients en face à face je garde facilement en mémoire ce que fut leur histoire. J’ai le sentiment de bien les connaître, de les comprendre, de percevoir ce qui les fait souffrir…Le jour où nous nous séparerons quelqu’un quittera quelqu’un. » (Pontalis J-B., 2000., « Face à Face » dans Fenêtres, Éditions Gallimard, p. 84.)

La communication non verbale dans la thérapie est essentielle tant pour l’analyste qui peut voir, recevoir et analyser le corps de l’analysant exprimer les émotions qui le taraudent que pour l’analysant qui peut communiquer ses émotions et recevoir celles du thérapeute assurant ainsi l’effet co-régulateur qui a fait défaut dans l’enfance.

Par le corps l’analysant exprimera à l’analyste les émotions qui sont cristallisées en lui depuis sa prime enfance et les expulsera par la même occasion. Allongé sur un divan sans personne qui communique avec le corps, cette communication-expulsion est impossible.

Par le corps, l’analyste contient et apaise les émotions de l’analysant qui pourra développer peu à peu ses capacités d’autorégulation et d’auto-contenance.

« L’Homme possède une écoute très fine des fluctuations émotionnelles des personnes (et des animaux) qui l’entourent. De légères variations dans la tension du front, des rides autour des yeux, de la courbure des lèvres, lui signalent rapidement si quelqu’un est à l’aise, détendu, effrayé ou méfiant. Ses neurones miroirs enregistrent ce qu’ils perçoivent, et son corps s’adapte intérieurement à cette information. De même, les muscles de son visage annoncent aux autres s’il est excité ou calme, si son cœur s’emballe, s’il est prêt à fuir ou à se jeter sur eux. Quand une personne lui envoie le message : « Tu n’as rien à craindre de moi », il se détend. Si par chance, elle est bienveillante, il se sent réconforté en la regardant dans les yeux. 
La culture occidentale nous enseigne à nous concentrer sur la singularité personnelle, mais à un niveau plus profond, l’homme existe à peine en tant qu’organisme individuel. Son cerveau est conçu pour l’aider à se conduire comme un membre d’une tribu. Il fait partie de cette tribu même quand il est seul (...) L’essentiel de notre énergie est consacré aux relations avec autrui. » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 115.)

N’oublions pas que les sujets traumatisés ont malheureusement leur aptitude à la communication non verbale émotionnelle altérée du fait d’une synchronie primaire à des états émotionnels parentaux très dérégulants. Ils se sentent seuls, incompris d’eux-mêmes et comme coupés des autres et du monde dans lequel ils se sentent étrangers. L’un des enjeux de la thérapie et du thérapeute sera de refléter leurs états émotionnels et de restaurer cette fonction « miroir » altérée en eux. Le regard et l’attitude corporelle du thérapeute permettront cette synchronicité régulatrice.

Voilà pourquoi je ne suis pas du tout partisane de la psychanalyse sur le divan et de la posture soi-disant neutre du psychanalyste. Un visage impassible et un ton de voix monocorde n’est pas neutre : il est vécu émotionnellement comme froid, antipathique voire effrayant et ne peut au mieux que renforcer les défenses - agressives, évitantes ou passives de l’analysant. La méthode de Lacan qui vise cet objectif est à mon avis contre-productive du fait qu’elle braque l’analysant dans un transfert négatif massif. Il jouait là-dessus pour réveiller le transfert parental traumatique (rejet, distance, abandon...parentaux).  Je citerai pour ma part une analysante parmi tant d’autres ayant subi une telle retraumatisation : « La première psychanalyste que j’ai rencontrée ne parlait pas. Quelle violence ! Je n’y suis jamais retourné. »

La thérapie oblige à se représenter les violences subies : c’est un moment difficile, voire dangereux pour certaines personnes ultra traumatisées qui ne peuvent supporter de revivre même en mots les agressions qui ont brisé leur vie. Il est des cas où des personnes se sont suicidées dans le cadre ou suite à une analyse.

« Parler de « mourir de dire » c’est suggérer que le processus qui mène à la mort ou au suicide est la conséquence d’une communication mauvaise. Cette communication mauvaise aurait-elle pu être bonne, ou en tout cas meilleure ? Moins dévastatrice ? Que serait-elle si elle était même partiellement réussie ? Peut-être faudrait-il l’inventer ? Tel devrait être en tout cas, selon Sarah Kofman, le rôle d’une écoute analytique qui ne pourrait plus ici se permettre de s’enfermer dans la neutralité. Cette écoute dit la philosophe devrait se rendre capable d’accueillir le dire du survivant, de ne pas le laisser s’énoncer dans le silence, de ne plus adopter vis-à-vis de cette parole un comportement qui semble mimer l’indifférence collective. La psychanalyse qu’appelle Sarah Kofman se voit ici confier une tâche digne d’Orphée. Il s’agit de trouver le poros, le chemin qui permet de ramener le locuteur chez les vivants. (On aura compris que la sidération ou le silence de l’analyste peuvent avoir le même effet que le rejet fatal d’un monde indifférent.) » (Rosenblum R. 2019. Mourir d’écrire ? Shoah, traumas extrêmes et psychanalyse des survivants, PUF, pp. 55-56.)

Telle était l’avis d’André Green aussi qui dénonçait la mystification par la psychanalyse tant à la SPP que lacanienne d’un cadre rigide et d’une neutralité vide. Il cite à ce propos un analysant :

« Et dire qu’il n’y a qu’un analyste qui parle dans Paris et qu’il m’a fallu tomber sur celui-là ». (Green A., 1990. « Le silence du psychanalyste » (1979) dans La folie privée ; psychanalyse des cas limites, Gallimard, p. 338.)

Cette anecdote rapportée par Green date de 1990 mais elle est malheureusement toujours d’actualité : mes analysants me rapportent encore le même genre de témoignage alors que nous sommes en 2023...

Je favorise donc une méthode humaine c’est-à-dire communicante émotionnellement et vivante corporellement pour permettre aux analysants d’accéder tant en représentations qu’en émotions et sensations à leurs pires souffrances pour les abréagir et en saisir les causes et les conditionnements défensifs qu’elles ont produits en eux dès leur plus jeune âge.  Main dans la main, les yeux dans les yeux, la co-régulation fait son œuvre : modère les défenses archaïques, favorise l’engagement social, l’autorégulation et la maîtrise de soi par le déconditionnement des défenses traumatiques et la création de défenses plus adaptées à la cohabitation humaine.

2.2.3 MÉCANISMES DE DÉFENSE OU STRATÉGIES DE COPING ?

L’homo sapiens possède bien des défenses pour se défendre des événements dangereux et stressants qui scandent son enfance et sa vie d’adulte. 
Du point de vue de la neuropsychologie, elles sont les suivantes :

  • Défenses par immobilisation - en cas de danger mortel ou extrême (SNA parasympathique dorsal) => figement avec hypo-activation du métabolisme en vue d’un stockage des réserves.

  • Défenses par mobilisation - en cas d’un danger affrontable (SNA parasympathique) => lutte, fuite, agrippement.

  • Défenses par co-régulation (SNA sympathique ventral) => communication non verbale.

  • Défenses corticales (Néocortex) => la connaissance de soi et du monde permettent une rétroaction corticale sur les réactions amygdaliennes devenues réflexes par conditionnement émotionnel.

Les défenses nous l’avons vu précisément dans la partie 2, relèvent d’un système inné et inconscient qui s’active dès que l’organisme détecte un danger entraînant une perturbation homéostatique - via le système de la neuroception. Avant même conscientisation du danger l’organisme déclenche des défenses de mobilisation (attaque, fuite, agrippement au corps maternel chez le tout-petit) ou en cas de danger mortel d’immobilisation (sidération, dissociation, soumission). Ces mobilisations ou immobilisations opérées par des réseaux spécifiques du système nerveux s’accompagnent d’émotions (colère, haine, peur, terreur...). Si ces défenses sont trop sollicitées pendant l’enfance pour se défendre d’un environnement familial dangereux ou insécurisant, l’enfant développera à force de répétition, des conditionnements émotionnels qui le conduiront adulte à réagir systématiquement - comme par réflexe, selon le profil défensif hyper sollicité durant son enfance.

Les conditionnements défensifs hyper sollicités dans l’enfance s’ancrent durablement dans le système neurophysiologique lorsque l’environnement familial n’a pu suffisamment co-réguler l’enfant via une interaction régulatrice ou permettre via une activité tierce une co-régulation de ses émotions défensives en favorisant l’expression de soi et la connaissance de soi.

Selon l’intensité de ses conditionnements défensifs à réagir au moindre indice (même très indirect) avec l’environnement traumatique de l’enfance, le sujet éprouvera tout au long de sa vie, des difficultés plus ou moins fortes à gérer les émotions réactivées par la même occasion.   Ces difficultés à gérer ses émotions devenues ainsi traumatiques et constitutives de son caractère défensif impacteront ses capacités d’adaptation sociale.

C’est ainsi que la capacité d’adaptation du sujet à la vie sociale et à ses contraintes normatives se décline en divers modes – psychotique, autistique, névrotique, borderline ou pervers – selon le mode de gestion de l’émotion traumatique qui a forgé son caractère.

Dans le mode psychotique, l’émotion traumatique est envahissante et domine l’interprétation que le sujet fera du monde. Il ressent tout selon le filtre de l’émotion qui a forgé son caractère. Une émotion d’insécurité très forte subie pendant l’enfance le maintient dans la terreur et la crainte peu importe les circonstances.

Idem dans l’autisme à part que le sujet se replie à l’abri du monde au maximum pour éviter d’être en contact avec ce qui pourrait provoquer chez lui l’émotion traumatique en question.

Dans la névrose, le sujet fait au mieux avec son émotion pour s’adapter au monde. Il investit des stratégies de répression et/ou de contrôle de son émotion pour s’intégrer du mieux qu’il peut et ne pas être mis à l’écart de la société.

Le mode état limite (borderline) est le mode intermédiaire entre le mode psychotique où l’émotion, envahissante et handicapante pour le sujet le domine et la névrose où l’émotion est plus ou moins bien dominée.

Dans la « régulose », néologisme qui évoque un mode d’adaptation relevant de la co-régulation, le sujet exprime son émotion et la rend ainsi utile à lui-même et aux autres via une activité (professionnelle ou de loisirs), une création, une recherche... C’est le cas typique de la sublimation qui change le but de l’émotion initiale la mettant au bénéfice de soi et des autres.
Ex : un enfant terrifié qui devient policier pour assurer la sécurité de tous.

La perversion est un assemblage de deux modes : psychotique car l’émotion traumatique envahit le sujet à la différence que le psychotique subit l’émotion alors que le pervers va la faire subir aux autres. Ce renversement de rôle est le fait d’une identification à l’agresseur initial et d’une identification d’autrui à l’enfant victime qu’il a été. Cet agir qui fait subir l’émotion traumatique à l’autre se fait en général dans une intimité cachée aux yeux du monde social du pervers. Socialement le pervers sait en effet parfaitement bien simuler la régulose ou la névrose en endossant le costume généralement admirable (en termes de morale et/ou de réussite sociale) d’un sujet parfaitement adapté à la société (ou sa communauté) via une maitrise hors pair des codes sociaux de celle-ci. 
C’est la plupart du temps jouissif pour lui de se permettre des agirs malfaisants à l’égard d’un autrui-victime masqué par une image sociale insoupçonnable.
Certains pervers souffrent cependant de ce double jeu dont ils aimeraient se sortir mais n’y arrivent pas du fait de la simple force de leur volonté.

Tableau : La gestion de l’émotion traumatique par le sujet en rapport aux autres

Tableau : La gestion de l’émotion traumatique par le sujet en rapport aux autres.

Les modes de gestion de l’émotion - répression, déni, identification à l’agresseur, sublimation...- qui permettent une adaptation sociale plus ou moins heureuse correspondent aux « mécanismes de défense » de la psychanalyse tels que définis par Freud, Anna Freud (Freud A., Le Moi et les mécanismes de défense, PUF), Ferenczi (Ferenczi, S., Œuvres complètes, Tomes 1 à 4, Payot.), Klein (Klein M., Essais de Psychanalyse, Paris, Payot)... puis élaborées ultérieurement par d’autres comme Laplanche et Pontalis (Laplanche J., Pontalis J-B., 1967. Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF), Bergeret (Bergeret J. 1986. Psychologie pathologique, Paris, Masson), Valenstein, Kernberg (Kernberg O. F., 1976, Object relations theory and clinical psychoanalysis, New York, Jason Aronson), Vaillant et Drake (Vaillant G. E. et Drake R. E., 1985. Maturity of ego defenses in relation to DSM-III axis II personality disorder, Archives of General Psychiatry, 42), Ionescu et al (Ionescu S., Jacquet M-M., Lhote C., Les mécanismes de défense. Théorie et clinique, Dunod, 2020) et enfin par Perry et Kardos (Perry J.C., Kardos M. E., 1995. “Review of the Defense Mechanism Rating Scales”, dans HR Conte, R. Plutckik (éds), Ego Défenses : Theory and measurement. New York, Jonh Wiley and Sons) dont la classification a été reprise avec quelques modifications par le DSM IV qui assimile les mécanismes de défense aux stratégies de coping :

 

« Les mécanismes de défense (ou styles de coping) sont des processus psychologiques automatiques qui protègent l’individu de l’anxiété ou de la prise de conscience des dangers ou des facteurs de stress internes et externes. Souvent les sujets ne sont pas conscients de ces processus quand ils opèrent. » (DSM IV, p. 751.)

Cette assimilation par le DSM IV n’est pas illogique puisque Lazarus et Folkman (Lazarus R. S., Folkman S., 1984. Stress, Appraisal, and Coping, New York, Springer) auteurs du modèle « Stress et coping » posent le postulat que ces stratégies de coping sont le fait d’un sujet qui « fait face » à un stress demandant une adaptation à l’environnement. Ce qui est moins logique c’est que Lazarus et Folkman postulaient que ces stratégies découlaient d’une décision volontaire du sujet suite à une évaluation cognitive et consciente de la situation d’où le mot « stratégie » et non « mécanisme » qui sous-entend lui, un fonctionnement automatique et inconscient.

A y regarder de plus près, nous voyons bien en effet que les stratégies de coping et les mécanismes de défense se recoupent dans leur définition. Par exemple « la projection » qui consiste à attribuer un désir ou un trait de personnalité refoulé chez soi à autrui correspond à la stratégie de coping « rejeter la responsabilité sur les autres ». Il en va de même pour « l’affiliation » (recherche d’aide et du soutien d’autrui) et la stratégie de coping « recherche de soutien social ».

A cet effet, voici un tableau de Plutchik (Plutchik R, 1995. A Theorie of Ego Defenses and Emotions, dans C.E. Izard Eds, Emotions in Personality and Psychopathology, New York, Plenum Press, p. 229-257) présenté par Henri Chabrol et Stacey Callhan dans Mécanismes de défense et de coping (Chabrol H., Callahan S., 2018. Mécanismes de défense et de coping, Editions Dunod, p. 252) qui montre la correspondance entre les mécanismes de défense et les stratégies de coping :

Tableau 8.2 - Les 8 mécanismes de défense et processus de coping de base (Plutchik, 1995)

Tableau 8.2 - Les 8 mécanismes de défense et processus de coping de base (Plutchik, 1995)

Pour ma part, je me fonde sur mes observations donc sur le fait que les défenses sont actionnées de manière inconsciente du fait d’un conditionnement très ancien qui remonte à nos premiers moments d’existence in puis ex utero et d’une nécessité vitale comme le mentionnait Ledoux d’agir très vite en dehors de toute conscience pour maximiser nos chances de survie (Cela n’exclue pas qu’un travail sur soi de longue haleine permet de comprendre ses mécanismes et d’agir dessus avec conscience et raison/stratégie même si cette rétroaction corticale du néocortex sur le réseau amygdalien (mémoire émotionnelle) est très difficile à obtenir et à maintenir dans les moments où nous en avons besoin, c’est-à-dire en cas de stress) : « Plutôt rapide que la mort » (Ledoux J., 1994. Le cerveau des émotions, Odile Jacob, p.161).

 

C’est ainsi que le profil défensif de chacun - notre caractère - se détermine le temps de l’enfance en fonction du ou des traumatismes émotionnels endurés – de leur intensité, de leur récurrence, de l’aide trouvée auprès de tiers pour s’en remettre, des défenses disponibles et des capacités de symbolisation propres à l’époque à laquelle ont eu lieu les événements traumatisants.

« Un autre domaine où se manifeste l’activité défensive du moi est celui des phénomènes qu’a étudiés Wilhelm Reich dans son Analyse logique des résistances (Cité par Anna Freud, Wilhelm Reich, Konsequente Widerstandsanalyse (Analyse du caractère, technique te bas à l’usage des étudiants et praticiens psychanalystes), Vienne, 1935). Certaines attitudes du corps telles que la raideur, la rigidité, certaines particularités comme un sourire stéréotypé, certaines façons ironiques, méprisantes, arrogantes, de se comporter, sont toutes des reliquats de phénomènes défensifs jadis très actifs, actuellement dissociés de leurs situations primitives, de leur lutte contre les instincts ou les affects. Toutes ces manifestations se sont transformées en traits de caractère définitifs ou, suivant l’expression de Reich, sont devenus des « cuirasses de caractère ». Dans le cas où l’analyste réussit à retrouver leur origine historique, elles récupèrent leur mobilité et cessent de bloquer par leur fixation notre accès aux opérations défensives où le moi se trouve engagé à ce moment-là. » (Freud A., Le Moi et les mécanismes de défense, PUF, p. 33.)

Les mécanismes de défense ou les manières dont l’émotion traumatique va être traitée par le sujet pour s’adapter à la vie collective sont très divers et différent nettement selon la nature de l’émotion qui a été traumatique à l’origine ainsi que de son intensité traumatique.

Pour conclure cette partie je propose un tableau récapitulatif regroupant les mécanismes de défense issus de la psychanalyse classés selon :

 

  • Un axe (vertical) qui regroupe les classes diagnostiques psychiatriques qui correspondent selon moi aux modes de gestion par le sujet de l’émotion traumatique (E.T.) et,

  • Un axe (horizontal) qui regroupe les défenses neurophysiologiques propres au mammifère humain l’homo sapiens actionnées inconsciemment en référence aux conditionnements émotionnels infantiles forgés dans l’enfance, pour lutter contre l’émotion traumatique (E.T.).

Tableau générique des mécanismes de défenses

Tableau générique des mécanismes de défenses.

Les défenses prennent une forme spécifique selon le type d’émotion traumatique (l’E.T.) – 18 au total - Insécurisation, Séduction, Humiliation...contre laquelle le sujet lutte pour tenter de vivre au mieux avec les autres.

Dans la partie suivante, je vais détailler les grands types d’émotions traumatiques qui scandent l’enfance des humains du 21e siècle dans la société qu’il m’est possible d’observer, la société dite occidentale. Au travers le récit de mes analysants aussi variés et singuliers soient-ils, 18 catégories émergent selon-moi. 18 types d’émotions qui deviennent traumatiques (E.T.) lorsque celles-ci sont vécues à répétition et sans issue d’apaisement lors de l’enfance, période vulnérable de dépendance totale à l’environnement familial.

Nous ne rentrerons pas dans le détail des 40 défenses environ pour les 18 émotions traumatiques (E.T.) car cela nous mènerait à une revue encyclopédique de 720 défenses. Nous détaillerons uniquement 2 défenses pas E.T. particulièrement caractéristiques afin que chacun puisse cerner l’étendue défensif propre à chaque émotion traumatique de l’enfance. Ce choix de présentation est avant tout pédagogique que chacun puisse s’auto-diagnostiquer sur le plan des émotions qui l’ont traumatisé dans son enfance et sur le plan des défenses qu’il a particulièrement développées pour s’adapter à la vie – amoureuse, professionnelle, sociale, amicale...avec les autres.

3. LES 18 ÉMOTIONS TRAUMATIQUES (E.T.) DE L’ENFANCE ET LES DÉFENSES SPÉCIFIQUES POUR LES GÉRER ET VIVRE AVEC, ET LES AUTRES.

 

L’analyse des discours verbaux ainsi que du langage corporel de mes analysants me mène à hypothéser que les principales émotions infantiles résultant d’un rapport enfant/environnement familial ou groupal (école, communauté, société...), sources de traumatismes psychiques sont au nombre de 18 environ.

Pour faciliter la lecture et l’autodiagnostic nous avons limité l’illustration à deux défenses caractéristiques par émotion traumatique (E.T.) :

  • Une défense par continuité : le sujet vit avec l’émotion qui le domine plus ou moins et essaie d’en prendre le contrôle par divers biais (se référer au tableau des défenses génériques)

  • Une défense à contre-pied : en s’identifiant à l’agresseur initial de l’enfance, le sujet projette l’émotion traumatique dans autrui pour la lui faire subir afin d’être sûr de ne plus la subir lui-même. Ce biais-là relève d’un mode de gestion de l’E.T. - pervers.

Tableau des 18 E.T et de 2 modes de gestion de l’E.T. (défenses) typiques

Tableau des 18 E.T et de 2 modes de gestion de l’E.T. (défenses) typiques.

Rappelons que ça n’est pas l’émotion en soi qui est source de traumatisme mais sa répétition suivie d’échecs à rétablir des conditions favorables à notre conservation. La peur est donc commune à tous les traumatismes émotionnels infantiles puisqu’elle résulte de toute situation qui met en danger notre conservation. Qu’il s’agisse de :
 

  • D’impuissance face à un parent malade ou malheureux

  • D’abandon du fait d’un parent qui quitte le foyer 

  • De jalousie du fait de l’arrivée d’un membre dans la fratrie destituant l’actuel de son piédestal

  • D’exploitation par un parent de l’énergie physique et/ou psychique de l’enfant

  • D’agression verbale ou physique à l’égard de l’enfant ou d’un autre membre de la famille

  • D’une infantilisation qui vise la non autonomisation du sujet/sa dépendance à l’égard du parent

  • Etc. 

 

Chacune de ces situations est génératrice d’émotions spécifiques mais toutes ont en commun d’insécuriser l’enfant : toutes seront associées à l’émotion de peur. Le traumatisme d’insécurisation est donc en quelque sorte le traumatisme émotionnel par « excellence », celui qui regroupe tous les autres. D’autant que toute émotion forte éprouvée durant l’enfance – impuissance, abandon, injustice, jalousie... –- met fortement l’enfant en danger et l’insécurise du fait qu’il dépend en général des personnes génératrices de ces émotions en lui, pour en être apaisé. C’est lorsque l’agresseur et « l’apaiseur » (celui qui est censé pouvoir l’apaiser) sont la même personne, le parent généralement - que les émotions présentent le plus de risque de devenir traumatiques, du fait justement d’un impossible apaisement de celles-ci.

3.1 LE TRAUMATISME D’INSÉCURISATION (E.T. : Peur)

La conséquence du fait que le traumatisme d’insécurisation est commun à tous les autres est que ces différentes émotions spécifiques aux divers contextes cités ci-dessus deviendront envahissantes au moindre indice qui rappelle de près ou de loin ceux d’origine. Elles sont traumatiques en ce sens que le sujet a du mal à les réguler :

« Les enfants qui ne se sentent pas en sécurité dans leurs premières années ont du mal à réguler, en grandissant, leurs humeurs et leurs réactions émotionnelles. À la maternelle, beaucoup d’enfants à l’attachement désorganisé sont soit détachés, soit agressifs, et ils continuent à développer divers problèmes psychiatriques. Ils présentent aussi plus de stress physiologique, qui s’exprime par un rythme cardiaque élevé, une faible variabilité de la fréquence cardiaque, une forte sécrétion d’hormones du stress et un déficit immunitaire. » (Van der Kolk B., 2018. Le corps n’oublie rien. Le cerveau, l’esprit et le corps dans la guérison du traumatisme, Éditions Albin Michel, p. 167.)

  • Défense de continuité

La paranoïa est le mode de gestion de toute émotion traumatique lorsqu’un indice évoque le contexte d’origine. Immédiatement la mémoire implicite y associe la conséquence fâcheuse et active l’E.T. associée. Envahi immédiatement par l.’E.T. avant même toute prise de conscience de l’indice traumatique, le sujet paranoïse. Autrefois abandonné ou exploité ou humilié ou etc. le sujet pris de plein fouet par le retour de l’E.T. se sent soudainement persuadé qu’il est sur le point d’être abandonné ou exploité ou etc.

Resté terrorisé par l’E.T d’origine, le sujet paranoïse au moindre indice évocateur du traumatisme émotionnel d’origine.

Le sujet peut même être à l’affut d’indices lui évoquant le passé et l’agresseur d’origine du fait d’une anticipation (de peur de revivre la même situation) ou du fait d’un besoin de répétition pour réussir à décharger et désactiver l’E.T d’origine. Dans ce cas les transferts vers des figures « parentales » sont de bon augure : l’autorité patronale, l’autorité politique, etc. joueront le rôle de l’agresseur d’origine auquel le traumatisé en veut. Ces mécanismes de transferts paranoïaques vers des figures symboliques qui incarnent le passé traumatique sont typiques d’un traumatisé qui éprouve des ressentiments à l’égard de l’agresseur d’origine mais qui ne s’attaque pas à lui directement. Il s’attaque à lui via un transfert de son E.T sur un autre qui symbolise l’agresseur d’origine.

  • Défense par contre-pied

Terrorisé enfant par sa jalousie, son impuissance, son sentiment d’humiliation, d’injustice...l’adulte en devenir peut développer une autre stratégie défensive. Non pas de lutter pour abolir l’E.T. mais lutter contre elle en la projetant dans quelqu’un d’autre que lui : un innocent comme lui l’était, enfant. Ce mécanisme de défense transpire de vengeance destinée non pas comme dans la défense par continuité sur une figure qui symbolise l’agresseur d’origine mais sur une figure qui symbolise la victime d’origine. Les rôles sont cette fois-ci inversés.

Il n’est pas rare de voir des personnes traumatisées d’injustice enfant s’en prendre injustement à des gens particulièrement innocents et gentils avec eux. C’est d’autant plus injuste et jouissif car ce qui motive ces agirs-là est la vengeance et le plaisir ultime qu’elle produit à tel point que certaines personnes en deviennent addictes !

Dans une stratégie de défense perverse, les agirs sadiques à l’égard d’un innocent sont généralement très dissimulés par une couverture d’apparence très « névrosée » faisant croire à une stratégie de défense par le contrôle de l’E.T. comme c’est le cas dans des métiers sublimatoires en lien avec la justice et la sécurité : juge, policier, militaire... Attention donc aux uniformes, ils peuvent parfois cacher l’inverse de ce qu’ils affichent.

3.2 LE TRAUMATISME DE SÉDUCTION (E.T. : Excitation sexuelle)

Le complexe d’Œdipe, ce pour quoi Freud est connu du grand public, a été posé par lui comme un universel. J’ai démarré ma carrière de psychanalyste persuadée que nous avions tous vécu ce désir pour le parent du sexe opposé ou du même sexe dans l’Œdipe inversé. De ce désir refoulé car inavouable, nous développerions des fantasmes de séduction justifiant que ce désir a été provoqué par le parent séducteur à notre égard. 
J’ai exploré cette question et me suis rendue compte que l’attirance sexuelle (disons-le franchement) pour l’un des parents qui perdurent à l’âge adulte d’ailleurs, n’est pas un universel, loin de là. Nous savons que Freud a été séduit par sa mère. Il relate son souvenir d’elle se dénudant dans un wagon de train et son émotion.....traumatique ! De là il a extrapolé et projeté dans tous les discours de ces analysants et analysantes ce qui l’avait traumatisé personnellement.

Il existe 3 cas de figure globalement concernant cette histoire œdipienne :

  • Soit l’un des parents (voire les 2) ont un comportement de séduction à l’égard de l’enfant, totalement inconscients la plupart du temps et l’enfant est excité sans que pour autant il y est passage à l’acte. Dans ce cas l’enfant reste excité sexuellement sans le savoir et développera des stratégies de gestion de l’E.T oscillant entre érotomanie (persuadé qu’on le séduit tout le temps) et donjuanisme (lui-même séducteur, plus intéressé par la conquête que par le passage à l’acte).

  • Soit l’un des parents a séduit l’enfant jusqu’à passer à l’acte à savoir l’a violé, « abusé » comme on le dit de manière politiquement correcte. Dans ce cas, les adultes ne développent pas du tout de comportement séducteur mais soufflés enfant par une peur d’immobilisation, ils ont inhibé par la même occasion tout le mécanisme sexuel. Après le viol n’est pas ce que l’on image spontanément – un acte violent. Une mère qui branle le pénis de son fils pour le mettre bien droit ou qui appuie bien partout sur le clitoris de sa fille sous prétexte souvent verbalisé de bien nettoyer relève du passage à l’acte. Ces femmes et ces hommes peuvent souffrir de toutes sortes de troubles sexuels : frigidité, impuissance, anorgasmie, ascétisme, asexualité... Les relations sexuelles seront évitées sinon vécues dans un état de dissociation (comme si on était spectateur d’une scène sans la vivre soi-même) ou de d’agression originelle (comme un viol à subir). Dans ce cas il s’agit non pas d’un traumatisme de séduction mais d’un traumatisme d’agression sexuelle. Les conséquences ne sont pas du tout les mêmes. Au contraire, dans le cas d’un traumatisme de séduction, l’enfant est hyper excité (on parle de nymphomanie pour les femmes et de donjuanisme pour les hommes) alors que dans le cas d’un traumatisme d’agression sexuelle, l’enfant se désactive sexuellement et n’éprouve plus du tout d’excitations sexuelles, celles-ci étant associées à un risque de viol dans leur mémoire implicite dite inconsciente.

  • Soit l’enfant n’a été, ni séduit, ni violé et ne développe pas de défenses de ce type. C’est la majorité des cas que j’ai rencontrés. En revanche au sein des psychanalystes, j’ai constaté que la plupart avait subi un traumatisme de séduction...

3.3 LE TRAUMATISME D’AGRESSION (E.T. : Peur, Soumission, Humiliation, Perte de confiance, Méfiance...)

L’agression par un plus fort contre lequel toute tentative de rébellion est vaine (fuite ou combat) déclenche le système de défense par immobilisation. 
Un enfant, agressé par un parent en particulier - est source de séquelles très graves du fait que celui qui est censé protéger l’enfant est l’agresseur. L’enfant, absolument démuni et sans le moindre recours pour assurer sa survie n’aura d’autre défense que de subir : figé ou prostré, il ne peut que se soumettre au prédateur, ne pouvant fuir ou le combattre.
Se rebeller petit enfant contre un adulte violent a peu de chance de mener ce dernier à la défaite. Se cacher si c’est possible ou s’immobiliser en guise de soumission est parfois la solution la plus viable.

Des agressions physiques et/ou sexuelles portant atteinte au corps de l’enfant, provoquent systématiquement, à l’âge adulte, des comportements de soumission quand des situations relationnelles hiérarchiques se représentent, quel que soit le contexte – social, professionnel, amoureux...

Cela peut être le cas aussi lorsque les agressions ont été verbales sans atteinte au corps.

La personne qui a dû se soumettre à son parent enfant pour survivre aura tendance malheureusement à se soumettre automatiquement dès qu’une situation lui évoque une attitude parentale.

Cela peut créer en amour en particulier mais pas que, le syndrome de Stockholm (amour et dévotion pour son bourreau). Terrifié enfant, de mourir d’être agressé par un prédateur imbattable et que l’on aime du fait qu’il est notre parent, on se met à l’aimer plus que tout, tout en se mettant à son service, seul moyen de supporter la situation et d’avoir une chance de s’en sortir.

Les enfants qui ont subi de telles soumissions du fait de parents agresseurs, développent souvent le syndrome de Stockholm dans leurs relations amoureuses. Terrifiés par leur conjoint qu’il craigne et dont ils craignent l’abandon, ils se dévouent à eux et se font leur esclave.

Nous retrouvons aussi les séquelles du traumatisme d’agression sexuelle, chez les personnes qui ont été violées dans leur enfance par un parent : elles se mettent immédiatement en état d’immobilisation - figées, soumises (se laissant faire/n’exerçant aucune résistance) et dissociées de leur corps quand s’annoncent les prémices d’un acte sexuel, à l’âge adulte.

3.4 LE TRAUMATISME DE CULPABILISATION

Se savoir coupable n’est pas équivalent à se sentir coupable. On peut se sentir coupable sans savoir pourquoi ou se savoir coupable sans se sentir coupable pour autant. Le savoir coupable relève d’un apprentissage des règles morales et légales qui sont relatives à une société, à une communauté ou à tout autre type de groupe comme une famille. Ces règles relatives donc à un groupe donné, sont établies pour ordonner les rapports entre personnes au sein de ce groupe pour que les interactions entre membres de ce groupe soient le plus profitables au plus grand nombre ou à un ensemble de membres dominants qui souhaitent tirer le plus profit possible du groupe. La connaissance des règles d’un groupe n’est pas innée : elle s’acquiert par éducation le plus souvent au sein de la famille. Les parents apprennent à l’enfant ce qui est bien, et ce qui est mal. Cet apprentissage n’est pas que théorique. Il est la plupart du temps associé à un système pratique de récompense et de punition. Quand l’enfant fait ce qui est défini comme étant le bien dans sa société d’appartenance, il est généralement récompensé par le parent et les autres membres de la société par l’obtention d’une gratification source de plaisir et de joie. A contrario lorsqu’il fait ce qui est défini comme étant le mal dans sa société, l’éducateur fait subir à l’enfant une agression source de douleur, de peur, de colère, etc. Ce sont donc des émotions positives sous forme de récompense ou négatives sous forme de punition qui sont à la source du conditionnement moral. On se sent envahi par un sentiment désagréable de mériter un châtiment rien qu’à l’idée de penser à mal suite à un long conditionnement éducatif.  L’éducation des règles morales a cet objectif de forcer la mauvaise conscience à la simple pensée du mal pour dissuader le passage à l’acte que seules certaines lois punissent officiellement. Les lois ne pouvant pas tout punir, tout ce qui relève des interactions interpersonnelles, la morale doit dissuader les personnes de le faire juste par culpabilité. 
Arriver 30 minutes en retard n’envoie personne en prison, courtiser la compagne d’un ami non plus. La morale n’envoie personne en prison mais en enfer ou dans l’enfer de la mauvaise conscience !

Comment donc peut-on souffrir d’un traumatisme de culpabilisation ? La culpabilisation relève d’un conditionnement émotionnel négatif donc toute culpabilisation est traumatique de ce fait. C’est pourquoi la culpabilité était pour Freud la source de la névrose. Culpabilité œdipienne (culpabilité d’avoir voulu coucher avec sa mère punie par le père) selon Freud. C’est un cas mais pas le cas de tout un chacun nous l’avons déjà évoqué (Se référer au traumatisme de séduction). Culpabilité civilisationnelle du fait de règles nous rendant coupables d’éprouver des pulsions. Culpabilité auquel Freud donnera le nom de « surmoi ».

Civilisés, nous sommes donc tous traumatisés de culpabilisation. Cependant lorsque le gain des règles appliquées est globalement bénéfique à l’intéressé car tel est le but des règles en théorie, le traumatisme s’estompe. Au contraire si le respect des règles n’est en rien profitable à l’intéressé mais ne l’est que pour un groupe restreint de membres dominants (ceux qui les imposent) alors le traumatisme persévère et prend de l’ampleur.

J’ai constaté que 2 types d’émotions-punitions traumatisaient l’enfant sur le plan de la culpabilité.

Soit lorsque la punition est associée à une émotion de terreur. Si tu fais le mal, tu seras dévoré par un diable en enfer. Petit l’enfant terrifié à l’idée de faire le mal, va se mettre à anticiper tout ce qui pourrait être mal et culpabiliser de tout...
Adulte, pour se protéger des foudres de l’enfer, il va se punir lui-même par anticipation pour éviter que cette chose terrible le punisse...Voilà l’origine du masochisme.

Soit lorsque la punition est associée à un sentiment terrible d’injustice et d’humiliation qui soulève une haine et un désir de vengeance inaltérable. Dans ce cas, la personne rejette ardemment la culpabilité du mal et ou se venge en quelque sorte de faire ce mal et jouit de constater qu’elle en conjure le sort ainsi. Voilà l’origine du sadisme. 
Les sadiques se savent coupables mais ne se sentent pas coupables et éprouvent une haine féroce à l’égard de toute personne qui tente de les faire se sentir coupable...ça leur rappelle trop l’éducateur d’origine dont ils ne se sont jamais vengés directement. Il est plus facile pour eux de déplacer leur haine de vengeance sur des innocents leur faisant jouer le rôle de victime qu’ils ont été enfant. C’est pourtant en se vengeant directement de l’agresseur initial que leur haine s’estomperait.

3.5 LE TRAUMATISME DE TRAHISON

J’ai observé qu’un enfant éprouve un sentiment de confiance inné à l’égard de ses parents et de son environnement proche. Nul besoin d’engagement officiel d’un parent à l’égard de son enfant pour que ce dernier ait foi en lui. La confiance innée du petit à l’égard du parent semble porter sur le fait que le parent saura répondre à ses besoins vitaux, à savoir, le protéger, lui assurer sa survie alimentaire, le soigner et l’aimer.

 

Un manquement grave et persistant d’un parent à l’égard de ce contrat tacite intériorisé purement intuitivement par l’enfant peut être vécu comme une désillusion.

Nous ne parlons pas ici de petites désillusions inévitables et nécessaires permettant à l’enfant de sortir de sa croyance en l’omnipotence de soi et du parent idéalisé. Désillusions auxquelles Winnicott fait référence nous parlant d’« un aspect normal du traumatisme » disant par-là que « la mère est toujours « traumatisante » :

« Au début, le traumatisme sous-entend un effondrement dans l’aire de confiance à l’égard de « l’environnement généralement prévisible », au stade de la dépendance quasi absolue...La désadaptation est la seconde partie de la fonction maternelle, la première étant de donner l’occasion au nourrisson d’avoir une expérience d’omnipotence. Normalement, l’adaptation de la mère amène un défaut d’adaptation graduel. Ceci fraye la voie à la fonction de la famille qui consiste à présenter progressivement le principe de réalité à l’enfant .... De la sorte, le nourrisson passe de la dépendance absolue à la dépendance relative. Mais le résultat n’est pas celui d’un traumatisme parce que la mère peut sentir la capacité qu’a le bébé, suivant le moment, d’employer de nouveaux mécanismes mentaux. Le sentiment de « non-moi » qu’a le tout-petit dépend de ce que fait la mère dans cette aire des soins maternels. Les parents agissant ensemble et, ensuite, le fonctionnement de l’unité familiale poursuivent ce processus de désillusion de l’enfant. » [1]

Un traumatisme de trahison qui altérera structurellement le sentiment de confiance de l’enfant envers autrui relève d’une désillusion à l’égard de l’environnement est d’un autre type.

Deux cas typiques me viennent à l’esprit.

  • Celui des mères qui savent l’enfant victime d’agressions – sexuelles entre autres - de la part d’un membre de la famille et qui se taisent préférant singer le mythe de la famille idéale plutôt que de sauver la vie de l’enfant. Ce cas est fréquent lorsque la protection de la communauté l’emporte sur la protection de l’individu au sein de cette communauté. En particulier lorsque l’individu est une fille.

  • Celui d’un des parents, souvent le père, qui mènent une seconde vie familiale cachée. Le secret dévoilé, les enfants généralement ahuris, développeront à l’âge adulte une hantise absolue du mensonge.

Rupture de confiance à l’égard de toute figure d’attachement de nature parentale ou de toute personne quelle qu’elle soit associée à une phobie du mensonge sont les conséquences d’un traumatisme de trahison.

L’enfant ainsi trahi présentera des risques importants à l’âge adulte de rompre brutalement toute relation d’amour ou d’attachement engageante fondée sur un principe de confiance ou pour se protéger, de ne pouvoir s’engager que dans des relations non impliquantes affectivement.

 

Certains arriveront à combattre cette peur de la trahison en se liant à un conjoint extrêmement fiable ou à un époux ou une épouse dans un cadre religieux strict.

CAS

Un analysant n’ayant jamais connu sa mère avait été élevé par son père qui le déposa un jour sans lui expliquer, dans un orphelinat où il fût adopté quelques années après par une famille étrangère. A l’âge adulte, il épousa une femme pensant que le mariage lui garantirait la fidélité de sa femme. Malheureusement celle-ci le quitta pour un homme sans prévenir. Depuis cet analysant sabote systématiquement toutes ses relations amoureuses dès que celle-ci devient engageante pour lui sur le plan affectif. Cumulant un traumatisme d’abandon et de trahison et ayant perdu toute illusion envers ce qu’il projetait dans le mariage, il lui sera difficile à nouveau de s’abandonner et de faire confiance.

3.6 LE TRAUMATISME D’EXPLOITATION

Pour quelle raison êtes-vous venu au monde ?

 

Pour être exploité. Assurément.

L’amour désintéressé n’existe pas. Les parents les plus aimants du monde n’ont d’autre vocation que d’assurer leur continuité au-delà de leur mort. Prendre soin de sa progéniture a pour vocation d’assurer à sa descendance le maximum de chance de faire durer le nom et les gènes familiaux et au-delà bien-sûr s’assurer la pérennité de l’espèce.

L’amour familial a cette fonction et l’amour amoureux, la fonction reproductive en plus la fonction de conservation. À deux, unis, pour le pire et le meilleur, « nous » résistons mieux aux intempéries de vie.

L’exploitation est donc un prérequis à toute relation, amoureuse, amicale, familiale. Crédule est celui qui pense que seule la relation professionnelle est intéressée !

Notre mission sur terre est donc être exploité puis d’exploiter à notre tour. L’exploitation est donc inévitable mais le traumatisme d’exploitation ne l’est pas pour autant.

Il y aura traumatisme d’exploitation lorsque celle-ci dépasse les bornes du nécessaire qu’exige l’évolution de l’espèce.

Dans le cadre familial, nombreux sont les motifs qui poussent un parent à exploiter un enfant.

Voici quelques objets d’exploitation qui vous parleront peut-être :

  • Punching-ball pour défouler la colère parentale

  • Antidépresseur pour apaiser la dépression parentale

  • Antipsychotique pour contenir la folie parentale

  • Objet sexuel pour apaiser les pulsions sexuelles parentales

  • Miroir embellissant pour satisfaire le narcissisme parental

  • Major d’homme pour alléger les tâches parentales

  • Médiateur pour apaiser les conflits entre parents

  • Victime de toutes sortes d’agressions pour satisfaire les pulsions sadiques parentales

  • La liste est longue. À vous de la compléter...

Outrageusement exploité enfant, quel adulte pouvez-vous bien devenir ?

Une défense de continuité vous mènera par exemple à continuer de l’être de manière sublimée mais dans un métier où vous êtes au moins rémunéré pour. Les métiers sacrificiels qui apportent aide aux autres en sont caractéristiques des personnes ayant un tel traumatisme. Les psys se retrouveront très certainement dans ce cas de figure, anciennement enfant de parents dépressifs ou psychotiques.

Malheureusement les traumatisés d’exploitation ne trouvent pas tous le moyen de sublimer dans un métier intéressant et bien perçu socialement. Les échecs de sublimation du traumatisme d’exploitation mèneront bien des gens à continuer d’être une victime d’exploitation dans des métiers où ils seront légalement exploités. D’autres trouveront le moyen de sublimer dans des rôles sexuels en jouant l’esclave avec un maître ou une maîtresse dans le cadre d’un contrat tacite entre parties. Dans le domaine sexuel ou amoureux, la sublimation dans des rôles SM n’est pas ce qui se pratique le plus. Dans les faits, je constate que les ex-exploités continuent de l’être outrageusement par un conjoint ou par un ami, peu importe le sexe des uns et des autres.

L’exploitation au sein des couples est ce qu’il y a de plus frappant. Lorsque l’exploitation n’est plus réciproque c’est-à-dire complémentaire ou donnant-donnant, alors l’un domine et exploite l’autre jusqu’à épuisement de ses réserves énergétiques. Les femmes autrefois condamnées à être exploitées restaient en couple ne pouvant subvenir à leurs besoins. Aujourd’hui je constate que nombre d’elles arrivent de plus en plus à se sortir des filets d’un conjoint exploiteur quitte à faire exploser leur famille et les qu’en-dira-t-on. Mais des hommes aussi sont exploités au sein de leur couple comme antidépresseur, antipsychotique ou défouloir de perversion. Peu importe le type de couple, hétéro ou homo, l’exploitation exagérée de l’un par l’autre fait loi. Pour y échapper, le seul moyen est de travailler sur son passif de traumatisé d’exploitation et d’apprendre à poser ses limites.

3.7 LE TRAUMATISME D’INFÉRIORISATION

 

On l’aura compris, le traumatisme d’infériorisation est en lien évident avec celui précédemment décrit, le traumatisme d’exploitation.

Un parent qui passe son temps à inférioriser son enfant l’exploite sur le plan narcissique puisque par comparaison à lui, le bénéfice qu’il en retire est de sentir supérieur. Pour se sentir supérieur, il faut bien se comparer à quelqu’un qu’on juge inférieur à soi.

Certains enfants ont donc cette fonction pour certains parents, d’être constamment diminués, dévalorisés pour leur ancrer dans la tête qu’ils ne sont pas à la hauteur, ne le seront jamais et en particulier, à la hauteur du parent en question.

Les conséquences d’un tel traumatisme sont diverses. Par continuité, l’enfant peut intégrer sa pseudo nullité, y croire suffisamment et saboter des pans de sa vie. Les études, la réussite professionnelle sont très souvent ciblées par les attaques du parent complexé mais également amoureuse et familiale. Tout dépend de là où le parent a eu le sentiment de ne pas être à la hauteur des autres ou d’échouer.

Majoritairement le traumatisme d’infériorisation se fait de mère en fille ou de père en fils mais cela n’est pas systématique. L’enfant du même sexe étant généralement l’enfant auquel s’identifie le plus le parent, est la cible à « ombrer » le plus possible pour rester artificiellement le meilleur.


Inférioriser un enfant est généralement la seule solution pour le parent souffrant lui-même d’un complexe d’infériorité de rehausser son estime de lui. On peut toutefois constater que le complexé d’infériorité en plus de s’acharner sur son enfant tente dès qu’il en a l’occasion de diminuer d’autres personnes dès qu’elles sont en position hiérarchiquement inférieure à lui.  Un professeur avec un élève est un cas typique.


Le parent infériorisant est donc souvent lui-même un ancien enfant traumatisé d’infériorisation. Sa défense n’est pas une défense de continuité mais une défense à contre-pied : il se transforme en agresseur et victimise un innocent pour lui faire jouer son rôle lorsqu’il était enfant. C’est la raison qui explique à quel point le traumatisme d’infériorité se transmet de génération en génération. L’enfant infériorisé devient facilement un parent infériorisant. Heureusement ce n’est toujours le cas.


Certains infériorisés de l’enfance arrivent à se sortir de cette malédiction psychique et se surpasse pour conjurer le sort et prouver et surtout se prouver qu’ils ne sont pas nuls, bien au contraire ! Cela peut parfois les mener à des extrêmes inverses en développant une défense à contre-pied de type sentiment de supériorité ou mégalomanie.

Les mégalomanes le sont donc par réaction pour surcompenser un insupportable complexe d’infériorité.

3.8 LE TRAUMATISME D’HUMILIATION

Le traumatisme d’humiliation est également en lien avec le précédent, le traumatisme d’infériorisation. Infériorisé, moqué, dévalorisé, agressé, ou tout simplement non pris en compte, l’humiliation atteint le sentiment de dignité humaine.

 

Les victimes de tortures innommables comme l’ont été les juifs pendant la seconde guerre mondiale et bien d’autres populations tout au long de l’histoire sont traumatisés d’humiliation sur des générations et des générations. Tel est le cas des noirs, des homosexuels, des femmes... opprimés, esclavagisés, dévalorisés durant des décennies.

Torturés par la honte et le sentiment d’injustice, le traumatisé d’humiliation souffre intensément dans sa chair au moindre indice réactivateur d’humiliation se traduisant par une susceptibilité accrue qu’il ne pourra endiguer qu’en revalorisant son estime de lui-même à ses yeux propres et à ceux des autres.

Un véritable apaisement ne peut avoir lieu pour un traumatisé d’humiliation que s’il obtient une réparation sociale, à savoir une reconnaissance sociale des méfaits injustes et odieux qu’il a enduré et mieux encore une reconnaissance de sa valeur en cas de réussite particulière dont il peut être fier et se promouvoir.

Sans cela, le risque d’un traumatisé d’humiliation est de s’enliser dans une susceptibilité isolante socialement et/ou de devenir lui-même un humiliateur particulièrement méprisant par identification à l’agresseur. La plupart des gens très susceptibles et humiliants à l’égard des autres sont très généralement des traumatisés d’humiliation.

CAS

Une analysante humiliée par sa mère du fait de ses rondeurs lorsqu’elle était enfant devint adulte maigre jusqu’à développer une pathologie anorexique pour s’intégrer et réussir professionnellement dans le domaine du mannequinat.

Sa défense ou plutôt sa contre-attaque consistant à devenir un top model admiré socialement pour réparer sa honte héritée de l’enfance ne m’amena pourtant pas à s’admirer personnellement. L’admiration sociale n’était pas suffisante.

La thérapie consista à lâcher le projet de plaire où elle avait déplu mais à se plaire elle-même en tant que personne et pour cela le travail a consisté à se rendre justice en retournant les attaques subies sur l’agresseur initial, la mère. Les accusations de la fille à l’égard de la mère ont mené les deux femmes à reconnaître qu’elles été victimes en tant que femmes d’un diktat social qui les dépassaient. Les excuses de la mère a l’égard de la fille de l’avoir humilié toute sa jeunesse sur son poids menèrent l’analysante à se décharger d’une humiliation inhérente à sa chair.

 

Le sentiment d’humiliation mène souvent le traumatisé à des désirs ardents de vengeance à l’égard de l’agresseur. Par identification à l’agresseur d’origine, le traumatisé peut malheureusement devenir humiliant à l’égard d’autres parfaits pour jouer son rôle de quand il était l’enfant victime.

Le meilleur moyen de se sortir d’un traumatisme d’humiliation est non pas de se venger sur des innocents mais d’adresser la vengeance à l’agresseur d’origine. Humilier à son tour l’agresseur d’origine peut soulager le traumatisme mais cela n’est pas suffisant pour l’endiguer vraiment. Pour l’endiguer, il est nécessaire d’obtenir une reconnaissance au mieux par l’agresseur suivies d’excuses de ses méfaits ou bien que moins efficace, une reconnaissance sociale extérieure des méfaits endurés.

3.9 LE TRAUMATISME D’INDIFFÉRENCE AFFECTIVE

 

Le traumatisme d’indifférence affective est le fait d’un parent indéniablement dissocié suite à un traumatisme dont il ne s’est jamais remis. Coupé de son corps, de ses émotions, il est là sans être là. L’enfant d’un parent absent se sent transparent, inexistant, sans valeur, sans importance et pas digne d’être aimé.

Bien des tentatives seront élaborées par l’enfant pour attirer l’attention du parent, se faire remarquer mais rien n’y fait car le parent vit biologiquement mais demeure comme mort, à lui-même et autres du fait d’un traumatisme l’ayant figé et ayant immobilisé son système neurophysiologique parasympathique ventral responsable des échanges émotionnels, affectifs entre congénères de la même espèce.

Le parent vivant dans un coma émotionnel, incapable d’empathie, non réanimable par le besoin d’amour de son enfant traumatisera ce dernier le privant factuellement d’amour et d’un investissement narcissique nécessaire au développement de son estime de soi. Ces parents-là ne délaissent pas pour autant leur enfant sur le plan matériel. Bien au contraire, certains de ces parents-là compensent leur incapacité affective sur le plan financier ou matériel assurant un confort, des études à défaut de pouvoir aimer affectivement.

André Green désignait ce parent dissocié, en particulier la mère sous les termes de « la mère morte » : « ce noyau froid qui brûle comme de la glace. »[2].  


Le « parent mort » dirons-nous n’est pas rejetant, méchant, humiliant... puisqu’il n’exprime pas d’émotion – tant négatives que positives. Ni aimant, ni rejetant, il n’est pas en relation. Il est seul avec lui-même généralement très égocentrique et potentiellement en repli autistique.

Froid, impassible, l’enfant traumatisé par un tel parent se sentira seul, mal aimé et peut-être ingrat ou coupable pour se créer une explication d’un tel comportement à ses yeux qui s’apparente à du rejet.

Pourquoi ne m’aime-t-il pas ? Qu’ai-je fait pour cela ? Que dois-je me reprocher ? se demande l’enfant toute sa vie durant.


CAS

Une analysante dont le père était indifférent s’était mis en tête enfant, que son père ne l’aimait pas car elle devait être un bébé laid causant déception, rejet et honte de son père à son égard. Se découvrant belle à l’âge adulte dans les yeux de ses amis et des amours, elle comprit peu à peu au cours de son analyse qu’elle s’était trouvée et attribuée moult défauts pour expliquer cette indifférence qu’elle vivait comme un rejet.

3.10 LE TRAUMATISME D’ABANDON/PERTE D’AMOUR


La pire douleur émotionnelle qui soit est celle provoquée par la perte d’un être aimé ou la perte de son amour en cas d’abandon physique ou émotionnel.

A l’âge de la dépendance, l’enfant qui perd l’amour d’un parent ou la vie de son parent se trouve objectivement en danger de mort pour sa conservation. Ce risque grave évalué par le système neuroceptif génère une émotion de douleur intense, censée le mobiliser activement pour trouver une solution viable afin de faire assurer sa survie par un tiers. Si donc l’entourage ne se manifeste pas assez activement pour lui venir en aide, le soutenir, alors le risque dépressif est majeur. Non secouru par un tiers aimant, celui qui a perdu l’amour risque de se laisser totalement dépérir.

Cette douleur insupportable qui signifie que notre conservation est sérieusement entravée se manifeste clairement par une dépression de nos fonctions vitales et c’est bien là la preuve que l’amour parental nous est vital, ainsi que l’amour amoureux à l’âge adulte. Quand il y a perte d’amour, il plane nécessairement quelque part en nous, une envie de mourir, tellement il nous semble insurmontable de trouver un substitut à l’être aimé, absolument unique au monde et irremplaçable.

C’est pourquoi la perte d’un être cher ou de son amour nous semble inconsolable sur le moment. Seul le temps, le soutien de l’entourage et généralement la substitution par un autre être cher de l’être aimé, pourra amoindrir la douleur initiale jusqu’à parfois l’éteindre totalement. L’apaisement peut avoir lieu quand le deuil est abouti.


La perte ou l’abandon n’entraine donc pas nécessairement un traumatisme si le secours, le soutien et la substitution éventuelle a pu avoir lieu. Il y aura traumatisme d’abandon ou de perte, uniquement si le deuil a été entravé, rendu impossible du fait d’un entourage fébrile dans le soutien.


CAS

Une analysante très aimée par une mère célibataire hyper fusionnelle durant sa prime enfance a été traumatisée d’abandon lorsque celle-ci l’a subitement délaissée à l’âge de 12 ans, pour un amant dont elle est tombée follement amoureuse. Toute son attention s’est portée sur son amant, ses deux enfants au détriment de sa fille qui a sombré dans une dépression à 14 ans. Traumatisée d’abandon, cette fille devenue adulte se mit en couple avec une femme hyper fusionnelle et maternante dont elle se rendit totalement dépendante affectivement. Elle n’était pourtant pas amoureuse d’elle, ce qui la protégeait d’une potentielle autre perte d’amour inenvisageable pour elle, le deuil de la perte d’amour de sa mère n’ayant jamais pu aboutir.  Dépendante d’une femme dont elle n’était pas amoureuse, elle continuait de souffrir de dépression. Le travail analytique a donc porté sur l’élaboration de la douleur et du sentiment d’humiliation (ce qui a nécessité une épouvantable reviviscence) endurés lors de l’abandon affectif de sa mère pour qu’elle puisse entamer un vrai deuil, quitter la femme qu’elle n’aimait pas et en rencontrer une qu’elle réussit à aimer sans souffrir d’angoisse d’abandon la faisant tout saboter ou se soumettre et tout accepter de terreur de perdre ce nouvel amour.

La terreur d’aimer et d’être aimé du fait d’un traumatisme de perte ou d’abandon affectif peut se traduire par un évitement  ou le sabotage de toute relation d’amour, le choix d’une relation aux enjeux amoureux faibles, une incapacité à s’engager, une relation de dépendance affective excessive pouvant mener à une soumission extrême de peur de perdre l’aimé ou à un abandonnisme dans le cas d’une défense par identification à l’agresseur afin de faire subir à l’autre les méfaits endurés par soi-même, enfant.

3.11 LE TRAUMATISME DE DESTITUTION

 

Ce traumatisme concerne les enfants élus, les chouchous, les adorés, voire les idolâtrés d’un de leur parent ou de leurs deux parents, détrônés subitement ou progressivement jusqu’à parfois même être totalement abandonnés, désinvestis.

 

Ce cas se produit souvent à l’arrivée d’un nouvel enfant dans la fratrie, au profit d’un autre qui activera une jalousie sans nom. Mais cette destitution peut aussi avoir lieu progressivement lorsque le parent se désintéresse de l’enfant en voie d’autonomie, sortant peu à peu de la dépendance et de son apparence de bébé tout mignon à pouponner.

 

Tout autre événement peut également produire un désinvestissement massif d’un enfant roi : une perte d’emploi, des conflits dans le couple, le décès d’un proche, une dépression, un accident...

 

L’enfant tombé de son piédestal peut souffrir d’un sentiment d’humiliation, de colère, d’injustice, de haine, de tristesse, d’une volonté de vengeance, de jalousie ou d’envie féroce à l’égard des bienheureux.

 

Le traumatisme de destitution, n’est-il donc pas le cas de tous les enfants ainés me direz-vous ?

 

Non. Encore une fois, tout dépend du soutien obtenu par l’entourage. Une mère qui veille à canaliser la jalousie naturelle de son ainé à l’arrivée du petit frère évitera que la blessure narcissique de la destitution ne devienne traumatique.

 

Si l’enfant a été destitué de son pouvoir d’enfant roi brutalement sans airbag alors ce dernier risque d’être blessé à vie et de développer une angoisse à ce sujet qui se traduira soit par une traque mentale de tout indice à venir d’une possible perte (d’emploi, d’amour, de territoire...) soit par identification à l’agresseur, d’une compulsion à manigancer pour faire tomber toute personne jouissant d’un statut convoité (par soi ou socialement) de son piédestal.

3.12 LE TRAUMATISME DE CONTRÔLE


Un parent contrôlant exerce une pression généralement éducative, excessive sur son enfant. Les règles sont strictes, voire asservissantes. Avec le temps, l’enfant contrôlé se robotise pour convenir aux exigences parentales et y perd son âme. Il ne sait pas qui il est au fond et est pétrifié de prendre toute initiative allant dans le sens de ses désirs profonds qu’il a d’ailleurs beaucoup de mal à identifier tellement les désirs parentaux l’ont imprégné.

3.13 LE TRAUMATISME D’INFANTILISATION

 

Certains parents, les mères en particulier de ce que j’ai pu observer font des bébés pour qu’ils le restent. Dès que le petit grandit et commence à s’autonomiser, elles en font un autre pour continuer de jouir de l’état symbiotique et de toute-puissance maternelle ou elle sabote le développement psychique de l’enfant existant pour maintenir son état de dépendance affective et de soumission à son égard. Les parents qui maintiennent leur enfant à l’état de bébé ou de peluche ou de petit animal de compagnie souffre en générale de dépression et se sont insatisfait d’amour au sein de leur couple s’ils sont en couple.

3.14 LE TRAUMATISME DE PRIVATION

 

Certains parents jouissent de priver leurs enfants de jouir de la vie et s’acharnent à les priver au point de non satisfaire des besoins fondamentaux. Alimentation, vie sociale, divertissement sont des cibles phares. Privé de manger à sa fin ou quelques gourmandises de temps en temps, privé d’avoir des amis, de partager des moments de convivialité avec d’autres en dehors de la famille, de s’épanouir dans une activité extra-scolaire. Cette privation parentale peut venir de diverses sources : le parent a lui-même été frustré enfant du fait souvent de la pauvreté ou de la guerre ou le parent frustré de sa vie actuelle insatisfaisante sur un ou divers plans fondamentaux (existentiel, sexuel...) se console sadiquement en faisant subir à son enfant une frustration équivalente. Il se peut aussi que des parents privent leur enfant par vengeance de les avoir mis au monde alors qu’ils ne les souhaitaient pas.

Mère ou père peuvent en effet gâcher la vie de leur enfant pour se venger de cet enfant non voulu qui leur a gâché leur propre vie, leur plan de carrière, leur vie amoureuse, sexuelle ou bien d’autres choses encore.

3.15 LE TRAUMATISME D’INJUSTICE

 

Certains parents favorisent et/ou préfèrent un enfant à l’autre ou le conjoint à l’enfant et se comportent de manière injuste, à savoir non égalitaire à l’égard des différentes parties.

Ce phénomène est flagrant au sein d’une fratrie évidemment mais je le remarque souvent au sein des familles recomposées dans le cas d’un parent qui privilégie nettement son nouveau compagnon au détriment de son ou ses enfants. Ce sentiment d’injustice à l’égard d’un « beau-père » ou d’une « belle-mère » que le parent amoureux fait systématiquement passer en premier, au détriment du bien-être de son enfant peut devenir traumatique.

CAS

Un analysant délaissé par ses parents et dont les parents étaient famille d’accueil, violé dans son enfance par un garçon âgée de 5 ans de plus que lui, accueilli, a développé un sentiment d’injustice traumatique extrêmement sévère.

3.16 LE TRAUMATISME D’ENVAHISSEMENT

 

Le traumatisme d’envahissement est souvent lé au traumatisme d’autonomisation. Il est le fait d’un parent en trop grande symbiose avec son enfant ne marquant pas entre eux les limites tant corporelles que psychiques.

3.17 LE TRAUMATISME D’IMPUISSANCE

 

Un parent déprimé, un parent malade, des parents qui ne s’aiment pas, un parent qui bât un autre...Que de situations dans lesquelles l’enfant est confronté à sa terrible impuissance de ne pouvoir inverser l’inexorable sort qi s’est abattu sur lui et sa famille.

CAS

Une analysante était victime impuissante enfant d’assister aux coups de ceinture que son père donnait à son frère. Il ne battait que les garçons donc elle était épargnée des coups mais pas de son atroce sentiment d’impuissance assorti d’un sentiment de culpabilité de ne pouvoir venir en aide à son frère.

3.18 LE TRAUMATISME D’IDENTIFICATION IMPOSSIBLE

 

S’identifier à un modèle relève d’un processus automatique pendant l’enfance. L’apprentissage se fait par imitation chez nombre d’animaux. Imiter les faits et gestes de ses parents est naturel au même titre que s’identifier à eux pour se construire une image de soi satisfaisante. Socialement, les filles prennent généralement pour modèle leur mère et les autres figures féminines environnantes pour se construire en tant qu’être féminin sur le plan social car « on ne naît pas fille, on le devient »[3] comme le disait Simone de Beauvoir et idem pour les garçons et les figures paternelles. Cela n’empêche pas bien sûr que filles et garçons s’identifient aussi au parent du sexe opposé sur bien des plans : sur le plan des valeurs, du métier, des loisirs...

Un problème intervient en revanche et peut devenir traumatique si l’un ou les deux parents, première source d’inspiration en théorie pour l’enfant, inspire la honte, plutôt que la fierté ou empêche/refuse l’identification de l’enfant à lui en le rejetant comme « Autre » que lui : d’une manière générale - pas assez bien pour lui ressembler ou lui plaire.

 

Dans le cas où l’enfant ne peut s’identifier à son parent tant il lui fait honte ou tant il n’incarne rien de ce à quoi il aspire personnellement, il est probable que celui-ci explore d’autres modèles environnants pour y trouver une source d’inspiration identificatoire.

CAS

Une analysante élevée dans un milieu très machiste et patriarcal rejetait fortement le modèle maternel et féminin extrêmement soumis qu’incarnait sa mère, sa grand-mère et toutes les amies de la famille. Ne trouvant aucun modèle féminin inspirant autour d’elle, elle s’identifia au modèle qui détenait le pouvoir, le modèle masculin paternel tout en le dénonçant pour ses abus de pouvoir illégitimes. Elle se construisit ainsi de manière extrêmement conflictuelle.

CAS

Un analysant rejetait son père ouvrier et faible à ses yeux dont il avait extrêmement honte socialement parlant. Sa mère était au contraire une femme forte et plus élevée socialement que son père. Il s’identifia ainsi à elle.

Dans les deux cas, l’analysant est devenu homosexuel et n’a cessé de chercher dans l’autre du même sexe que qu’elle ou lui, l’incarnation du modèle idéale qu’il avait en tête enfant.

Ils cherchaient tous deux l’idéal de l’enfance - l’homme idéal auquel l’analysant aurait aimé s’identifier enfant et la femme idéale à laquelle l’analysante aurait aimé s’identifier enfant.

L’amour, voire même le coup de foudre, est souvent déclenché par cette quête d’idéal. Un tel amour est d’ailleurs souvent très fusionnel : l’autre représentant ce que je veux être, je vais chercher à le posséder jusqu’à parfois le vampiriser pour devenir lui ou elle. Une fois identifié à l’autre, le processus d’identification cesse et l’amour pour cette personne aussi, n’ayant plus raison d’être.

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1. LES SOURCES DU TRAUMATISME INFANTILE​
2. LES SYSTÈMES DE DÉFENSE TROP SOLLICITÉS DANS L’ENFANCE AUX SOURCES DU TRAUMATISME PSYCHIQUE​
2.3 MÉCANISMES DE DÉFENSE OU STRATÉGIES DE COPING ?
3. LES 18 ÉMOTIONS TRAUMATIQUES (E.T.) DE L’ENFANCE ET LES DÉFENSES SPÉCIFIQUES POUR LES GÉRER ET VIVRE AVEC, ET LES AUTRES.
BIBLIOGRAPHIE

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